Publications /
Opinion

Back
Analyse à chaud des élections de mai 2019 en Afrique du Sud
Authors
May 13, 2019

A la question de savoir qui a gagné les élections du 8 mai en Afrique du Sud, une seule réponse s’impose : L’ANC. Cette réponse suppose qu’il y a un perdant et conduit, donc, à une deuxième question : Qui a perdu les élections de Mai 2019 en Afrique du Sud ? Aussi étonnant que cela puisse paraitre, la réponse est, là aussi, l’ANC. 

L’ANC a gagné, mais il est toujours mal en point

En Effet, le parti cher à Mandela a gagné les élections, mais a perdu en audience et en confiance. Des 11 500 000 voix que le parti avait engrangées en 2014, il n’a conservé que 9 750 000 et, après avoir gagné 62,15% du suffrage en 2014, il ne fait que frôler les 58%, sans les atteindre.

Vingt quatre heures avant les consultations, j’avais, dans cet article dépeint les forces et les vulnérabilités de l’ANC à la veille de ce scrutin, et j’avais conclu que les vulnérabilités l’emporteraient sur les forces. J’en avais déduit que le parti gagnerait mais descendrait sous la barre des 58%. Le parti n’a, en effet, rassemblé que 57,5% ; voir tableau des résultats ci-dessous.

PCNS

J’avais introduit mon analyse par l’esprit de division qui régnait au sein du parti depuis décembre 2017, date à laquelle Cyril Ramaphosa a pu accéder à la présidence de l’ANC. Les résultats ont montré que les efforts du nouveau président pour unir le parti n’ont que partiellement réussi, et que la toile de fond restait aux amertumes. Au lendemain du scrutin du 8 mai, et alors qu’on était encore en plein dépouillement des bulletins de vote, Ace Magashule, secrétaire général de l’ANC (resté fidèle au clan Zuma) n’a pas hésité, dans une interview, à minimiser le rôle du président Ramaphosa dans la victoire attendue de l’ANC. Quand on lui avait demandé si l’on devait créditer Cyril Ramaphosa de la victoire de l’ANC, il répondait que ce n’est pas le nom de Ramaphosa qui était sur le bulletin de vote.  On en comprend à quel point le clan des Zuma reste allergique aux voix acclamant Ramaphosa comme le sauveur de l’ANC. Les propos du secrétaire général Magashule venaient en réponse à un membre influent du parti -Fikile Mbalula- qui, auparavant, avait déclaré que « sans Ramaphosa le parti aurait probablement chuté à 40% ».

Au Kwazulu Natal, l’ANC avait gagné 64,5% des voix en 2014 ; il n’en a rassemblé que 54,2% en 2019, en perdant plus d’une dizaine de points ; là aussi force est de constater que la province a soutenu l’ANC, mais en lançant un avertissement à Cyril Ramaphosa à qui les Zoulous ne pardonnent pas d’avoir éjecté de la présidence l’un des leurs. Ce même Ramaphosa, qui s’apprête à mettre en œuvre une procédure d’expropriation des terres sans compensation, qui aboutirait à la perte par le Roi zoulou d’une bonne partie de ses propriétés terriennes. Ace Magashule n’a pas omis de signaler lors de l’interview, citée plus haut : ‘’ Au Kwazulu Natal, où l’ANC a perdu des voix, le résultat aurait été pire si le président Zuma n’avait pas fait campagne ; chacun d’entre nous, a joué un rôle parce que l’ANC n’est pas les individus...’’ Un avertissement à Ramaphosa qui, en langage décrypté, veut dire : « Attention, sans Jacob Zuma tu perds le Kwazulu Natal ». 

Le souci du clan Zuma au sein de l’ANC apparait au grand jour, avant même que les résultats des élections soient officiellement proclamés. Il se décline sous un double objectif :

- Minimiser le rôle de Cyril Ramaphosa dans le maintien au pouvoir de l’ANC et ;
- Remettre en selle le clan de Jacob Zuma mis à mal durant l’année 2018.

A moins d’un deal entre les deux clans, le recul de l’ANC ne ferait qu’aggraver le conflit interne et pousser le parti vers de graves conséquences. 

Au-delà de la crise de l’ANC , que retenir du scrutin du 8 mai ? 

Le taux de participation a reculé de 7 points par rapport aux élections de 2014 ; 65,99% est un taux louable pour toute élection, seulement c’est le plus faible de l’histoire des élections postapartheid en Afrique du sud. Quel malaise traduit ce début de désaffection et de désintérêt pour la politique.
9 110 707 personnes se sont abstenues, soit presque autant que celles qui ont voté pour l’ANC ; et environ trois fois le nombre des voix remportées par l’Alliance démocratique. L’abstention est, en 2019, clairement le deuxième ‘’parti’’ en Afrique du Sud. Une tranche de sud-africains, notamment les jeunes, commence probablement à perdre espoir en la politique.

Résultats finaux des élections 2019

PCNS

Un autre aspect attire l’attention lors de l’analyse des élections du 8 mai 2019 ; ce sont les grands scores réalisés par l’ANC dans les provinces les plus pauvres. Le parti a rassemblé plus de 68% au Cap-Est, 70% au Mpumalanga et 75% au Limpopo. La population pauvre paraît continuer à croire aux slogans révolutionnaires, chantant la lutte pour la libération. Cette population est convaincue que tout ce qui n’est pas ANC est blanc et que tout ce qui est blanc est apartheid. La lutte dans ces milieux est encore, et toujours, une lutte pour la dignité et non pour la prospérité. Cette population pauvre reste fidèle au parti qui constitue, à ses yeux, le symbole de la dignité et de la liberté. C’est dans cette optique que les populations de ces provinces continuent de faire confiance à l’ANC, contre vents et marées. 
La montée, presque vertigineuse, de l’EFF ne passe pas inaperçue. 

Comment est-ce qu’un parti né en 2013, qui cache à peine son hostilité aux blancs, parvient à presque doubler son audience et passer de 6,35% des voix à 10,7%. Est-ce la popularité de sa plateforme d’extrême gauche qui lui a permis ce succès ou, ne constitue-t-il qu’un asile pour ceux qui ont fui l’ANC. Il serait, pourtant, grave de croire d’admettre que le parti doit son succès à cette haine à peine voilée qu’il consacre aux blancs, sentiment exprimé par la phrase désormais notoire de son leader Julius Malema : ‘’ Nous ne détestons pas les blancs ; nous aimons beaucoup les noirs’’. C’est le parti qui porte et supporte avec le plus de fougue possible l’initiative d’expropriation sans compensation des terres. Il pourrait, donc, apporter à l’ANC le nombre de voix nécessaires au parlement pour atteindre le quota des deux tiers exigés pour amender la Constitution et permettre de changer le statut de propriété des terres. L’EFF semble recruter ses partisans dans les mêmes fiefs de l’ANC. C’est dans les provinces où les votes ont été massifs pour l’ANC, que l’EFF a enregistré ses plus hauts scores. 18,64 au Nord-Ouest ou l’ANC a gagné 61,87 ; au Limpopo ou l’ANC a remporté 75% des suffrages, l’EFF en a engrangé 14,83 et l’EFF a gagné 12,7 au Mpumalanga où l’ANC a eu 70% des votes. Ceci est probablement dû au fait que dans sa nature, l’EFF n’est qu’une dissidence au sein de l’ANC.

Incident de parcours ou descente aux enfers ? 

Sur le sillage de l’EFF, deux autres petits partis ont amélioré leurs scores par rapport à 2014. Il s’agit du parti Inkatha (IFP) qui a gagné sur l’électorat de l’ANC au Kwazulu Natal et du VF Plus (ancien Front de la Liberté), arrivé en quatrième position dans six des neuf provinces du pays. L’IFP est passé de 2,4%, en 2014, à 3,8, en 2019 ; et Le VF Plus a atteint les 2,8%, en 2019, alors qu’il n’était crédité que de 0,90% en 2014. Ces deux partis semblent avoir bénéficié des voix des partisans de l’ANC qui ont voulu marquer leur mécontentement, sans pour autant grossir les rangs des partis qui le concurrencent directement.

Les élections de mai 2019, sont-elles un simple incident de parcours dans la vie de l’ANC, ou est-ce l’accélération d’une descente aux enfers de ce parti ?  Le comportement des acteurs dans les semaines qui viennent nous montreront si le parti peut inventer des deals qui lui permettront, non seulement de retrouver son unité, mais également de changer sa vision, pour conduire la bataille du développement, après avoir mené celle anti-apartheid. A défaut, 2024 serait pour l’ANC plus douloureux que 2019.  

RELATED CONTENT

  • Authors
    Khadija Mamouni
    September 30, 2025
    This article analyzes the role played by Türkiye as an emerging “middle power”[1], in Africa over the last two decades. It argues that a certain discontinuity can be identified in Türkiye’s foreign policy approach in Africa. The approach has shifted from short-term involvement with African nations to more focused, constructive, vision-oriented partnerships. In addition, Türkiye’s gradual rapprochement with Africa began with a soft-power approach through a humanitarian, cultural, and ...
  • September 24, 2025
    Il y a presque deux ans, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont quitté la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) - Organisation régionale regroupant quinze pays- pour créer un nouveau groupement d’intégration: l’Alliance des États du Sahel (AES).  Les motivations des trois pays ne sont pas conjoncturelles. Elles reflètent les difficultés de l’Organisation régionale à accompagner les pays en question dans leur quête de sécurité et de développemen ...
  • Authors
    September 22, 2025
    Le Processus des États de l’Afrique atlantique (PEAA), lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en novembre 2023, ambitionne de transformer la façade atlantique africaine — jusqu’ici morcelée et vulnérable — en un espace géopolitique cohérent, intégré et prospère. L’Initiative s’appuie sur les provinces du Sud marocain comme pont stratégique vers les vingt- trois pays riverains de l’Atlantique, et sur une vision d’ouverture Sud-Sud et euro-africaine.Malgré des disparité ...
  • Authors
    Patricia Ahanda
    September 18, 2025
    L’autrice de cette opinion, Patricia Ahanda, est une alumna du programme Atlantic Dialogues Emerging Leaders 2018. Cette opinion a été publiée initialement sur patriciaahanda.paris Dans un monde marqué par l’émergence d’une instabilité géopolitique globale, par la non-linéarité et l’imprévisibilité croissante des rapports de force, le Maroc s’impose comme un leader pivot du Sud global. Un acteur incontournable capable de relier continents, blocs et cultures dans un mo ...
  • Authors
    September 15, 2025
    The October 2025 general elections in Tanzania unfold within a political culture grounded in consensus and institutional continuity. President Samia Suluhu Hassan’s leadership has reopened political space by restoring elite dialogue, easing restrictions on rallies, and facilitating the return of exiled figures. Yet the exclusion of CHADEMA—the principal opposition party—highlights the enduring limits of pluralism. This paper analyzes the Tanzanian electoral process less as a convent ...