Publications /
Opinion

Back
L’Allemagne au Sahel : Un espoir pour plus de développement et de coordination
Authors
May 3, 2019

La chancelière allemande, Angela Merkel, effectue une visite officielle au Burkina Faso en ces débuts du mois de mai, accompagnée d’une délégation d’hommes d’affaires et de responsables de l’économie. La visite est assortie d’une participation à un Sommet du G5 Sahel, dont le Burkina assure présentement la présidence.

Si la question de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme reste toujours de mise, l’intérêt allemand pour la région, et surtout la nature de la délégation allemande, ouvrent plus d’horizons devant les questions de développement humain, jusqu’ici voilées par les impératifs de sécurité. La chancelière l’a d’ailleurs fait savoir dans le discours, mais aussi dans les faits, en annonçant une aide de 460 millions d’Euros, et en demandant à des pays européens  ainsi qu’à l’Union européenne d’unifier leurs efforts et de les coordonner.

Entre le marteau de la violence et l’enclume de la précarité

 La chancelière allemande exprime peut-être un sentiment d’exaspération devant une situation qui ne fait qu’empirer, au niveau sécuritaire, et qui pousse tous les intervenants à se focaliser sur la lutte anti-terroriste en perdant de vue, parfois, les attentes d’une population prise entre le marteau de la violence et l’enclume de la précarité.

En effet, en dépit des assurances rapportées par des déclarations officielles et communiqués des forces intervenant au Sahel, la conjoncture sécuritaire dans la région reste alarmante. Les différentes forces présentes sur le terrain, depuis au moins six ans, n’arrivent même pas à geler une situation qui s’aggrave à vue d’œil et de jour en jour. Non seulement les opérations terroristes s’intensifient, et les victimes se font de plus en plus nombreuses, mais l’étendue de l’espace touché s’élargit et des pays qui semblaient auparavant à l’abri de toute menace se trouvent aujourd’hui dans l’œil du cyclone. L’activisme djihadiste dans la région du Liptako-Gourma rencontrait déjà celui du bassin du Lac Tchad au Sud du Niger. Aujourd’hui, une autre jonction est possible à travers le territoire burkinabé où l’activité terroriste s’étend et menace d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest.

Les crises et conflits, de tout genre, se multiplient et se superposent. Ils sont de plus en plus complexes et nébuleux et ils s’interpénètrent de manière déroutante. Du séparatisme à l’ethnisme, en passant par les querelles politiques et les conflits d’intérêt, les phénomènes s’entremêlent et se nourrissent les uns des autres.

Cette complexité est aggravée par la porosité de toutes les frontières dans la région ; non seulement les frontières physiques entre les Etats sont incontrôlables et non contrôlées, mais il n’existe pas de frontières sociales, économiques et humaines, tellement les peuples et les communautés de la région se mêlent et interagissent entre eux, en dépit du découpage politique qui les articule en Etats séparés, distincts et souverains.

Par ailleurs, aussi bien au niveau transnational que national, ces communautés ont tendance à prolonger leurs relations historiques de coopération, d’amitié ou de belligérance et adoptent vis-à-vis des structures étatiques des attitudes d’indifférence, sinon d’hostilité.

Un voisinage du Sahel qui suscite des inquiétudes

L’exemple du Mali est plus qu’édifiant à cet égard. Le pays avait rencontré, depuis son indépendance, des difficultés afférentes à l’ambition d’indépendance touarègue. Celle-ci touche son paroxysme en 2012, lorsque le MNLA et les groupes d’Al Qaeda investissent le Nord du pays après en avoir chassé les troupes de l’armée officielle. Il s’en est suivi un conflit politique ayant généré un coup d’Etat. Nous assistons, également, à la résurgence d’une belligérance ethnique qui oppose peuls et dogons et qui cache un autre conflit de nature confessionnel entre Musulmans et Païens. Certains expliquent le conflit Peuls/Dogons par l’opposition économico-sociale historique entre pasteurs et agriculteurs.

La crise du Mali n’y est pas confinée. Les Touaregs sont une communauté qui vit également au Niger, au Burkina Faso et en Algérie ; les peuls se disséminent dans tout le Sahel, de l’Océan atlantique à la Mer rouge et les communautés musulmanes couvrent une bonne partie des Etats de la CEDEAO et même au-delà. Tous les ingrédients de la régionalisation des crises maliennes sont disponibles et en abondance.

Le voisinage du Sahel n’est pas pour faciliter l’amélioration de la conjoncture. Au Nord, la région est limitrophe de l’Algérie d’où étaient arrivés les premiers groupes armés qui ont introduit la violence extrémiste au Sahel. De plus, ce même pays, impliqué dans le processus de paix et de réconciliation au Mali, semble aujourd’hui en crise en raison des aléas qui entourent la crise de l’alternance politique. Un autre voisin du Nord est la Libye où la situation n’est pas des plus stables, en dépit de projets de solution qui n’ont qu’un effet d’annonce. A l’Est, la région du Sahel partage la frontière tchadienne avec le Soudan, un autre espace où règnent des turbulences et qui constitue, avec la Libye, une autre source de procuration d’armes de différents sortes et calibres. Le même Tchad, membre du Sahel, partage sa frontière sud avec la République d’Afrique centrale, un autre foyer de tension qui interfère obligatoirement avec les turbulences sahéliennes.

Le poids des rivalités entre les différents intervenants

Les philosophies d’intervention au Sahel s’adossent, chez l’ensemble des puissances, à la paix et à la sécurité dans le continent ainsi qu’à une volonté affichée d’aider l’Afrique dans ses efforts de développement. Cependant, les actions puisent également leurs motivations dans les intérêts des pays intervenants, leurs idéologies et leurs doctrines de politique étrangère. Chinois, Américains, Français ou Russes, pour ne citer que ceux-ci, ont des intérêts divergents, sinon opposés en Afrique. Leurs visions du développement du continent diffèrent et leur perception des menaces et conception des solutions convergent rarement. Les puissances étrangères sont même rivales en Afrique, laquelle rivalité impacte négativement les pays africains.

C’est dans ce cadre, empreint de divergences et de rivalités, que s’inscrivent les interventions sécuritaires en Afrique. Plusieurs pays et organisations œuvrent pour la paix et la sécurité en Afrique, et cette multitude de pays génère une multiplication d’initiatives portant le cachet propre de leurs initiateurs, sans souci pour des mécanismes de coordination des actions ou de convergence des perceptions.

La participation de l’Allemagne, avec ses soucis de développement, à ce ballet d’intervenants, et l’appel à la coordination lancé par la Chancelière, portent une lueur d’espoir pour que le Sahel puisse voir le développement humain accéder au même niveau d’intérêt que les questions sécuritaires et que cesse la prolifération d’initiatives, prises individuellement, au profit d’un effort coordonné.

RELATED CONTENT

  • September 24, 2021
    Bien qu’il ait basé ses deux mandats sur la lutte contre l’insécurité et la corruption, le président Buhari se heurte aujourd’hui à de multiples échecs et ne peut aujourd’hui que constate ...
  • Authors
    September 22, 2021
    Face à la concurrence mondiale croissante, les Emirats arabes unis (EAU) ont pu constater le retard enregistré dans le domaine maritime dans les points stratégiques traditionnels au début du 21ème siècle. Pour autant, le pays détient une position importante sur la scène internationale en ce qui concerne le transport maritime. Grâce à la DP World, instrument diplomatique émirati, le lancement d’initiatives permettant au pays de regagner une place et une implantation dans différents p ...
  • September 15, 2021
    La récente rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc a remis au centre de l’actualité un important projet gazier, le gazoduc Maghreb-Europe (GME), dont on ne parlait plus beaucoup depuis un bon moment. Qu’est-ce que le GME et que représente-t-il en termes de flux gaziers ? Trois gazoducs pour exporter le gaz algérien vers l’Europe Le GME fait partie d’un ensemble de trois gazoducs qui relient l’Algérie, pays producteur et exportateur de gaz naturel, à l’Union ...
  • September 7, 2021
    Le 24 août 2021, le Ministre algérien des Affaires étrangères a convoqué une conférence de presse pour annoncer la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, avec effet immédiat. Cette décision, d’essence unilatérale, diffère de la rupture qui découle d’une décision adoptée par le Conseil de sécurité dans le cadre du Chapitre 7 de la Charte des Nations unies. En effet, dans le cas des pays qui font l’objet de sanctions, comme l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, le Cons ...
  • August 24, 2021
    L’année 2021 marque le renouvellement d’une stratégie commune entre l’Union européenne et l’Union africaine. Dans un contexte de pandémie mondiale et face aux défis de la transition écolo ...
  • Authors
    August 17, 2021
    The EU and Africa aim to put their cooperation on a new footing. Thus, the EU Commission proposed in March 2020 close future relations based on five partnerships: 1) for green transition and energy access; 2) for digital transformation; 3) for sustainable growth and jobs; 4) for peace and governance; and 5) on migration and mobility. Hopefully, both sides can discuss and adopt the strategy at the next EU-Africa-Summit. The present study deals precisely with the third aspect, i.e. ec ...
  • August 16, 2021
    Abdelhak Bassou is one of the leading national and African security experts. He is a Senior Fellow at the Policy Center for the New South and a highly appreciated professor at the elite University Mohammed VI, near Marrakech. His opinions provoke thoughts and comments, just as they should. The Policy Center for the New South’s Annual Report on Africa’s Geopolitics, coordinated by Mr. Bassou, contains numerous reports on the damaging effects of COVID-19 on Africa’s societies: ‘Impact ...
  • Authors
    August 11, 2021
    The ongoing war in the Tigray region of Ethiopia has resulted in the world’s worst humanitarian crisis in a decade. The escalating conflict has led to the death and displacement of thousands of civilians, raised ethnic tensions in Ethiopia, and caused a food crisis that could lead to widespread famine. Much can be said about this conflict—how it revolves around models of governance and conflicting visions of self-determination, and how its impact will be felt across the region. Here ...
  • August 3, 2021
    De toutes les régions africaines, le Maghreb est de loin la région la moins intégrée, tant sur le plan politique qu’économique. Pourtant, elle réunit les éléments nécessaires pour créer un ensemble régional ; la proximité géographique, l’interdépendance économique et sociale et l’homogénéité cognitive, plus spécifiquement les similitudes des valeurs. Cette étude traite de la dynamique maghrébine durant l’année 2020, à travers l’analyse des enjeux et de leurs conséquences sur les per ...