Publications /
Opinion

Back
Au fil de l’eau : l'innovation hydrique au Maroc
March 22, 2024

Le Maroc traverse l'une de ses pires périodes de sécheresse. Au cours des 43 dernières années, le Royaume a traversé 7 périodes de sécheresse, présentant des niveaux de sévérité variables. La plus faible pluviométrie a été enregistrée, en 2017, avec seulement 103 mm de précipitations annuelles. Ce qui caractérise la présente sécheresse, c'est sa durée exceptionnelle de six années consécutives, marquant ainsi la période de sécheresse la plus longue de l'histoire du pays. En effet, sur cette période, le cumul des précipitations moyen s'est établi à 127 mm, comparé à une moyenne de 183 mm observée sur la période étudiée, représentant ainsi une baisse significative d'environ 30 %. Cette situation critique se reflète également dans le niveau de remplissage des barrages, qui était de seulement 26 % au 21 mars 2024, contre 34 % à la même période de l'année précédente, ou même 71 %, dix années auparavant (Ministère de l'Équipement, 2024). De plus, depuis 1981, seulement 18 des 43 dernières années ont enregistré des niveaux de pluviométrie supérieurs à la moyenne (figure 1). En d'autres termes, plus de la moitié de cette période a été caractérisée par des années sèches. Cette tendance souligne l'ampleur du défi que représente la gestion de l'eau au Maroc et met en évidence la nécessité de stratégies efficaces pour faire face aux répercussions de la sécheresse sur l'agriculture, l'économie et la sécurité alimentaire du pays.

PCNS

Une situation de déficit hydrique globale exacerbée par une disparité spatiale et temporelle.  La position géographique du Maroc le prédestine à un climat de type tempéré comportant des contrastes dans l’espace et dans le temps. Marquées par cette variabilité spatiale, les précipitations se font rares progressivement en allant vers l’Est, dans la zone méditerranéenne, et vers le Sud, dans la zone atlantique. Les14 bassins hydrographiques que compte le pays sont contrastés en termes de dotation en eau. Bien qu’ils occupent que 22 %, les bassins nordiques, rifains et ceux situés dans le centre du pays fournissent environ 72 % des eaux mobilisables. Les bassins hydrographiques du sud occupent environ 65 % des superficies totales et ne contribuent qu’à hauteur de 5 % des eaux mobilisables en raison de la faiblesse des précipitations au niveau de ces bassins (Mengoub, 2022). Quant à la variabilité temporelle, les modèles de précipitations saisonnières indiquent un changement vers des événements pluvieux plus longs et plus intenses en octobre et novembre, ce qui génère souvent des inondations, tandis que le reste de l'année connaît des réductions significatives des précipitations. On observe également une augmentation de la fréquence et de l'intensité des phénomènes extrêmes tels que les fortes pluies entraînant des inondations dans certaines régions, ainsi que des périodes de sécheresse et des vagues de chaleur dans d'autres zones (Banque mondiale, 2021).

Conscient de l’ampleur du problème, le gouvernement a pris des initiatives et mis en place  des politiques pour améliorer la gouvernance et la gestion de ses ressources hydriques, et ce depuis l’indépendance. Les initiatives déployées ont pour objectif d'assurer un approvisionnement en eau durable pour tous les citoyens, tout en préservant les écosystèmes et en répondant aux défis posés par le changement climatique. Le lancement de la politique des barrages a marqué le début de cette volonté de gestion des ressources hydriques. Instaurée dans les années 1960, cette politique ambitieuse visait principalement à mobiliser d'importantes quantités d'eau pour répondre aux besoins variés des secteurs agricole, de l'eau potable et de l'industrie. Par la suite, une politique de planification à long terme a été mise en place au début des années 1980, pendant la période d'ajustement structurel, visant à réévaluer l'efficience de l'utilisation de l'eau et à introduire de nouveaux instruments de gestion, notamment la tarification de l'eau. La période suivante, dite post ajustement structurel, a été marquée par un changement radical dans la politique de l'eau, passant d'une logique de gestion de l'offre à une gestion de la demande. Un changement technologique majeur a été introduit dans le secteur de l'irrigation, principal consommateur d'eau, notamment à travers la conversion des systèmes d'irrigation vers des méthodes plus efficientes telles que l'irrigation localisée, dans le cadre du Plan National d'Économie d'Eau d'Irrigation (PNEEI). Aujourd'hui, le Programme National pour l'Approvisionnement en Eau Potable et l'Irrigation (PNAEPI) 2020-2027 vise à renforcer l'approvisionnement en eau et l'irrigation au Maroc. Ce programme prévoit des investissements de 115,4 milliards de dirhams pour développer l'offre en eau (barrages, stations de dessalement), gérer la demande (réduction des pertes dans les réseaux de distribution, irrigation localisée), améliorer l'approvisionnement en eau potable en milieu rural, réutiliser les eaux usées épurées et sensibiliser le public. Le PNAEPI constitue la première phase du Plan National de l'Eau 20-50, qui définit les actions à mener pour assurer la sécurité hydrique du pays au cours des trente prochaines années.

Une politique de l’eau ambitieuse, qui a permis de doter le pays d’un patrimoine hydrique important et d’un cadre législatif, relativement performant, a eu un impact positif sur le développement économique et social. Le Maroc s'est doté d'un riche patrimoine de 152 grands barrages, totalisant une capacité de stockage impressionnante de 19,9 milliards de m3, et a lancé la construction de 20 nouveaux barrages pour atteindre une capacité de stockage nationale de 27,3 milliards de m3 à l’horizon 2027. Afin de garantir un équilibre entre les bassins, 16 ouvrages de transfert d'eau, s'étendant sur près de 785 kilomètres au total, ont été mis en place. En parallèle, et afin d’élargir l’offre de l’eau, le pays s’est tourné vers l’utilisation des eaux non conventionnelles, notamment les eaux de mer et les eaux usées. Pour le dessalement, le pays compte actuellement 9 stations opérationnelles avec une capacité de 10 millions de m3 en 2021 (SINEDD, 2024), tandis que 7 autres stations sont en cours de construction ou de lancement, avec une capacité combinée de 396 200 m3 par jour. De plus, avec 41 projets de réutilisation des eaux usées épurées, le Maroc est en mesure de réutiliser près de 32 millions de mètres cubes par an (Ministère de l'Équipement, 2024).  Les projets concrétisés ont eu un impact considérable sur le développement économique et social du pays. D’abord, l’augmentation  des quantités d’eau destinées à la satisfaction des besoins en eau potable avec un taux de croissance annuel moyen sur la période 2016-2022 de plus de 3 %. Ensuite, le taux de raccordement à l’eau potable en milieu rural qui a avoisiné en 2022 les 98 %. D’autre part, ces politiques de l’eau ont également permis d’assurer l’irrigation, surtout en période de sécheresse, et de protéger la production contre les aléas climatiques. En effet, le développement de l’irrigation a permis d’assurer une production agricole stable, même lors de périodes de sécheresse extrême et de diversifier les cultures pratiquées. Il a encouragé le développement les cultures à haute valeur ajoutée destinées à l’exportation et à créer plus de 1,5 million d’emplois permanents et saisonniers dans le secteur agricole. Ces réalisations d'envergure ont été accompagnées de réformes institutionnelles majeures visant à améliorer l'organisation du secteur de l'eau. La promulgation de la Loi 10-95 a consolidé la gestion intégrée, participative et décentralisée des ressources en eau, avec la création des agences de bassins hydrauliques et l'introduction de mécanismes financiers pour protéger et préserver ces ressources. De même, la loi 36-15 souligne l'importance cruciale d'un cadre juridique moderne, encourageant la gestion intégrée et durable des ressources en eau. Cette législation met également l'accent sur la participation des usagers de l'eau, tout en combattant le gaspillage et la fraude.

PCNS

Plusieurs défis restent à relever, notamment l’augmentation de la demande malgré les efforts de l’élargissement de l’offre de l’eau que ce soit par la construction des barrages, l’exploitation des eaux souterraines ou le recours au eaux non conventionnelles. L'un des principaux défis est la croissance constante de la demande en eau, alimentée par divers facteurs tels que la croissance démographique, l'urbanisation rapide et le développement économique. Malgré les investissements dans la construction de barrages pour augmenter la capacité de stockage de l'eau et réguler les débits des cours d'eau, ainsi que l'exploitation accrue des eaux souterraines pour répondre à la demande croissante, l'équilibre entre l'offre et la demande reste fragile. En outre, le recours aux eaux non conventionnelles, y compris le dessalement de l'eau de mer, et la réutilisation des eaux usées épurées, est devenu de plus en plus courant pour compléter les ressources en eau conventionnelles. Cependant, ces méthodes présentent  leurs propres défis, notamment en termes de coûts élevés, de disponibilité des technologies appropriées et de gestion des impacts environnementaux. De plus, la durabilité à long terme de l'approvisionnement en eau est mise en question par les défis posés par le changement climatique, qui peuvent entraîner une augmentation de la variabilité des précipitations, des sécheresses plus fréquentes et des événements météorologiques extrêmes. Tout cela souligne la nécessité de politiques et de stratégies de gestion de l'eau intégrées, qui prennent en compte les aspects sociaux, économiques et environnementaux, pour garantir la sécurité hydrique du pays dans les années à venir.

Références

Banque mondiale, 2021. Climate Risk Profile: Morocco: The World Bank Group.

Banque mondiale, 2023. Maroc - Rapport sur le Climat et le Développement du Pays (CCDR) : Note Technique - Pénurie d'eau et Sècheresses. Washington, D.C. : World Bank Group.

Direction de la météorologie, 2020. Maroc Etat du Climat 2020. Ministère de l’Équipement, de la logistique et de l’eau.

Ministère de lÉquipement et de l’eau, 2023. L’Hydraulique en chiffres. Direction générale de l’Hydraulique.

Mengoub F. 2022. Impact des changements technologique et institutionnel induits par l’irrigation sur la croissance économique et agricole. Thèse de Doctorat soutenue à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. Rabat, Maroc.

SINEDD, 2024. Système d’Information National de l’Environnement et du Développement Durable. Ministère de la Transition énergétique et du développement durable.

RELATED CONTENT

  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    Les conséquences du changement climatique sont de plus en plus visibles au Maroc. Le schéma changeant des précipitations et de la sécheresse, l'augmentation des températures moyennes et des canicules, les inondations et l'augmentation du niveau de la mer affectent de plus en plus de nombreuses régions. Et pourtant, le taux d'émission de gaz à effet de serre (GES) du Maroc est relativement faible, comparé à celui d'autres pays. En 20162, les émissions totales de GES du Maroc ont atte ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    The consequences of climate change are becoming progressively more visible in Morocco. Changes in rainfall patterns and drought, increases in average temperatures and heatwaves, flooding, and rising sea levels are increasingly affecting several regions. Yet, Morocco has a relatively low greenhouse gas (GHG) emission rate, compared to other countries. In 20162, Morocco’s total GHG emissions reached 86127.7 gigagram of carbon dioxide equivalent (Gg CO2-eq), totaling around 0.2% of glo ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    June 28, 2021
    Lors de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui s'est tenue à Paris en 2015, les gouvernements se sont engagés à limiter l'augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Ils se sont également engagés à atteindre, dès que possible, un pic de leurs émissions et à parvenir à la neutralité carbone au cours de la seconde moitié du siècle. Pour autant, m ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    June 28, 2021
    During the 2015 Paris Conference of the Parties to the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), governments pledged to limit the global temperature increase to well below 2°C above pre- industrial levels, to peak emissions as soon as possible, and to achieve carbon neutrality in the second half of the century. Yet, even assuming full implementation of the commitments made by governments in Paris, the global concentration of greenhouse-gas (GHG) emissions will ...
  • Authors
    Sang-Hyun Lee
    Amjad T. Assi
    Bassel Daher
    October 5, 2020
    Our Senior Fellow Rabi Mohtar has co-authored with our economist, Fatima Ezzahra Mengoub along other researchers a research paper entitled « A Water-Energy-Food Nexus approach for conducting trade-off analysis: Morocco’s phosphate industry in the Khouribga region » in Hydrology and Earth System Sciences Journal (Volume 24, Issue 10). The study objective was to develop and use the Water-Energy-Food Nexus Phosphate (WEF-P) Tool to evaluate the impact of Morocco’s phosphate industry ...
  • April 24, 2020
    This paper aims at evaluating the virtual water content in trade in an intra-country perspective and discussing potential tradeoffs between the use of natural resources and value added creation. We develop a trade-based index that reveals the relative water use intensities associated with specific interregional and international trade flows. The index is calculated considering the measures of water and value added embedded in trade flows associated with each regional origin-destinat ...
  • Authors
    Holger Hoff
    Sajed Aqel Alrahaife
    Rana El Hajj
    Kerstin Lohr
    Nadim Farajalla
    Kerstin Fritzsche
    Guy Jobbins
    Gül Özerol
    Robert Schultz
    Anne Ulrich
    May 13, 2019
    Adopting an integrated approach to the management and governance of natural resources including land, water and energy is seen as an effective way to improve the sphere of production while respecting the environment. Fatima Ezzahra Mengoub, economist at the Policy Center for the New South, was invited by Stockholm Environment Institute, alongside other prestigious research centers with expertise in environmental studies, to co-author this research paper and share her analysis of th ...
  • April 26, 2018
    This paper reports the results of an application using an interregional input-output matrix for Morocco together with regional information on water consumption by sectors. We develop a trade-based index that reveals the relative water use intensities associated with specific interregional and international trade flows. We estimate, for each flow associated with each origin-destination pair, measures of trade in value added and trade in water that are further used to calculate our in ...
  • Authors
    Prepared by Global Nexus
    October 13, 2017
    Since inception nearly a century ago, corporations and industries have coevolved with Morocco’s legacy of peace and prosperity. With a growing pressure on agricultural production and natural resources, exacerbated with climate change, there is urgency to define sustainable strategies that would reassure corporations and industries for longterm prosperity and for a healthy economy. Studies have highlighted the perilous state of our natural environment, the exhaustion of our aquifers, ...
  • Authors
    July 28, 2017
    Renewable energy technologies are projected to have substantial growth in the coming decades, especially given the environmental, social and economic drivers observed globally. The Middle East and North Africa (MENA) region encloses abundant alternative energy sources such as solar, wind and hydropower. The concern is more whether the Arab region will be able to respond to and manage the growth opportunities in this emerging sector. This Policy Brief explores opportunities and chall ...