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Corridors des pays de l’Alliance des États du Sahel : vulnérabilités logistiques, contraintes sécuritaires et dynamiques d’adaptation
Authors
Chaïma Jabbar
December 23, 2025

Les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (le Mali, le Burkina Faso et le Niger) demeurent dépendants d’un nombre restreint de corridors d’accès à la mer, une configuration qui limite leur capacité d’ajustement en cas de perturbation et accroît la sensibilité de leurs chaînes d’approvisionnement. Le blocus du tronçon Kayes-Nioro a illustré la forte criticité du corridor Dakar-Bamako : l’interruption d’un segment unique a entraîné une contraction rapide des flux, révélant la faible capacité d’absorption des itinéraires alternatifs. Au Burkina Faso et au Niger, les tensions politiques et réglementaires continuent d’affecter la performance des corridors Abidjan-Ouagadougou et Cotonou-Niamey, tandis que les itinéraires alternatifs via Conakry ou Nouakchott offrent des marges limitées du fait de contraintes portuaires et routières. Ces dynamiques sont amplifiées par la saturation de certaines infrastructures, l’hétérogénéité des régimes douaniers et par la présence de flux illicites sur plusieurs tronçons. L’ensemble révèle que l’épisode du blocus Kayes-Nioro constitue un cas d’étude pertinent pour observer la manière dont ces perturbations se diffusent et mesurer leurs implications opérationnelles pour les États de l’AES. 

1. Introduction

 Les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) dépendent d’un nombre restreint de corridors pour accéder aux ports atlantiques.  Cette concentration logistique expose directement leurs économies : la mise hors service d’un seul axe peut désorganiser l’approvisionnement national, renchérir les coûts et ralentir les échanges transfrontaliers. Différents indicateurs récents convergent dans ce sens, qu’il s’agisse des perturbations observées sur certains axes burkinabè, des tensions prolongées entre Niamey et Cotonou ou des contraintes persistantes pesant sur les capacités portuaires atlantiques. Le blocus sur l’axe Kayes-Nioro, imposé en septembre 2025 par le JNIM (Jama'at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin), illustre cette dynamique : en perturbant un segment du corridor Dakar-Bamako, le blocus a mis en évidence la capacité d’un acteur non étatique à affecter un axe logistique stratégique en ciblant les flux de circulation.

Cette vulnérabilité intervient dans un contexte régional en recomposition, caractérisé par la sortie de l’AES de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), une coordination régionale affaiblie et l’essor de risques hybrides combinant insécurité, rivalités politiques et activités criminelles sur les corridors. Face à ces contraintes, les capitales sahéliennes explorent des options de diversification, notamment via Conakry ou Lomé. Cependant, la viabilité de ces itinéraires demeure limitée par les capacités portuaires, l'état des infrastructures routières et le niveau encore insuffisant de coordination technique.

Ce Policy Brief se propose d’examiner les principales dépendances qui fragilisent les corridors sahéliens, les dynamiques qui perturbent leur fonctionnement et les options de diversification vers l’Atlantique. Il identifie les facteurs à l’origine de la vulnérabilité logistique de l’AES et met en évidence les enjeux liés à la sécurisation des axes, au renforcement de la coopération régionale et à l’amélioration durable des capacités portuaires. 

2. Architecture logistique sahélienne : dépendances, capacités et limites opérationnelles

Les itinéraires d’accès à la mer empruntés par les États sahéliens reflètent des agencements nationaux différenciés, liés à leur enclavement, aux capacités portuaires disponibles, à l’état des réseaux routiers et aux interactions politiques régionales. Ces paramètres conditionnent la continuité des flux et expliquent les ajustements différenciés observés d’un pays à l’autre.

2.1. Configurations nationales des corridors

 

2.1.1. Mali : concentration logistique et contraintes sécuritaires

 Le corridor Dakar-Bamako constitue le principal axe d’approvisionnement du Mali. Les données disponibles indiquent qu’environ 2 à 3 millions de tonnes de marchandises y transitent chaque année, représentant plus de 60 % des volumes d’importation du pays.[1] La circulation quotidienne y est estimée à près de 400 camions, principalement via la RN1 et la N1 reliant Dakar à Bamako par Kayes et Kidira.

 La position dominante du corridor Dakar-Bamako s’explique également par les investissements engagés par le Sénégal pour améliorer la fluidité du transit. Le Port autonome de Dakar a renforcé ses capacités de traitement en modernisant ses procédures, notamment par la digitalisation des opérations douanières, ce qui a réduit les délais pour les marchandises en transit vers le Mali.  Ces évolutions s’inscrivent dans une stratégie portuaire plus large comprenant le développement du port en eaux profondes de Ndayane et du port sec de Sandiara, conçus pour accroître la capacité d’accueil du fret sahélien.[2]

Malgré les efforts de modernisation engagés, le corridor continue de présenter plusieurs contraintes structurelles affectant la fluidité du transit, notamment la dégradation de certains segments routiers, la densité des points de contrôle et l’hétérogénéité des procédures administratives aux frontières.  Le tronçon Kayes-Nioro est par ailleurs exposé à des risques sécuritaires récurrents : des incidents attribués à des groupes armés affiliés au JNIM[3] y ont perturbé la circulation des convois, révélant la sensibilité de l’approvisionnement malien aux dynamiques de sécurité locales.

En parallèle, le corridor Abidjan-Bamako représente un axe complémentaire pour le commerce extérieur malien.  Le Port autonome d’Abidjan, doté de 34 postes à quai,[4] et ayant traité environ 40,1 millions de tonnes en 2024, dispose de capacités logistiques élevées susceptibles d’absorber une partie des flux maliens.[5]Les relations bilatérales ont toutefois été affectées par les tensions diplomatiques de 2022[6], notamment l’arrestation de militaires ivoiriens[7], ainsi que par les restrictions commerciales liées aux sanctions de la CEDEAO. Depuis 2024, les échanges ont repris dans un contexte de normalisation progressive, mais plusieurs mécanismes de coopération logistique restent encore limités.

 Le cas du Mali met en lumière la vulnérabilité d’un système d’approvisionnement reposant sur un nombre limité de corridors exposés à des risques sécuritaires et à des contraintes politiques régionales. Le renforcement de la résilience logistique s’appuie sur trois leviers complémentaires : la sécurisation des axes, la consolidation de la coopération opérationnelle avec les pays côtiers et la diversification des débouchés portuaires.

2.1.2. Le Burkina Faso :  diversité d’accès et sensibilité politique

 Le corridor Abidjan-Ouagadougou constitue l’un des principaux axes d’accès du Burkina Faso aux ports atlantiques.  Long d’environ 1 150 km, il associe un trafic routier important à une liaison ferroviaire opérée par SITARAIL[8] qui transporte près de 900 000 tonnes de fret par an.[9]Cet itinéraire occupe une place centrale dans les échanges extérieurs du pays, mais sa performance est régulièrement influencée par le contexte politique régional.  En avril 2024, des tensions diplomatiques entre Ouagadougou et Abidjan ont conduit à un renforcement des contrôles frontaliers, entraînant un allongement des délais et une augmentation des coûts de transit.[10]

Dans ce contexte, le corridor Lomé-Ouagadougou constitue l’un des principaux itinéraires alternatifs pour le Burkina Faso.  Il s’appuie sur les capacités du Port autonome de Lomé, doté d’un tirant d’eau permettant l’accueil de navires de grand gabarit, dont le trafic global a atteint 30,6 millions de tonnes en 2024.[11] L’orientation accrue des flux vers Lomé résulte à la fois des performances logistiques du port et de la stabilité des relations entre Ouagadougou et Lomé. Le Togo, resté en position de neutralité dans les tensions entre l’AES et la CEDEAO et engagé dans plusieurs efforts de médiation, offre un cadre opérationnel relativement prévisible pour les opérateurs burkinabè.

 L’importance accrue du corridor de Lomé souligne la sensibilité de l’approvisionnement burkinabè aux configurations politiques régionales. Cette réorientation traduit une logique d’ajustement vers des partenaires offrant un cadre plus stable, et s’inscrit dans une tendance observée au sein de l’AES : l’adaptation progressive des itinéraires d’approvisionnement aux contraintes diplomatiques et sécuritaires.

2.1.3. Le Niger :  dépendance portuaire et fragilités géopolitiques

 Le corridor Cotonou-Niamey représente l’axe maritime privilégié du Niger[12] et concentrait, jusqu’en 2023, la majorité de ses flux de fret.Entre août et décembre 2023[13], la décision du Bénin de suspendre le transit à destination du Niger a fortement perturbé les échanges, mettant en évidence la sensibilité de cet itinéraire aux tensions politiques régionales.

Depuis la levée des sanctions régionales, le trafic entre le Bénin et le Niger a repris, mais dans un contexte marqué par une confiance limitée entre les administrations des deux pays. Les tensions bilatérales persistent, notamment autour de l’ouverture des postes frontières et de la gestion du pipeline Bénin-Niger. En 2024, plusieurs incidents au terminal de Sèmè-Kpodji, dont l’interpellation de techniciens nigériens chargés du suivi des opérations de chargement du brut, ont confirmé la fragilité du dialogue entre Niamey et Cotonou.[14]  Malgré les initiatives de médiation engagées en 2025, certains points de passage continuent de fonctionner à capacité réduite, ce qui limite le retour à un fonctionnement logistique normal.

 Les corridors desservant le Mali, le Burkina Faso et le Niger révèlent une forte concentration des accès à la mer, dont la continuité reste sensible aux évolutions politiques et sécuritaires régionales. Les perturbations enregistrées sur ces axes ont montré leur impact immédiat sur les chaînes d’approvisionnement et les coûts logistiques des États de l’AES.

L’exploration de routes alternatives - notamment via Conakry ou Nouakchott - s’inscrit dans une stratégie visant à réduire la dépendance actuelle et à renforcer la continuité des échanges avec les façades atlantiques.

2.2. Itinéraires alternatifs :  capacités disponibles et limites opérationnelles

2.2.1. Conakry-Bamako : une capacité émergente contrariée par une série de faiblesses 

Le corridor Conakry-Bamako demeure un axe secondaire pour les flux maliens, en raison de capacités portuaires limitées, de l’état des infrastructures routières et des coûts de transit supérieurs à ceux des autres axes.  Le Port autonome de Conakry, principal point d’entrée du commerce extérieur guinéen, a vu son utilisation augmenter depuis 2023, lorsque la Guinée représentait l’un des seuls accès maritimes disponibles pour le Mali dans le contexte des sanctions régionales.  Cette évolution s’inscrit dans un cadre de coopération renforcée entre Conakry et Bamako, incluant un accord de transit et l’ouverture d’un bureau burkinabè au sein du port dans le cadre des initiatives de l’AES.[15] 

Le corridor est également mobilisé pour le transit de cargaisons stratégiques, ce qui contribue à diversifier les modalités d’approvisionnement du Mali. Toutefois, l’augmentation progressive des flux met en évidence plusieurs contraintes opérationnelles : congestion fréquente des terminaux, capacités de traitement limitées et coûts logistiques supérieurs à ceux observés sur les corridors de Dakar ou de Lomé.[16] Ces éléments réduisent la capacité du port de Conakry à absorber un volume de trafic malien plus important.

Selon des sources (ouvertes), le corridor aurait récemment été utilisé pour le transit de matériels militaires à destination du Mali. Ces sources affirment avoir été témoins d’’arrivée à Conakry de véhicules blindés de fabrication chinoise, avant leur acheminement par voie terrestre vers Bamako. Sans modifier la fonction commerciale principale de l’itinéraire, cette dimension ajoute une composante politique et sécuritaire qui nécessite un suivi régulier.

2.2.2. Nouakchott-Bamako :  une difficile montée en charge

 Le corridor Nouakchott–Bamako représente une option d’accès maritime supplémentaire pour le Mali.  Reliant le pays à la Mauritanie, État non-membre de la CEDEAO, il offre une possibilité de transit en dehors des circuits régionaux habituels. Le recours croissant à cet itinéraire s’explique par la recherche de solutions alternatives face aux contraintes politiques et logistiques observées sur les corridors traditionnels utilisés par les États de l’AES.

La mise en service du pont de Rosso, infrastructure transfrontalière soutenue par l’Union européenne (UE) et la Banque africaine de développement (BAD), constitue un élément déterminant pour le développement du corridor Nouakchott-Bamako.[17]  L’achèvement du projet, prévu en 2026, devrait améliorer les conditions de franchissement frontaliers et renforcer la continuité des liaisons via Néma et Nioro.

Sur le plan opérationnel, les autorités mauritaniennes et maliennes ont renforcé leur coordination depuis 2024, notamment en matière de facilitation du transit et de sécurisation du tronçon Nioro-Néma, identifié comme l’un des segments les plus vulnérables en raison de l’activité de groupes armés dans les zones environnantes. La Mauritanie maintient une posture de neutralité vis-à-vis de la CEDEAO et de l’AES, ce qui contribue à la continuité du dialogue bilatéral et au développement de ce corridor.

 Bien qu’encore peu développé, le corridor Nouakchott-Bamako constitue une option supplémentaire de connectivité pour les États de l’AES vers les façades atlantiques. Son utilisation pourrait, à moyen terme, contribuer à diversifier les accès maritimes disponibles pour la région. La viabilité de cet itinéraire reste toutefois conditionnée par la sécurisation des zones traversées, l’amélioration des infrastructures routières et la mise en place de procédures de transit prévisibles pour les opérateurs économiques. 

2.2.3. Le réseau ferroviaire : rupture de service et limites des infrastructures

Le réseau ferroviaire sahélien présente, depuis plus d’une décennie, une dégradation continue de ses infrastructures et une baisse significative de ses capacités opérationnelles.

 La ligne Dakar-Bamako (1 287 km), dont le trafic est aujourd’hui largement interrompu en raison de l’état des ouvrages et de l’absence de maintenance suffisante, fait l’objet d’initiatives de relance conduites par l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine) et le Programme de Préparation des Projets d’Infrastructures (PPDU).  La suspension des services ferroviaires a entraîné un transfert des flux vers le transport routier, augmentant la pression sur les principaux corridors de transit régionaux.[18] 

 En 2025, une mission institutionnelle a été mandatée pour appuyer la préparation de la première phase du projet de réhabilitation, portant sur le tronçon Dakar-Tambacounda, identifié comme étape préalable à la remise en service de l’ensemble de la ligne.[19] Plusieurs institutions régionales et partenaires techniques et financiers, dont la Banque africaine de développement, soutiennent les travaux d’ingénierie et de planification associés. Le projet demeure en phase préparatoire, en raison de contraintes techniques, d’exigences de modernisation importantes et de besoins financiers encore non mobilisés.

Le transport ferroviaire occupe aujourd’hui une place limitée dans les échanges régionaux, en raison d’une part modale faible et d’une capacité opérationnelle réduite.  Les volumes transportés demeurent inférieurs à ceux du trafic routier, du fait de contraintes structurelles telles que la faible coordination régionale, l’insuffisance des capacités de maintenance et l’absence de liaisons transfrontalières pleinement fonctionnelles.[20] La relance du rail suppose une approche intégrée combinant investissements ciblés, renforcement de la gouvernance technique et coopération interétatique soutenue.

2.2.4. Fret aérien : contribution logistique spécifique

Le transport aérien constitue un mode complémentaire aux corridors terrestres pour la connectivité logistique des États sahéliens, notamment pour les flux nécessitant des délais réduits. Bien que les liaisons cargo régulières demeurent limitées, certains services illustrent des capacités opérationnelles existantes.  Depuis octobre 2023, Niger Air Cargo assure une rotation hebdomadaire entre Liège et Niamey, offrant une capacité mensuelle d’environ 150 tonnes.[21] Emirates SkyCargo assure également une liaison hebdomadaire vers Ouagadougou, contribuant à l’intégration des pays sahéliens dans les réseaux logistiques internationaux.[22] 

Les données relatives au fret aérien sahélien demeurent fragmentées et rarement mises à jour, limitant la capacité à évaluer de manière précise les volumes transportés et les capacités opérationnelles disponibles.

L’analyse des corridors met en évidence un réseau logistique disposant de marges d’ajustement limitées, au sein duquel des perturbations ciblées peuvent entraîner des effets de propagation significatifs. L’épisode du blocus Kayes-Nioro constitue un cas d’étude pertinent pour observer la manière dont ces perturbations se diffusent et mesurer leurs implications opérationnelles pour les États de l’AES.

3. Le blocus de Kayes-Nioro :  un révélateur des vulnérabilités logistiques

3.1 Un cas empirique de rupture sur un corridor critique

Depuis juin 2025, des groupes affiliés au JNIM exercent un contrôle bloquant sur l’axe Kayes-Nioro, essentiel pour l’acheminement vers Bamako.[23] L’interruption de ce segment a entraîné une désorganisation rapide des flux, mettant en évidence la dépendance opérationnelle du Mali au corridor Dakar-Bamako. La fermeture, même partielle, de la RN1 a immédiatement affecté la continuité de l’approvisionnement, faute d’itinéraires de substitution en mesure d’absorber les volumes détournés.

 Les tentatives de redéploiement des transporteurs vers les routes du sud (Côte d’Ivoire) ou vers la Mauritanie ont montré leurs limites, ces axes étant à leur tour soumis à des pressions du JNIM. Ce phénomène a davantage traduit un déplacement du risque qu’une véritable capacité de substitution.[24]

Au-delà de l’effet immédiat sur les flux, le blocus a généré une série d’impacts internes significatifs :

Impacts économiques et logistiques

  • Pénurie aiguë de carburant, entraînant une réduction de la mobilité, une hausse rapide des prix et des interruptions d’activité dans le transport, l’énergie et les services essentiels.

  • Ralentissement du secteur aurifère, pilier des exportations maliennes, en raison de difficultés d’approvisionnement et de coûts logistiques accrus.

Impacts sociaux

  • Suspension des cours dans l’ensemble du système éducatif fin octobre 2025, décision prise en raison des difficultés de mobilité et de la diminution de l’offre énergétique.

  • Fonctionnement réduit des hôpitaux et des services publics, affectés par les contraintes de transport et d’approvisionnement.

Impacts sécuritaires et politiques

  • Évacuation préventive du personnel non essentiel par plusieurs ambassades, signe d’une inquiétude accrue sur la sécurité à Bamako.

  • Renforcement des perceptions de vulnérabilité parmi les populations frontalières, souvent confrontées à l’interruption de services et à la raréfaction des produits de base.

Le blocus de Kayes-Nioro montre ainsi comment une perturbation localisée peut produire des effets systémiques dans un environnement logistique déjà contraint. Pour comprendre les mécanismes qui amplifient ces dynamiques, il est nécessaire d’examiner les facteurs structurels qui conditionnent la résilience des corridors sahéliens.

3.2 Facteurs sous-jacents de vulnérabilité des corridors

Le cas de Kayes-Nioro met en évidence plusieurs contraintes structurelles qui limitent la résilience des corridors sahéliens. Parmi elles, cinq facteurs apparaissent déterminants dans la configuration actuelle du système logistique de l’AES :

  1. dépendance à un nombre limité d’axes : les pays de l’AES concentrent la majorité de leurs flux d’importation et d’exportation sur un nombre restreint de corridors, dépourvus de capacités de report suffisantes en cas de perturbation. Cette faible redondance opérationnelle limite les possibilités d’ajustement du système : la mise hors service d’un seul axe peut entraîner des ruptures significatives dans les chaînes d’approvisionnement nationales ;

  2. exposition sécuritaire le long des corridors : selon l’étude Roads and Conflicts in North and West Africa publiée par l’OCDE/SWAC en 2025, près de 70 % des incidents violents enregistrés dans la région se produisent dans un rayon de quelques kilomètres autour des routes principales.[25] Cette concentration s’explique par la vulnérabilité des points de passage et des zones de transit, où les groupes armés mènent des actions visant les convois et les postes de contrôle. Ces dynamiques perturbent la continuité des flux et augmentent les risques pesant sur les opérateurs logistiques ;

  3. contraintes d’infrastructure et congestion portuaire : la qualité variable des réseaux routiers, en particulier sur les tronçons transfrontaliers, limite la régularité et la prévisibilité du transport terrestre au sein de l’AES. Parallèlement, plusieurs ports de la région fonctionnent à proximité de leurs capacités nominales, ce qui accroît les délais de traitement en période de forte demande. L’application, en 2025, d’une surcharge de congestion (PCS) par CMA CGM au port de Conakry illustre cette situation,[26] ce qui montre que tout dépassement de capacité se traduit par une hausse immédiate des coûts logistiques et une réduction de la fluidité des échanges ; 

  4. fragmentation politique et désalignement réglementaire : les transitions politiques successives au sein de l’AES, combinées aux sanctions régionales et à l’évolution des relations avec la CEDEAO, ont accru l’incertitude entourant les régimes de transit et les procédures frontalières.[27]L’absence de mécanismes harmonisés de contrôle douanier et les fermetures ponctuelles de frontières, illustrées notamment par les tensions autour du pipeline Niger-Bénin[28], perturbent la continuité des flux commerciaux et limitent la prévisibilité indispensable aux opérateurs logistiques ;

  5. infiltration criminelle des corridors : plusieurs tronçons routiers sahéliens sont traversés par des flux illicites (carburant, armes, marchandises et mobilité non autorisée), portés par des réseaux qui tirent parti de la présence limitée de l’État dans certaines zones frontalières.[29]Ces activités entraînent des interactions fréquentes avec les flux commerciaux réguliers, augmentent les risques pesant sur les transporteurs et compliquent la mise en place de dispositifs de sécurisation cohérents le long des corridors.

Ces facteurs limitent substantiellement la capacité d’ajustement du système logistique sahélien. Dans un environnement caractérisé par des marges opérationnelles réduites, une perturbation localisée peut produire des effets disproportionnés sur la continuité des flux et les conditions d’approvisionnement. Ce cadre d’analyse permet d’éclairer la portée du blocus de Kayes-Nioro et d’en comprendre les implications pour les États de l’AES.

3.3. Implications régionales et enjeux pour les États de l’AES

 Le blocus de Kayes-Nioro met en évidence la vulnérabilité d’un système logistique caractérisé par une faible diversification des corridors, des capacités d’absorption limitées et par une forte sensibilité aux perturbations localisées. L’interruption d’un segment critique du corridor Dakar-Bamako a entraîné une dégradation rapide des performances d’approvisionnement du Mali, traduite par une contraction des flux, une hausse du coût marginal du transport et par une désorganisation des chaînes de distribution urbaines et interurbaines.

 Les impacts induits ont touché plusieurs fonctions essentielles : (i) réduction de la disponibilité des intrants stratégiques (carburant, biens intermédiaires), (ii) baisse de la capacité opérationnelle des services publics et des infrastructures énergétiques, (iii) ralentissement des activités extractives et industrielles, en particulier dans les zones dépendantes de la logistique routière à haute rotation. Les perturbations observées montrent que la résilience du système reste limitée par l’absence de routes de contournement, la limitation des capacités portuaires alternatives et la faible intégration des réseaux régionaux de transport.

 Pour les États de l’AES, cet épisode souligne l’importance d’une approche systémique de la continuité logistique. La sécurisation des corridors, l’amélioration des standards d’infrastructures, la réduction des frictions réglementaires et le développement de capacités de report modal (portuaire, ferroviaire ou multimodal) deviennent des paramètres structurants de la stabilité économique. Dans un environnement marqué par une interdépendance accrue entre sécurité et performance logistique, la capacité des gouvernements à maintenir des niveaux de service acceptables face aux chocs constitue un indicateur central de résilience institutionnelle et macroéconomique.

4. Conclusion 

L’analyse met en évidence que les performances logistiques des États de l’AES demeurent freinées par la faible redondance des corridors, la variabilité des niveaux de service routier et la forte exposition des segments critiques à des perturbations sécuritaires. L’épisode de Kayes-Nioro illustre un cas de rupture caractéristique d’un système opérant à capacité quasi maximale, sans itinéraires de contournement capables d’assurer la continuité fonctionnelle en situation de stress.

Les données disponibles montrent que l’insécurité, les contraintes liées à l’infrastructure et les frictions à caractère réglementaire entre les États voisins produisent des effets cumulés qui réduisent les marges d’ajustement du système et accroissent la sensibilité des chaînes d’approvisionnement aux chocs exogènes. Dans ce contexte, la logistique sahélienne se caractérise par un niveau élevé de dépendance à des “single points of failure”, où la défaillance d’un tronçon entraîne une dégradation rapide des indicateurs de mobilité des biens, de disponibilité des intrants stratégiques et de continuité des services essentiels.

L’interaction entre les risques sécuritaires, les contraintes opérationnelles et les insuffisances de coordination régionale révèle la nécessité d’approches analytiques intégrant davantage les dimensions de criticité des infrastructures, de capacité nominale, de résilience systémique et de continuité d’activité. Tant que ces facteurs persisteront, la stabilité des flux restera conditionnée par des marges opérationnelles réduites et une forte sensibilité aux perturbations localisées. 

L’étude confirme ainsi l’intérêt d’approfondir les travaux portant sur la vulnérabilité des corridors, la modélisation des scénarios de rupture et l’évaluation des capacités de report modal, afin d’éclairer, à terme, les arbitrages stratégiques nécessaires à l’amélioration de la performance logistique régionale.

Références 

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Reuters, « Niger PM says Benin’s oil export blockade violates accords », Reuters,, 12 mai 2024.https://www.reuters.com/world/africa/niger-pm-says-benins-oil-export-blockade-violates-accords-2024-05-12/

« Drug trafficking undermining stability and development in Sahel region, says new report from UNODC », United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC), 23 avril 2024. https://www.unodc.org/unodc/frontpage/2024/April/drug-trafficking-undermining-stability-and-development-in-sahel-region--says-new-report-from-unodc.html

 


 


[1] « Corridors : le blocus de Nioro met Bamako sous pression », Journal du Mali, juillet 2025.

[2] « La bataille des corridors de l’AES : de nouveaux corridors en compétition rude avec les circuits commerciaux traditionnels », Africa Supply Chain Magazine 2024.    

[3] « At least 40 fuel tankers burned in al Qaeda-linked attack in Mali, sources say », Reuters, 15 septembre 2025.  

[4] « Les chiffres clés du port d’Abidjan », Port Autonome d’Abidjan.

[5] « Activités sectorielles - Transport maritime », Ministère de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire.

[6] « Ivory Coast asks Mali to immediately release 49 arrested soldiers », Reuters, 12 juillet 2022.

[7] Le 10 juillet 2022, 49 soldats ivoiriens ont été arrêtés à l’aéroport de Bamako. Les autorités maliennes les accusaient d’être des « mercenaires », tandis qu’Abidjan affirmait qu’ils étaient déployés dans le cadre d’un dispositif de soutien à la MINUSMA. Cette affaire a provoqué plusieurs mois de tensions diplomatiques avant leur libération en janvier 2023. 

[8] SITARAIL (Société Internationale de Transport Africain par Rail) est une filiale du groupe Bolloré, concessionnaire binational chargé de l’exploitation du réseau ferroviaire entre Abidjan et Ouagadougou.

[9] « AES Corridors: A new rivalry with traditional trade routes », Logistafrica., 2024.

[10] « Ivory Coast: The Port of Abidjan faces stiff competition from other regional hubs », SouthWorld , 2024.

[11] « Performances du Port autonome de Lomé en 2024 : le trafic global en progression de 18,5 % », Agence Togolaise de Presse (ATOP).

[12] « Le Sahel : un espace d’enclavement multiple », Nezha Alaoui M’hammdi et Larabi Jaïdi, Policy Paper, Policy Center for the New South. 2021. 

[13] “Benin removes suspension of transiting goods to Niger’’, Africanews, 28 décembre 2023. 

[14] « Relations compliquées entre le Bénin et le Niger », Republic of Togo, 7 juin 2024. 

[15] « La bataille des corridors de l’AES : de nouveaux corridors en compétition rude avec les circuits commerciaux traditionnels », Africa Supply Chain Magazine 2024.

[16] Ibid. 

[17] « Construction of the Rosso Bridge between Mauritania and Senegal », European External Action Service (EEAS). 24 novembre 2022. 

[18] Banque mondiale. Projet P171122 - Programme de Réhabilitation du Chemin de Fer Dakar-Tambacounda : Document d’information environnementale et sociale, 2021. 

[19] Programme pour le Développement des Infrastructures de la CEDEAO (PPDU). « Mission de haut niveau pour accélérer la mise en œuvre de la phase 1 de la ligne ferroviaire Dakar-Bamako et du corridor multimodal Praia-Dakar-Abidjan », 3-4 juillet 2025.

[20] Banque mondiale. Projet P178362 - SITARAIL Railway Rehabilitation Project: Environmental and Social Review Summary (ESRS), juin 2025. 

[21] « ECS Group’s Niger Air Cargo resumes weekly B747 service », Air Cargo Vision, 15 nov 2023. 

[22] Emirates SkyCargo launches weekly freighter service to Burkina Faso », AACO, 29 janvier 2015. 

[23] “Jihadists’ fuel blockade poses biggest threat yet to Mali’s military rulers.” Reuters. 3 novembre 2025. 

[24] « Des barrages routiers terroristes étranglent les économies du Mali et de ses voisins », Institute for Security Studies (ISS Africa), 23 septembre 2024. 

[25]Roads and Conflicts in North and West Africa, OCDE / Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (SWAC), février 2025.

[26] « Subject : Port Congestion Surcharge (PCS) for Conakry, Guinea », CMA CGM Group. 1er septembre 2025.

[27] « Niger PM says Benin’s oil export blockade violates accords », Reuters. 12 Mai 2024.

[28]. « Frontière fermée, pétrole bloqué : la tension monte entre le Niger et le Bénin », Le Monde, 10 juin 2024. 

[29] « Drug trafficking undermining stability and development in Sahel region, says new report from UNODC », United Nations Office on Drugs and Crime (UNODC). 23 Avril 2024. 

 

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