Publications /
Opinion

Back
Politique étrangère du Président Biden : l’Iran, un « casse-tête chinois »
February 23, 2021

L’expression « casse-tête chinois » est empruntée pour décrire toute situation noueuse où s’entrelacent les possibilités de solution et où l’intelligence et la lucidité ne peuvent se passer de la patience pour dénouer les boucles multiples et diverses, ou pour trouver le chemin à suivre pour arriver à bon port en dépit des méandres et des labyrinthes.

Le Tangram est le « casse-tête chinois » par excellence. Il s’agit d’un jeu de réflexion, d’intelligence et de patience, d’origine chinoise. Il consiste à reproduire un carré parfait ou des figures précises à partir de formes géométriques formant un puzzle dont la reconstitution n’est pas une tâche aisée.

Ironie du sort, c’est dans ces jeux apparentés à la Chine, pays dont les relations avec les Etats-Unis constituent un défi pour l’administration du Président Biden, que ce dernier doit puiser les techniques nécessaires pour traiter avec l’autre challenge auquel le nouveau Président fait face, celui que représente l’Iran.

En effet, de par sa complexité, le dossier iranien appelle le Président américain à avoir recours aux techniques du Tangram comme meilleur exemple parmi les « casse-têtes chinois », pour s’inspirer dans ses tentatives de dénouer la situation avec la République islamique d’Iran.

L’Iran, un « casse-tête chinois »

Le Président Joe Biden avait promis, à peine la campagne électorale lancée, le retour des Etats-Unis dans plusieurs accords et organisations que son prédécesseur avait quittés ou dénoncés de manière hâtive et parfois mal réfléchie. Ce fut le cas de l’accord sur le climat ou encore l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) que les Etats-Unis ont réintégrés dès les premiers jours de l’investiture du Président Biden. Le cas de la JCPOA (Joint Comprehensive Plan Of Action) relatif au projet du nucléaire iranien a cependant été différé du fait de la complexité que revêt le dossier des relations américaines avec l’Iran. La tempérance de Joe Biden sur la réintégration des USA dans cet accord est compréhensible.

Il est difficile de réduire le différend entre Téhéran et Washington au deal sur le nucléaire iranien. Ce deal n’est en effet qu’une pièce parmi plusieurs autres, éparpillées dans le désordre sur la potentielle table de négociations entre les deux protagonistes. Ces pièces ne peuvent être rassemblées dans l’ordre voulu pour construire une figure cohérente d’entente et de paix qu’au prix d’actions patientes, étudiées et intelligentes. Le dossier, déjà complexe au vu de la multiplicité des acteurs qui y sont impliqués ; de la diversité des matières à traiter et d’un passif conflictuel historique à solder, avait gagné en complication lors des quatre dernières années avec les comportements tout aussi imprévisibles qu’improvisés du président Trump.

Sept éléments forment le puzzle à reconstituer, exactement comme dans le « Casse-tête chinois » Tangram.

Les sept pièces du Tangram iranien

- Le programme nucléaire iranien qui parait être la pièce la plus importante, n’est en fait que la partie émergée de l’Iceberg ;

- le programme balistique iranien fait partie des efforts iraniens pour changer la balance des forces dans la région et revêt, de ce point de vue, une importance stratégique ;

- la gouvernance en Iran et les droits de l’homme constituent un point important aux yeux de l’administration Biden, bien plus exigeante en la matière que celle de l’ancien président ;

- la relation entre l’Iran et Israël jette de l’ombre sur toute prochaine discussion entre les Etats-Unis et l’Iran. En effet, quelle que soit la position des différentes administrations américaines envers Israël, les USA ne peuvent se départir du soutien qu’ils apportent à ce pays dans son conflit avec l’Iran, notamment en Syrie ;

- les tensions entre l’Iran et les pays du Golfe constituent également une pierre d’achoppement sur laquelle pourrait trébucher tout futur deal entre les Iraniens et les Américains, ces derniers, toutes tendances partisanes confondues, sont convaincus de l’importance stratégique des pays du Golfe dans la politique étrangère américaine et en tiendront compte dans tout accord avec l’Iran ;

- le soutien qu’apporte l’Iran aux miliciens et groupes armés, et principalement au Hizbollah, est un grief que les Etats-Unis ne manqueront pas d’évoquer avant tout retour à l’ancien deal ou l’implication dans un nouvel accord ;

- l’aversion réciproque et le manque de confiance, notamment après le retrait de l’ancien président du JCPOA, et l’intensification des pressions par des sanctions économiques drastiques sur l’Iran qui sont venues s’ajouter à l’assassinat du Général Soulaymani. L’Iran exigera certainement des garanties avant d’accepter un quelconque accord dans le futur.

Si les USA veulent résoudre la question iranienne, ils doivent nécessairement ranger les sept parties du puzzle pour reconstituer l’image d’une relation apaisée avec l’Iran.

Un package à trois niveaux de difficulté

En plus de la difficulté que présente la reconstitution du puzzle, le traitement de la question pose différends défis :

- le premier est procédural. Comment les Etats-Unis et l’Iran dialogueront-ils ? Directement ou par le biais de pays tiers, en l’occurrence les pays européens impliqués dans le JCPOA ? Par ailleurs, le bras de fer pose des problèmes d’ego entre les deux pays. L’Iran exige le retour des USA au JCPOA et l’abandon des sanctions avant de revenir sur le niveau d’enrichissement de l’uranium que le pays a atteint depuis qu’il s’est départi de ses engagements dans l’accord sur le nucléaire (22%). De l’autre côté, les USA exigent que l’Iran respecte les clauses du JCPOA avant d’y revenir, et soutiennent que les sanctions ne sont pas toutes liées à l’affaire du nucléaire et que la levée totale des sanctions n’est pas fonction de la seule conformité aux clauses JCPOA. Qui, donc, fera la première concession pour dénouer la situation ?

- le deuxième défi concerne la substance. S’agit-il d’un nouvel accord qui inclura en plus du nucléaire, les autres griefs reprochés à l’Iran par les USA et ses alliés européens ; d’un simple retour des USA au JCPOA ou de protocoles additifs à l’ancien accord ? La question dans le cas d’un nouvel accord reviendrait à se demander si d’autres pays feront partie du nouveau deal ;

- un troisième défi serait d’assainir l’atmosphère et de solder les passifs d’hostilité et des préjudices subis (assassinat de Kacem Soulaymani par les forces spéciales américaines et attaques des bases et ambassade américaines en Irak par les proxys iraniens). Est-il possible de trouver une solution aux différends qui opposent les deux parties, sans le rétablissement d’un minimum de confiance ?

 

Un nouveau climat de détente est, certes, attendu entre les Etats-Unis et l’Iran, aussi bien au vu des intentions à maintes fois exprimées par le Président américain qu’au regard des déclarations des responsables iraniens. Cependant, les deux parties rechignent à se faire des concessions pour assainir l’atmosphère et permettre l’apaisement de leurs relations. Ces postures n’entraveront pas l’émergence d’un compromis, mais en retarderont certainement la survenue.

RELATED CONTENT

  • Authors
    Pascal Chaigneau
    Amiral Oudot de Dainville
    Thierry Garcin
    Jacques Gravereau
    Sonia Le Gouriellec
    Anne-Sophie Raujol
    October 17, 2019
    Les Dialogues Stratégiques, une collaboration entre HEC Center for Geopolitcs et Policy Center for the New South, représentent une plateforme d’analyse et d’échange biannuelle réunissant des experts, des praticiens, des décideurs politiques, ainsi que le monde universitaire et les médias au service d’une réflexion critique et approfondie sur les tendances politiques mondiales et les grandes questions d’importance commune pour l’Europe et l’Afrique. Cette publication est issue de la ...
  • September 13, 2019
    Au moment où le multilatéralisme se trouve mis à mal dans sa triple dimension de maintien de la paix et de la sécurité internationales, du développement du commerce international et de la lutte contre le changement climatique, de plus en plus de voix s’élèvent appelant à une réforme en profondeur des instances chargées de promouvoir ces objectifs fondamentaux de l’agenda international. Ce vent de réformes ne semble épargner ni l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), ni la Banque ...
  • Authors
    July 1, 2019
    Few weeks ago, I gained the chance of reading the UN Security Council resolution 2468 of 30 April on MINURSO , and was surprised by the frequently repeated expression of “Morocco, the Frente Polisario, Algeria, and Mauritania”, instead of the previous “all parties and neighbours”. Besides, it was reported that the US representative twice referred to “Morocco, the Frente Polisario, Algeria, and Mauritania” in his short remark in the Security Council meeting1. Shortly after that, I co ...
  • Authors
    June 27, 2019
    Caribbean and African ties run deep. They are based on a shared history, culture, and sense of a common identity forged by the slave trade which forcibly relocated more than 10 million Africans to the New World, in the process, creating large centres of African Diaspora in the Caribbean and elsewhere. The common historical experiences of slavery and colonialism inspired formation of the Pan-African Movement in the first half of the 1900’s led by the African Diaspora outside of Afric ...
  • Authors
    May 22, 2019
    The trade tensions between the United States and China will cause only minor immediate damage to their giant economies. However, tariffs have important and diverse effects on individual sectors and cause heightened uncertainty. The main adverse effects on Sub-Saharan Africa will therefore be through global investor confidence, economic growth and commodity prices, and these effects could be severe if the dispute escalates further and endangers the rules-based trading system. The tra ...
  • Authors
    March 26, 2019
    The opening of the border between Ethiopia and Eritrea symbolized an important phase in the newfound relations between the two. Since their rapprochement in June 2018, events have occurred at a frenzied pace, yet much was still in the political arena and removed from demonstrating tangible benefits to average citizens. By opening the border, the leaders of Ethiopia and Eritrea changed that. Yet the border opening also reveals an insight into a previously isolated and largely closed ...
  • Authors
    February 21, 2019
    L’arène africaine n’est qu’un épisode dans le feuilleton sino-américain, mais l’importance du continent comme opportunité pour les grandes puissances en fait également un espace où s’expriment les rivalités de ces puissances. C’est sous cette enseigne que pourrait se lire l’amorce du retour de l’Afrique dans l’agenda des intérêts américains. ...
  • Authors
    Ibraheem Sanusi
    February 14, 2019
    The author of this blog, Ibraheem Sanusi, is an alumnus of the 2018 Atlantic Dialogues Emerging Leaders program. Over 84 million Nigerians are expected to participate in the upcoming general elections, the fifth election since the country returned to democratic rule in 1999. The Presidential and National Assembly as well as the Governorship and State Houses of Assembly elections scheduled for the 16th of  February and the 2nd of March respectively, have attracted 23,316 candidates ...