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Recul de l’opposition et émergence de nouveaux partis : analyse des résultats des élections législatives et municipales au Cameroun
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April 22, 2020

Initialement prévues en 2018, et reportées à deux reprises, les élections législatives et municipales ont finalement pu se tenir le 9 février dernier dans un contexte marqué par l’affrontement armé en zone anglophone entre forces gouvernementales et séparatistes, ainsi que par le refus de participer d’un des principaux partis de l’opposition.

Un recul notable de l’opposition

Une lecture des résultats du scrutin du 9 février, tels qu’annoncés par le Conseil Constitutionnel, montre un net recul de l’opposition au profit de la mouvance présidentielle constituée du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) et de ses alliés. Le RDPC, en obtenant 152 sièges sur les 180 que compte l’Assemblée nationale, conserve une majorité absolue au sein du Parlement. Le parti du président Biya peut également compter sur le soutien de ses alliés de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), du Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) et du Mouvement pour la défense de la République (MDR) dont le nombre de sièges cumulés est presque équivalent à celui des quatre partis d’opposition représentés à l’Assemblée nationale. En effet, l’opposition n’a pu remporter que 16 sièges au total, ce qui représente une baisse importante par rapport à la législature précédente. Ainsi, aucun parti autre que le RDPC ne sera en mesure de constituer un groupe parlementaire, ce qui confèrera au parti présidentiel un avantage, notamment en termes de temps de parole et de représentativité[1] au niveau des différentes commissions de l’Assemblée nationale. Le bureau de l’Assemblée est ainsi dominé par les élus RDPC dont le président, le premier vice-président et une majorité de questeurs et de secrétaires. L’opposition n’est représentée au bureau que par trois élus aux modestes postes de questeur et secrétaires.  

PCNS

Une sous-représentation de l’opposition également observée au niveau local, puisque le RDPC s’est adjugé une majorité écrasante de communes. Le parti présidentiel a remporté 316 communes sur un total de 360, alors que l’opposition n’a pu remporter que 21 communes.

PCNS

Ce recul de l’opposition est dû à deux raisons principales.  Il s’agit, d’une part, du refus du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) de participer à ces élections et, d’autre part, de l’effet du conflit dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sur le score du Social Democratic Front (SDF). Le MRC a refusé de prendre part à ce double scrutin, car la tenue d’élections dans le contexte de conflit que connaissent les régions anglophones acterait de fait la partition du Cameroun. Les instances dirigeantes du parti ont également critiqué l’absence d’une réforme du Code électoral. Le boycott de ce parti qui, de fait, est le premier parti d’opposition suite à l’élection présidentielle de 2018, prive l’opposition d’un certain nombre de sièges et aurait même eu une incidence sur la participation. Selon les chiffres officiels communiqués par Elections Cameroon[2] (Elecam), le taux de participation est passé de 76,79%, en 2013, à 45,98%. Pour ce qui est du recul du SDF, il est principalement dû à la situation dans les régions anglophones, jusque-là considérées comme les bastions électoraux de ce parti. Le climat d’insécurité qui y règne a empêché à la fois le bon déroulement de la campagne et la tenue du scrutin. Plusieurs candidats du SDF se sont ainsi soit désistés, suite aux menaces des combattants séparatistes, ou soit n’ont simplement pas pu battre campagne. Elections Cameroon a également choisi de regrouper plusieurs bureaux de vote dans des sites centralisés pour sécuriser le déroulement du scrutin. Ces centres de vote, parfois très éloignés des électeurs, ont fortement impacté la participation. Un état de fait qui a poussé le Conseil constitutionnel, suite à des recours du SDF, à prononcer l’annulation de l’élection des députés à l’Assemblée nationale dans onze circonscriptions[3] et la tenue d’élections partielles dans les localités concernées par cette décision. Les résultats de ce nouveau scrutin, tenu le 22 mars, ont confirmé le recul du SDF, puisque le RDPC s’est adjugé les treize sièges sur lesquels ont porté ces législatives partielles. Le taux de participation de 9,5% dénote, également, d’une faible capacité du SDF à mobiliser son électorat traditionnel dans le contexte actuel.

Un impact sur la gestion de la crise anglophone et sur les échéances électorales à venir

Les résultats de ce double scrutin, particulièrement ceux des législatives, auront un impact important sur la gestion de la crise anglophone, en ce sens que la majorité confortable obtenue par le RDPC et ses alliés devrait signaler le maintien de la ligne directrice suivie jusque-là dans la gestion de cette crise. Cette ligne dont les principaux déterminants sont la sécurisation militaire des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et une implémentation des recommandations du Grand Dialogue National[4], notamment en ce qui concerne le statut spécial accordé au deux régions anglophones et la reconstruction. Le Président Biya a signé, à cet effet, le 23 mars 2020, un décret portant création, organisation et fonctionnement du Comité de suivi de la mise en œuvre des recommandations du Grand Dialogue National. Une approche fortement critiquée par une partie de l’opposition qui appelle à un retour au fédéralisme et à un dialogue inclusif comprenant la tendance séparatiste, en vue de parvenir au règlement durable de la crise anglophone.

Par ailleurs, l’entrée remarquée du Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN) à l’Assemblée nationale est peut-être le signal d’un nouvel équilibre des forces dans les rangs de l’opposition en faveur de ce nouveau parti créé en 2019. L’absence du MRC du jeu institutionnel pour les cinq prochaines années, le recul du SDF, du fait de la crise anglophone, et le nombre de sièges obtenus à l’Assemblée nationale font aujourd’hui du PCRN un parti de premier ordre sur le plan national. Cette dynamique pourrait profiter au parti et à son jeune président national Cabral Libii, en vue du prochain scrutin présidentiel. Un report de voix en faveur du candidat PCRN pourrait ainsi s’opérer, puisque le MRC ne pourra vraisemblablement pas investir de candidat pour cette élection du fait de l’absence de représentativité au niveau des institutions. En effet, les conditions d’une telle investiture stipulent que le parti soit représenté par au moins un conseiller municipal ou un député à l’Assemblée nationale. Les gains réalisés par le PCRN lui confèrent, ainsi, un avantage considérable sur ses rivaux pour l’élection présidentielle de 2025. Ce scrutin, dont les enjeux sont à la fois multiples et cruciaux pour l’avenir du pays, pourrait potentiellement voir se produire une alternance politique du fait de l’incertitude quant aux intentions du président Biya de se représenter pour un neuvième mandat.

 

[1] Cf. Article 20 alinéa 5 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale

http://www.assnat.cm/images/Assembl%C3%A9e_r%C3%A8glement_fran%C3%A7ais.pdf

[2] Organe indépendant en charge de l’organisation des élections.

[3] Il s’agit, selon la décision n°29/SRCER/G/20 du 25 février 2020, des circonscriptions électorales suivantes : Menchum-Nord, Bui-Ouest, Mezam-Sud, Bui-Centre, Bui-Sud, Mezam-Centre, Momo-Est, Menchum-Sud, Momo –Ouest et Mezam Nord (Région du Nord-Ouest) et Lebialem (Région du Sud-Ouest).

[4] Dans son discours à la nNation du 10 septembre 2019, le Président Biya a décidé de convoquer un Grand Dialogue National sur la crise anglophone. Ce dialogue, présidé par le premier ministre Joseph Dion Ngute, a réuni, du 30 septembre au 4 octobre, diverses personnalités dans le but d’élaborer des recommandations en vue de résoudre le conflit qui ravage les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.for

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