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Le Sommet UE-UA 2022 : pour une interdépendance équilibrée
February 22, 2022

Le sommet afro-européen des 17 et 18 février 2022 à Bruxelles marque la sixième édition de la rencontre de haut niveau entre les deux continents. Ce sommet, organisé traditionnellement en alternance entre l’Afrique et l’Europe, intervient dans un contexte régional et international marqué par la perspective de sortie de la pandémie de la Covid-19, l’épreuve de force entre l’Occident et la Russie et les turbulences que connaissent certaines régions africaines. Face à une Europe diminuée par le Brexit et enregistrant des remous internes, l’Afrique présente l’image d’un continent qui, malgré ses défis sécuritaires, continue de jeter les bases de son unité et de promouvoir son intégration à travers la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Ce faisant, le continent aspire à bâtir avec l’Union européenne (UE) un partenariat approfondi et rénové.

En mars 2020 à Addis-Abeba, l’UE avait dévoilé, par l’intermédiaire de la Commission européenne, dans un document intitulé « Vers une stratégie globale avec l’Afrique », sa vision de la relation avec l’Union africaine (UA), alors que le continent est traversé par des mutations profondes, le confrontant à des défis économiques et sécuritaires critiques. La nouvelle stratégie de partenariat UE-UA ambitionne d’arrimer les continents africain et européen l’un à l’autre, tout en apportant une réponse adaptée et circonstanciée aux défis économiques et sociaux communs à l’espace euro-africain.

Aujourd’hui, au moment où l’Afrique ambitionne de diversifier ses alliances et ses partenaires, l’UE voit en la concurrence étrangère une nouvelle raison pour repenser son « offre de développement » pour l’Afrique, basée sur un cadre de partenariat co-construit et plus équilibré. À une échelle multilatérale, l’UE demeure le premier partenaire économique de l'Afrique, mais au niveau bilatéral, la Chine continue de renforcer son positionnement en diversifiant les cadres et plateformes économiques et en apportant, parfois, des réponses innovantes aux malaises économiques et sociaux du continent. Dans cette perspective, l’UE a prôné le choix d’une nouvelle alliance Afrique- Europe, qui articule les investissements autour de quatre axes convergeant avec les principaux enjeux africains contemporains, en l’occurrence la création d'emplois, l’éducation, l’environnement des entreprises, ainsi que l’intégration économique et les échanges commerciaux. Dans le même ordre d’idées, l’entrée en vigueur de la ZLECAf est un pas conséquent vers la construction d’une entité économique et éventuellement géopolitique de taille systémique, au sud de l’UE. La ZLECAf ne peut que drainer un nouveau souffle et incarner l’esprit du cadre d’un partenariat plus équilibré, dotant l’Afrique de la posture nécessaire pour mieux structurer ses relations avec le marché commun européen.

La nouvelle stratégie de partenariat UE-UA repose principalement sur l’articulation des logiques de coopération Nord-Sud, afin de favoriser, d’une part, l’émergence d’un écosystème économique à la fois intégré et modulaire répondant aux besoins de la nouvelle Afrique et, d’autre part, de réinventer les relations eurafricaines dans le cadre d’un partenariat stratégique d’égal à égal. Elle propose une nouvelle forme de coopération comprenant la mise en place de six partenariats sectoriels qui, de surcroît, constituent les principaux axes de ce 6ème sommet, où les chefs d’État et de gouvernement des deux continents ont cherché « à jeter les bases d’un partenariat renouvelé et approfondi ».

Ce sommet est l’occasion d’insister sur le besoin de capitaliser sur des logiques de coopération et d’intégration Nord-Sud, afin de réinventer le paradigme des relations UE- UA, au service d’une prospérité partagée et durable des deux continents. Parallèlement, l’Afrique a tout intérêt à enrichir ses partenariats, par un cadre large de collaboration Sud-Sud où la projection du concept « New South » s’investit à tirer des avantages dynamiques d’une ouverture plurielle.

Les discussions ont porté notamment sur les composantes sécuritaire, migratoire et commerciale de cette coopération. À l’occasion de ce sommet, un groupe de Senior Fellows et de chercheuses et chercheurs du Policy Center for the New South ont voulu apporter un éclairage sur les relations UE-UA ainsi qu’une contribution à la réflexion sur le nouveau partenariat souhaité par le continent africain.

Sur l’état des lieux de la relation UE-Afrique, Len Ishmael, Senior Fellow, dresse le constat d’un partenariat inabouti pour permettre de résoudre les problèmes au cœur du développement de l'Afrique et apporter des réponses à ses défis de transformation économique. Ainsi, le cadre politique et stratégique actuel proposé par l’UE semble manquer d’ambition au regard des changements géopolitiques de la scène internationale, lesquels offrent aux pays africains de substantielles opportunités de partenariat. Par conséquent, UE et UA devraient adopter de nouvelles lignes de travail reflétant la réalité du paysage géopolitique dans lequel le partenariat est contextualisé, en pertinence avec les besoins de l'Afrique et conforme à ses priorités.

Concernant la paix, la sécurité et la gouvernance, la tenue du 6ème sommet UE- UA reconduit le débat sur le besoin de sceller un nouveau pacte intercontinental en mesure d’arrimer l’un à l’autre, Afrique et Europe, dans la perspective de réinventer le paradigme de cette relation, qui serait désormais placée au service d’une prospérité 

partagée et durable des deux continents. À travers les évolutions récentes au Sahel apparaît la nécessité pour l’Europe d’élaborer avec ses partenaires d’Afrique de l’Ouest les moyens adéquats pour reconquérir les cœurs des populations et les amener à abandonner tout soutien aux groupes armés et toute adhésion à des procédés violents de conquête du pouvoir. En cela, nos experts Mohammed Loulichki, Abdelhak Bassou et Rida Lyammouri recommandent que la stratégie européenne de sécurité examine plus profondément les besoins locaux des régions en crise.

Thématique centrale et point de friction rémanent, la question migratoire et de mobilité des compétences continue de structurer les relations euro-africaines. Sur cette dimension, Aomar Ibourk, Senior Fellow, et moi-même revenons sur le nexus compétence-migration-intégration, où nous estimons que la portabilité des compétences et la conception de mécanismes favorables au développement des systèmes de reconnaissance des qualifications sont essentielles pour gérer l'intégration des immigrés et répondre aux besoins propres du marché du travail africain.

Concernant le financement de la croissance, le contexte pandémique a fortement sollicité les finances publiques, à plus d’un égard. À court terme, les pays africains devraient actionner le levier budgétaire pour accompagner les dépenses consacrées à la vaccination et au traitement de la Covid-19. A moyen terme, les dépenses budgétaires sont appelées à soutenir la croissance potentielle du continent. Selon Hinh T. Dinh, Senior Fellow, les investissements en infrastructures mais aussi dans le capital immatériel à l’image de l’éducation, la santé et le climat des affaires s’avèrent tous des voies incontournables vers l’engagement de l’Afrique sur le sentier de la croissance pérenne et résiliente.

Axe prioritaire, l’agriculture en Afrique relève plusieurs défis tels que la démographie croissante à l’œuvre d’une augmentation de la demande ou encore la faiblesse des rendements pesant sur l’offre. Aussi, notre Senior Fellow Henri-Louis Védie estime qu’une agriculture raisonnée est la voie pour garantir la sécurité alimentaire des Africains. Pour sa part, l’UE semble miser sur l’agriculture durable, qui valorise l’existant et tient compte des contraintes, notamment le vieillissement de la population et les enjeux de la mondialisation. Cette divergence de modèles ne doit pas constituer un obstacle pour sonder le terrain d’une coopération agricole plus dense entre l’UA et l’UE.

Sur le volet des systèmes de santé et production de vaccins, Larabi Jaïdi, Senior Fellow, propose l’idée de développer le dialogue politique en matière de santé, et de l’inscrire comme pilier de la nouvelle stratégie de l’Afrique avec l’UE, tout en définissant les priorités stratégiques dans ce domaine. La fabrication de vaccins, par exemple, devrait être placée en tête des priorités de cette coopération. Il importe de répondre 

aux besoins actuels mais aussi d’améliorer la résilience pour l’avenir. Dans ce sens, nos experts proposent de soutenir le transfert de technologies pharmaceutiques dans un premier temps, dans le but de construire une autonomie stratégique du continent.

Pour ce qui est du soutien au secteur privé, il commence, toujours selon Larabi Jaïdi, par le renforcement de l’accès au financement et une meilleure inclusion financière pour les PME et les TPE, en s’appuyant sur des stratégies de mobilisations innovantes à l’image du cofinancement ou le développement des partenariats public-privé (PPP). L’épanouissement du secteur privé reste également tributaire du climat général des affaires et des plateformes de dialogue avec le secteur public, notamment dans le processus d’intégration économique continentale (ZLECAf).

Pour les échanges culturels, la question mémorielle agite structurellement la relation entre l’Afrique et l’Europe. Les traces du patrimoine culturel africain relatant la légende du continent se trouvent parsemés dans le monde entier, du fait de l’entreprise coloniale qui a provoqué l’érosion de la mémoire patrimoniale africaine. Nouzha Chekrouni, Senior Fellow, souligne que la restitution du patrimoine culturel africain constitue un enjeu majeur de l’avenir des relations eurafricaines post-coloniales.

Finalement, la dernière problématique, et non des moindres, se rapporte au changement climatique, et l’UE y est bien engagée à travers sa stratégie de transition verte, dont le Green Deal représente la pierre angulaire. Ce dernier s’impose à l’échelle mondiale par sa dimension et ses ambitions et sera probablement le déclencheur d’une forte adhésion des économies développées et en développement à la mitigation effective des effets du changement climatique sur notre monde. Selon Rim Berahab et Afaf Zarkik, chercheuses au Policy Center for the New South, l’Afrique a tout intérêt à souscrire aux principes de transition verte pour adapter son système économique à la nouvelle donne climatique et aussi pour se projeter dans un cadre de partenariat plus prometteur avec l’UE. En parallèle, nos expertes appellent l’Afrique à placer sa voix et sa réflexion dans cette logique de collaboration et à saisir l’UE sur plusieurs points critiques pour un avenir vert, prospère et inclusif, en l’occurrence les mécanismes de transferts des technologies vertes et le renforcement du financement.

 

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