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Opinion
L’Agence française de développement (AFD) et le Policy Center for the New South (PCNS) ont réuni le 17 avril dans les locaux du PCNS, au campus de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Rabat, les acteurs du partenariat public-privé dans le secteur de la formation professionnelle. Cet évènement a permis de mettre en lumière le modèle marocain de partenariat public-privé en la matière, notamment les Instituts de formation à gestion déléguée (IGD).
Cet évènement s’est tenu dans un contexte du marché du travail au Maroc marqué par la montée du taux de chômage. Montée qui a suscité des questionnements sur les dynamiques de l'emploi et les stratégies d'insertion professionnelle. Il s’agit notamment de réflexions gravitant autour de la création d’emplois, des enjeux de capital humain, de la structuration et du développement de filières industrielles, de développement des territoires et d’inclusion économique et sociale pour les jeunes marocains
Les défis persistants de l'emploi au Maroc : intégration des nouveaux entrants et réaffectation des travailleurs
Les intervenants ont abordé la récente augmentation du taux de chômage. C’est ainsi que le ministre de l’Inclusion économique, de la petite entreprise, de l’emploi et des compétences, M.Younes Sekkouri, a fait remarquer que cette hausse découlait d'une série de facteurs démographiques et économiques qui ont profondément modifié le paysage de l'emploi au Maroc.
Le ministre Sekkouri expliquera que la contribution de la dynamique de l'emploi à la montée récente du taux du chômage au Maroc peut être appréhendée à travers trois strates. En premier lieu, la strate de l'emploi salarié, où il est crucial d'avoir une offre qui correspond parfaitement aux besoins du marché, ainsi qu'une capacité d'adaptation agile pour saisir les opportunités qui se présentent. Ensuite, la catégorie des auto-employés, englobant les travailleurs qui génèrent un revenu sans être liés par une relation de travail salariée. Enfin, les chômeurs, dont une partie significative provient du monde rural où de nombreux travailleurs sont employés dans des postes non rémunérés.
Cette segmentation offre un aperçu de la complexité du marché du travail au Maroc, mais surtout de la- contribution des différentes typologies d'emploi à la montée du taux de chômage. Laquelle indique l’effet positif de la création de l’emploi salarié (voir figure ci-dessous). Avec les défis croissants rencontrés, l'emploi salarié présente une source de stabilité et de sécurité pour de nombreux travailleurs. Souvent il offre des avantages sociaux et une protection légale aux travailleurs, contribuant ainsi à renforcer la cohésion sociale et à réduire les inégalités. Sa création et son maintien sont essentiels pour assurer une croissance économique durable et une meilleure qualité de vie pour la population.
Selon les récentes données du HCP (2023), la création de 580 000 emplois rémunérés, principalement sous forme de salariat, témoigne d'une meilleure formalisation de l'emploi, ainsi que d'une augmentation pure du nombre de postes. De plus, les chiffres de la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale) publiés en avril 2023 indiquent une création nette de 313 000 emplois, dont un tiers occupé par des femmes, à la fin de l'année 2022.
Bien que la création d'emplois salariés ait été positive, elle n'a toutefois pas permis de compenser les pertes dans les autres catégories, notamment les auto-employés et les emplois non-rémunérés.
Historiquement, une grande frange des individus constituant les nouvelles séparations trouvaient leur place dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui emploie des travailleurs sans forcément exiger des qualifications élevées, ainsi que dans le secteur du commerce, étroitement lié aux activités agricoles et à la demande. Cependant, en raison d’une conjoncture économique défavorable et d’un ralentissement de la consommation des ménages et des administrations publiques, mais aussi de l’investissement, les secteurs du BTP et du commerce ont connu une baisse, le dernier secteur ayant perdu près de 70 000 emplois.
Ainsi, les défis persistent, notamment en termes d'absorption des nouveaux entrants sur le marché du travail et de réaffectation des travailleurs touchés par des restructurations économiques, telles que la modernisation des secteurs traditionnellement employeurs.
Les atouts multiples de la formation professionnelle
Dans de telles circonstances, les participants ont insisté sur l'importance de la formation professionnelle. Selon eux, celle-ci pourrait avoir un impact positif non seulement sur le fonctionnement du marché du travail, mais aussi sur la productivité et l'attrait pour les investissements directs étrangers (IDE). Toutefois, certains critères sont essentiels pour évaluer son efficacité à l’image de la participation active des entreprises à ces formations ; et les questions de l'échelle et du coût réel de la formation.
« Les résultats de nos recherches tendent à montrer que lorsque la formation professionnelle fait partie intégrante de la politique industrielle, comme dans le cas des projets conclus dans le cadre de partenariats public-privé ; elle a un impact positif sur l’emploi et la productivité des entreprises. Elle constitue ainsi une voie intéressante pour contribuer à améliorer l’insertion des jeunes diplômés sur le marché du travail », tiendra à préciser M.. Karim El Aynaoui, Président exécutif du PCNS.
Aujourd'hui, la participation active de l'entreprise à la formation professionnelle au Maroc est largement reconnue comme une expérience bénéfique. Dans un contexte où l'objectif est de dynamiser le marché du travail et de répondre aux besoins sectoriels en main-d’œuvre et en compétences, faire appel à l'entreprise se révèle être l’une des voies les plus viables. Un retour d'expérience dans ce sens concerne l'accompagnement des grandes politiques sectorielles par les Partenariats public-privé (PPP), tout en assurant une meilleure insertion professionnelle. Cette approche permet non seulement d'adapter la formation aux besoins spécifiques de chaque secteur économique, mais aussi de favoriser une collaboration étroite entre les acteurs publics et privés pour répondre efficacement aux défis de l'emploi et de la compétitivité.
Les PPP, tels que les IGD, demeurent une composante essentielle de l'offre marocaine visant à attirer les investissements, notamment dans les métiers qualifiés à forte valeur ajoutée, favorisant ainsi une intégration et une montée en gamme au sein des chaînes de valeur mondiales. Ces PPP, en particulier les IGD, facilitent l'alignement de la formation professionnelle sur la demande, adoptant une approche axée sur les compétences. Ils jouent un rôle crucial dans la liaison et la structuration des marchés du travail et de la formation, permettant une gestion flexible et une réactivité accrue en matière de main-d'œuvre. En tant que véritables moteurs du système de formation professionnelle, ils renforcent l'adéquation entre la formation et l'emploi, contribuant ainsi à relever les défis de l'employabilité et du développement économique.
« C’est un réel honneur que d’accompagner la dynamique de partenariat public-privé impulsée par le Royaume il y a plus de 15 ans dans le champ de la formation professionnelle. Ce sont 10 IGD dans 5 secteurs stratégiques qui ont été ou sont financés par l’AFD aujourd’hui. S’appuyant sur les acteurs économiques et le secteur privé, le développement de ces instituts contribue à répondre aux enjeux d’une transition vers le Nouveau Modèle de Développement qui prône un Maroc prospère, un Maroc des compétences et un Maroc inclusif », affirmera son excellence M. Christophe Lecourtier, Ambassadeur de France au Maroc.
Flexibilité, réactivité et adaptabilité : la marque de fabrique des IGD
Flexibilité, réactivité, adaptabilité sont les grands atouts des IGD en matière de formation et d’accompagnement du développement industriel. Les IGD attestent des taux d’insertion dépassant la moyenne nationale. Ces taux ne se sont jamais situés en dessous de 88 % pour la formation qualifiante destinée à satisfaire la demande des professionnels ; lesquels taux atteignent plus de 70 % pour les formations de reconversion. Les taux d’insertion des lauréats témoignent de l’adéquation des formations assurées par les IGD, car basées sur la demande et l’approche par compétences, mais également grâce à la gestion autonome (inspirée des entreprises), l’assurance qualité et aux ressources matérielles et humaines dont disposent les IGD. Grâce aux PPP, notamment les IGD, la perception de la formation professionnelle s’est métamorphosée, devenant une attraction au lieu de constituer un refuge pour les délaissés par le système d’enseignement.
Les PPP ont donc le potentiel de jouer un rôle crucial, tout en tenant compte des priorités nationales. Or, il est essentiel de repenser la formation professionnelle dans le cadre d'une politique industrielle nationale, en tenant compte des secteurs de biens non échangeables, tels que l'immobilier, et en allant au-delà des secteurs où le capital étranger est fortement présent ouvert à la compétition internationale, comme l'automobile et l'aéronautique. Toutefois, il est crucial de capitaliser sur ces expériences pour renforcer les liens entre la formation et les besoins spécifiques des différents secteurs économiques, favorisant ainsi une main-d'œuvre qualifiée et adaptée aux exigences du marché du travail. En parallèle, les politiques nationales doivent s'adapter aux changements internationaux et aux évolutions démographiques pour rester pertinentes et efficaces.
Une offre de formation professionnelle axée sur l'adéquation et orientée vers l'expansion
Le débat d'aujourd'hui sur les PPP, notamment les IGD, interpelle également quant aux besoins en compétences et à la manière de les satisfaire dans une perspective axée sur l'adéquation, mais également orientée vers l'expansion, notamment aux échelles territoriale et régionale. La question de l'échelle est fondamentale. Avec 200 000 nouveaux arrivants, qui viennent s'ajouter aux 800 000 personnes déjà au chômage, se pose alors la question de savoir dans quelle mesure les Partenariats public-privé peuvent aider à absorber une partie ou la totalité de cette problématique, en particulier pour les individus peu qualifiés et confrontés à des contraintes géographiques et sociales lorsqu'il s'agit de suivre des formations. La question du territoire est capitale. La catégorie des personnes déclarées comme chômeurs et issus principalement de l'emploi non rémunéré, exercé essentiellement dans le monde rural, totalisent près de 209 000 individus. Ces personnes rencontrent souvent des difficultés à se déplacer pour des formations pendant un ou deux mois, et abandonnent parfois lorsque les formations sont plus longues. Pourtant, les chiffres concernant l'apprentissage où la formation professionnelle n’est que de l'ordre de 30 000 par an, ce qui crée un décalage important par rapport à la demande réelle sur le marché du travail.
Le ministre Sekkouri indiquera à ce propos que :
« Les défis pour développer davantage le partenariat public-privé en matière de formation professionnelle passent par une implication des professionnels, principalement dans (i) le business model permettant une autonomie financière ; (ii) la montée en échelle en vue de couvrir par ce modèle plus de bénéficiaires afin de toucher d’autres cibles, surtout ceux qui ne sont pas diplômés. Il est important d’insister sur le renforcement de l’implication de l’entreprise dans ce type de partenariat afin de faire du partenariat public-privé une règle et non une exception pour la gestion des établissements de formation professionnelle et, enfin, examiner la possibilité d’élargir ce concept de PPP pour intégrer aussi la contrainte de la mobilité professionnelle à l’international ».
Un autre volet des discussions a porté sur la catégorie de ceux désireux de se lancer dans l'auto-emploi et qui ont également besoin de formation pour améliorer leurs compétences. Une enquête représentative portant sur sept millions de personnes révèle un niveau d'éducation limité au sein de cette population. Selon les chiffres du HCP à la fin de 2023, cette strate a connu une perte de 535 000 emplois. Dans ce contexte, les Partenariats public-privé sont invités à envisager les choses différemment en proposant des formations qui répondent aux besoins essentiels des auto-employés. Autrement, il va falloir proposer des formations qui répondent à deux préoccupations essentielles des auto-employés, à savoir : comment réussir en tant qu'entreprise, et comment survivre dans le monde entrepreneurial.
L’enseignement principal qui peut être tirée des interventions des participants à cette réunion de réflexion est le constat selon lequel « la formation professionnelle se révèle être d'une importance cruciale dans le contexte actuel ». Non seulement elle améliore l’efficacité du fonctionnement du marché du travail, mais elle contribue également à stimuler l'attrait pour les investissements directs étrangers (IDE). Les intervenants ont été unanimes à considérer qu’il est essentiel que les entreprises s'engagent activement dans le domaine de la formation, tout en tenant compte des défis liés à l'échelle et aux priorités nationales. Dans cette optique, les PPP, notamment les Instituts à gestion déléguée, devraient jouer un rôle décisif en adaptant la formation aux besoins spécifiques de chaque secteur économique et en favorisant une collaboration étroite entre les acteurs publics et privés. En outre, ils devraient contribuer à renforcer l'adéquation entre la formation et l'emploi. Les divers intervenants se sont par ailleurs accordé sur le fait que les «PPP sont compatibles avec une intégration au niveau d’une politique industrielle nationale plus large, prenant en compte les spécificités de chaque secteur et les évolutions démographiques et économiques mondiales ». En capitalisant sur les récentes expériences du Maroc en termes de PPP dans le domaine de la formation professionnelle, et en adoptant une approche axée sur l'adéquation et l'expansion, il est possible de créer un système de formation professionnelle robuste et adapté aux besoins du marché du travail, offrant ainsi des opportunités équitables et durables pour tous les citoyens.