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Le débat parlementaire sur la loi de Finances: Lisibilité, transparence et sincérité du budget
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October 28, 2022

Le débat parlementaire sur la loi de Finances va bientôt entamer son cycle annuel. L'examen de la loi de Finances est un temps fort du débat budgétaire. Il est indéniable que la finalité de la représentation nationale est de promouvoir une logique d'efficacité des institutions du Royaume. Le débat déborde naturellement le cadre de travail des commissions et des séances publiques parlementaires pour irradier la presse, les acteurs économiques et sociaux et l'opinion publique. La diffusion d'un ensemble de documents, de rapports et d'annexes assortis au projet de loi est censée expliciter les hypothèses sur lesquelles repose le projet, les objectifs de la politique gouvernementale, ses contraintes et ses choix. Assurément c'est un progrès dans la transparence et la signification des comptes publics. Mais la véritable question est celle de l'utilité réelle de cette masse d'information abondante : est-elle exploitable ? Est-elle utilisée de manière opérationnelle ?

 

Le débat parlementaire : à quand le « dépenser mieux » plutôt que le « dépenser plus »

Si on convient que notre Parlement n'est pas réduit au rôle d'une simple chambre d'enregistrement, le sentiment prédomine qu'il n'exerce pas les pouvoirs qui sont les siens en matière de contrôle et d'évaluation des dépenses publiques. Pourtant, les prérogatives du Parlement en matière financière et budgétaire ne sont pas aussi réduites que ne le laisserait supposer une opinion très répandue. Un pouvoir d'amendement certes limité, mais réel. Toutefois, l'exercice de ce pouvoir fait apparaître plusieurs types de dysfonctionnements. Le moindre n'est pas l'attention, presque exclusive, portée lors des débats budgétaires au domaine fiscal. Alors que l'examen des dépenses est dépourvu d'intérêt. Dans les interventions des parlementaires, la logique tacite en faveur de l'augmentation de la dépense l'emporte sur l'appréciation de l'efficacité de la dépense. Par ailleurs, le Parlement dispose de prérogatives extrêmement importantes en matière de contrôle de la dépense publique, mais elles sont peu utilisées.

Il y a une dizaine d’années, l’État, par le biais du ministère des Finances, s’est engagé dans une réforme de la politique budgétaire. Un slogan objectif résumait la procédure et la finalité de cette réforme : substituer à une logique de dépense une logique de résultats. De quoi s’agissait-il en définitive ? Il s’agissait que l’Administration rompe avec la tradition du toujours plus et qu’elle soit rendue sans cesse attentive à l’efficacité de son action. Il s’agissait de projeter les données sur la moyenne ou la longue période et de ne pas être paralysé par le court terme et l’annualité. Il s’agissait que le Parlement joue pleinement son rôle en contrôlant réellement les dépenses publiques, en discutant du fond des sujets et non des données chiffrées incompréhensibles…et souvent faites pour l’être, en disposant d’une vision complète et non pas tronquée de la sphère publique pour arrêter ses choix et veiller à leur respect. Bref, il s’agissait d’améliorer l’efficacité de la dépense publique et, avec ambition et pragmatisme, de revenir à la source de la légitimité parlementaire. Ou en sommes-nous aujourd’hui de ce chantier complexe ?

Nous sommes conscients que la réforme de la loi organique des finances publiques a introduit un changement considérable dans l’élaboration et le suivi de l’exécution du budget. Des dispositifs ont été mis en place sur cette durée. Certains sont entrés en application, d’autres sont restés au milieu du gué. D’autres ont de la peine à trouver leur mode opératoire et à se diffuser à l’ensemble (CDMT). D’autres, enfin, attendent de nouvelles avancées dans la mise en œuvre de la loi organique des finances.

Dans ce processus de changement, on observe que la préoccupation de l’efficacité de la dépense publique ne suscite pas encore l’intérêt requis dans la discussion parlementaire. Elle devrait l’être davantage. Chaque projet de loi devra être assorti d’une étude d’impact, précisant l’adéquation entre les objectifs et les moyens à mettre en œuvre. Les crédits budgétaires devront être, à terme, présentés et votés par programme et assortis de résultats, précis et chiffrés. 

L’information du Parlement devra être notablement améliorée par la présentation d’une comptabilité patrimoniale et de comptes consolidés, ainsi que par des projections à moyen terme des principaux postes budgétaires de l’État. Toute mesure de réforme fiscale devrait être assortie d’une simulation. Le travail de contrôle et d’évaluation réalisé par le Parlement ne prendra véritablement sa signification que si la loi de règlement, qui solde le budget de l’année précédente, est votée avant la loi de Finances et si celle-ci tire tous les enseignements des observations faites par le Parlement. De même, l’examen de la loi de Finances n’a pas été réaménagé pour mieux dégager les grands choix budgétaires et mieux prendre en compte le travail des commissions. Quant au débat en séance publique, avec votes, on doute qu’il ait permis aux députés de se prononcer plus clairement sur les grandes orientations de chaque politique publique.

 

Veiller à l’application rigoureuse des règles de la transparence et de la sincérité de l’information budgétaire

Rendre un budget lisible aux élus exige aussi que l’exécutif veille à l’application rigoureuse des règles de transparence et de sincérité dans l’établissement du budget. C’est une question d’une ardente actualité. Les dispositifs financiers de la Constitution de 2011, la réforme de la loi organique des finances confirment la pertinence du débat sur ce thème à la fois complexe et d’une grande sensibilité. La transparence des finances publiques a une exigence préalable : la sincérité de l’information financière produite et diffusée par l’administration des finances publiques. C’est que la notion de « transparence » recouvre deux acceptions. La transparence administrative, c’est-à-dire le fait pour l’administration de porter à la connaissance du public les informations dont elle dispose. La transparence du fonctionnement de l’administration, c’est-à-dire le fait que l’administration rende des comptes sur ses coûts, son fonctionnement et ses performances.

De récurrentes controverses publiques mettent en évidence que l’information financière ne répond pas aux aspirations et aux besoins des responsables publics, des médias, des chercheurs et des citoyens. A titre d’exemple, l’insuffisante connaissance de la situation réelle des effectifs publics et des rémunérations, le manque de transparence dans la gestion de l’emploi public, la fréquente transgression des règles juridiques fondamentales concernant les rémunérations, plus particulièrement les indemnités. Ces pratiques sont rendues possibles par deux phénomènes qui se renforcent mutuellement : la supposition que certaines informations sont sensibles alors que leur diffusion ne constitue pas en soi un risque d’usage inapproprié, d’une part ; le manque de contre-expertise indépendante, d’autre part. Elles nourrissent des mouvements de défiance de l’opinion publique qui y voit une action délibérée de l’exécutif de ne pas diffuser des informations sur les finances publiques pourtant en sa possession, voire de «fausser» l’information sur les comptes publics. Elles alimentent le malaise ressenti par le Parlement en matière d’information économique et financière.

Les lacunes de l’information statistique relative aux finances publiques ne sont pas à démontrer. Quelques exemples : l’imprécision de l’information relative aux recettes et aux dépenses publiques, notamment les données infra-annuelles sur les dépenses ; le refus de diffusion des fichiers ((évidemment « anonymisés ») sur les données fiscales ; les lacunes  sur la comptabilité patrimoniale ; l’absence de rapports de performances pertinents, ce qui fait que la confection d’indicateurs de résultats s’apparente plus à un exercice formel qu’à un suivi rigoureux des objectifs. Toutes ces insuffisances ne permettent pas des débats parlementaires éclairés et ne facilitent pas le contrôle externe de l’administration et encore moins l’évaluation des politiques publiques.

L’information fiable en matière de finances publiques est un devoir éminent de l’État à l’égard de tout citoyen et de la représentation nationale. Critère déterminant pour la transparence des comptes, le principe de sincérité implique que la comptabilité publique donne des « informations adéquates, claires, précises et complètes ». Les entorses à ce principe de sincérité ne résultent pas toujours d’infractions comptables à proprement parler; il peut en effet s’agir de manipulations comptables régulières, mais visant à dissimuler certaines opérations financières, ou à jouer sur l’imputation de celles-ci. Ces manipulations peuvent en particulier être décidées afin d’afficher un solde budgétaire conforme aux objectifs fixés. Il faut reconnaître que les principes d’universalité et d’annualité sont mis à mal par des artifices destinés à amputer le budget de l’État d’une partie de sa substance : l’usage des opérations des budgets annexes et des comptes spéciaux du Trésor est souvent abusif ; les reports de crédits risque deviennent un moyen, marqué d’opacité, de repilotage budgétaire.  

L’édiction d’une obligation de sincérité permettrait de contraindre l’exécutif à davantage de transparence. La loi organique de finances a introduit des articles spécifiques sur la sincérité des informations relatives aux ressources et des charges de l’État et aux prévisions. Ces considérations appellent à faire figurer dans le texte de la loi organique quelques exigences d’information pour un débat plus rigoureux. Ainsi, les rapports économique et financier qui accompagnent les projets de loi de finances devraient être enrichis d’une analyse plus claire sur les hypothèses posées pour les construire.  L’information fournie avec les projets de loi de règlement devrait mieux rendre compte de l’utilisation des crédits ouverts par les lois de finances. La nomenclature des crédits gagnerait en lisibilité en faisant référence à la finalité des dépenses. De nouvelles normes comptables de l’État rénoveraient les dispositifs de contrôle.  De nouveaux systèmes d’information permettraient aux services déconcentrés d’optimiser le circuit de la dépense. Enfin, en faisant certifier les comptes de l’État par la Cour des comptes le contrôle parlementaire sur les finances publiques gagnerait en efficacité et en légitimité. Cette exigence démocratique de transparence sera le meilleur gage de la modernisation de la gestion publique et son incarnation dans une information systématique, exhaustive, claire et fiable.

En fait, la lisibilité, la transparence et la sincérité de nos finances publiques sont susceptibles d'être améliorées. Il existe un certain nombre de points sur lesquels on peut progresser. Le premier c'est le problème d'une meilleure prise en compte des engagements et des droits de l'État. Nous avons aujourd'hui un système qui ne les mesure qu'imparfaitement, et qui ne mesure pas, ou très mal, le hors bilan de l'État, c'est-à-dire les engagements à terme, ceux que l'on ne peut pas comptabiliser au stade budgétaire mais qu'il serait intéressant de connaître pour mesurer les risques et les marges de manœuvre.

Deuxièmement, il est indispensable d'aller plus loin dans le domaine de la comptabilisation patrimoniale. Aujourd'hui on connaît bien le passif de l'État, mais pas très bien l'actif : on connaît à peu près l'actif sur les entreprises, mais la valorisation de cet actif est imparfaite. On connaît pratiquement rien de l'actif immobilier. Voilà un sujet qui mériterait d'être traité de manière plus satisfaisante. Troisièmement, il faudrait associer à ces documents comptables des outils de décision :  des simulations des mesures fiscales, des études d'impact des projets de loi, des indicateurs de résultats précis et chiffrés assortis aux crédits budgétaires. Enfin, l'éclatement de la gestion publique, soit par la voie de la débudgétisation, soit par la voie de la création d'établissements divers et variés, pose problème au regard de la compréhension réelle des enjeux.  Il convient de trouver le moyen de consolider l'État

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de combler les lacunes de notre système d'information budgétaire et comptable. Il s'agit de substituer à une logique de prélèvements et de dépenses une logique d'évaluation des résultats. Il s'agit que l'Administration rompe avec la tradition du toujours plus et qu'elle soit rendue sans cesse plus attentive à l'efficacité de son action. Il s'agit de projeter les données sur la moyenne et longue périodes et de ne pas être paralysé par le court terme et l'annualité. Il s'agit que le Parlement joue pleinement son rôle en contrôlant réellement les dépenses publiques, en discutant du fond des sujets et non de données chiffrées incompréhensibles - et parfois faites pour l'être -, en disposant d'une vision complète et non pas tronquée de la sphère publique pour arrêter les choix et veiller à leur respect. Bref, il s'agit d'améliorer l'efficacité de l'intervention publique et, avec ambition et pragmatisme, de revenir à la source de la légitimité parlementaire, tout en l'adaptant aux données de la société moderne.

 

 

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