Publications /
Opinion

Back
Partager Investir dans la protection sociale pour prévenir et faire face aux risques sociaux
Authors
Aziz Ajbilou
April 20, 2020

La crise du Covid-19 ne cesse d’impacter les économies des pays du monde entier, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. La situation serait plus délicate pour les pays pauvres. L’économie de ces pays est moins résiliente aux chocs et fortement tributaire des échanges commerciaux[1]. Les taux de chômage risquent de grimper et probablement pour une période assez longue. Les entreprises ayant pris des mesures pour arrêter totalement leurs activités économiques, auraient du mal à reprendre, notamment celles qui sont liées à des marchés internationaux.

Les filets sociaux pour atténuer l’impact du Covid 19

Les conséquences de la crise du Covid-19 impacteraient, également, les familles, particulièrement pauvres et vulnérables, suite à des pertes d’emploi et des revenus. Des familles pourraient voir leur situation dégradée et basculer dans la pauvreté, voire même dans l’extrême pauvreté[2]. Sans intervention par des mesures d’atténuation, ces familles se sentiront plus fragiles face à cette crise, d’où le rôle des instruments de la protection sociale. Celle-ci fait référence à l’assurance sociale et l’assistance sociale (transferts monétaires et en nature). En recourant à ces instruments, le but consiste à aider les familles vulnérables à faire face à la perte de capacité ou à l’impossibilité d’accéder à un revenu minimum, en raison des différents risques sociaux (perte d’emploi, maladie, pauvreté, vieillissement, handicap, etc.).

La lecture des données collectées par des experts de la Banque mondiale (BM) et l’Organisation internationale du Travail (OIT), sur les mesures prises par l’ensemble des pays du monde pour faire face à la perte d’emploi et de revenu, causée par la crise du Covid-19, illustre bel et bien l’importance et le rôle des instruments de protection sociale[3]. Ces instruments ont eu une place privilégiée dans les différentes mesures prises pour limiter l’impact socio-économique du Covid-19. En effet, en plus de la branche d’assurance sociale, les transferts monétaires et les transferts en nature ont été mobilisés pour soutenir le niveau de vie des ménages, notamment les plus vulnérables. Vu leur efficacité dans le maintien d’un niveau de consommation minimum, ce sont les transferts monétaires qui ont été le plus utilisés par l’ensemble des pays du monde. Ces transferts représentent 36 % de l’ensemble des instruments utilisés au niveau mondial, 44 % en Afrique, 37 % en Amérique latine, 31 % en Asie et 26 % en Europe.

De son côté, le Maroc a rapidement réagi, en prenant des mesures pour faire face aux chocs qui pourraient être causés par cette crise en termes de marginalisation et d’exclusion, suite à la perte d’emploi et de revenus. En plus des mesures destinées à soutenir les entreprises, le soutien des ménages pauvres mais, également, les personnes ayant perdu leur emploi et revenu a été considéré comme une des priorités des actions des pouvoirs publics. Le recours aux instruments de protection sociale a été sans précédent. En utilisant une approche innovante en termes de paiement et de couverture des populations éligibles, des transferts monétaires aux bénéficiaires du Ramed, des indemnités du perte d’emplois pour les salariés inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) et les non-salariés du secteur informel, en plus des transferts en nature, etc., ont été mobilisés pour venir en aide au plus démunis et aux travailleurs ayant perdu leur revenu et leur emploi. Un fonds spécial, dédié à la gestion de la pandémie du Covid-19, a été mis en place.

L’investissement dans la protection sociale s’impose pour l’avenir

Ceci étant, partout dans le monde, l’investissement dans la protection sociale face aux conséquences de la crise actuelle est un choix incontournable. Un choix qui devrait être consolidé et renforcé davantage dans l’avenir, en mettant en place des systèmes intégrés de protection sociale permettant la prévention des risques sociaux et le renforcement de la résilience des familles. Il est à rappeler que l’investissement dans la protection sociale constitue, également, un levier pour le développement du capital humain et l’intégration des populations vulnérables dans la vie économique et sociale. Cependant, la durabilité des actions menées dans le cadre de la protection sociale demeure tributaire de la pérennisation du financement et la mise en place d’un ciblage pertinent et dynamique.

Au Maroc, la mise en place du Registre national de Population, couplé avec le Registre social Unique, qui sont en cours d’élaboration, fera de l’expérience du Royaume une référence en matière de ciblage au niveau international. De même que la rationalisation des dépenses pour une meilleure efficience, ainsi que la capitalisation sur le Fonds Covid-19 ne pourraient qu’être bénéfiques pour l’ancrage et la durabilité des programmes de protection sociale dans l’avenir. Le nouveau modèle de développement donnerait, sans doute, plus de visibilité à la protection sociale en tant que domaine de prévention contre les risques sociaux et le renforcement de la résilience des familles face à ces risques.

 

Biographie :

Aziz AJBILOU est Professeur d’Enseignement Supérieur, Secrétaire général du Département des affaires générales et de la Gouvernance, ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration   

Il est titulaire du Diplôme d’Ingénieur Statisticien Economiste de l’Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA) à Rabat (1985) ; de Diplôme de 3ème Cycle en Démographie de l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve en Belgique (1992) ; de Doctorat en Démographie de l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve en Belgique (1997).

 Professeur d’Enseignement Supérieure à l’Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA) à Rabat, (depuis 1985) ; Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques (CERED) (Avril 2001-Février 2006) ; Directeur des Etudes, de la Coopération et de la Législation, depuis Février 2006 au ministère des Affaires économiques et générales.

Auteur de plusieurs travaux scientifiques sur l’économie sociale, les questions relatives à la population, à la pauvreté et au développement. 

 

 

[1] https://blogs.worldbank.org/fr/voices/crise-du-coronavirus-pour-les-pays-les-plus-pauvres-le-pire-est-venir

[2] Des études et des analyses approfondies devraient être menées pour évaluer ces impacts.

[3] U. Gentilini, M. Almenfi and I. Orton (2020), “Social Protection and Jobs Responses to COVID-19: A Real-Time Review of Country Measures”, Living paper, version 3 (April 3, 2020)

 

RELATED CONTENT

  • April 27, 2020
    Avec moins de 200 décès à ce jour, le Maroc a su enrayer l’épidémie de Covid-19. Mais le pays redoute une explosion de la pauvreté. Pour Karim El Aynaoui, président du Policy Center for the New South, il est essentiel de repenser l’économie marocaine. Bientôt deux mois après le premier cas déclaré de Covid-19, diagnostiqué le 4 mars, le Maroc est parvenu en grande partie à conjurer la menace sanitaire. Sur les presque 21 000 tests faits au 23 avril, il compte ainsi 17 295 cas négat ...
  • Authors
    Leila Farah Mokaddem
    April 24, 2020
    Alors que les pays africains semblaient être épargnés par le coronavirus en début de crise, il apparait clairement aujourd’hui que ces derniers souffriront également des retombées négatives de cette pandémie. Compte tenu du nombre de cas relativement bas en comparaison avec les autres régions du monde, les systèmes de santé ne sont pas encore soumis à la pression observée ailleurs mais cela ne saurait tarder. Cependant, les effets négatifs sur l’économie sont eux déjà largement per ...
  • Authors
    Hynd Bouhia
    April 23, 2020
    Le Maroc est aujourd’hui cité comme exemple pour son agilité, son leadership, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et, surtout, sa cohérence dans la prise de décision et dans l’implication de la population, à travers le Fonds spécial Covid-19 et les médias pour maintenir la confiance publique. En effet, la sécurité des Marocains a été privilégiée par rapport à toute autre considération, ce qui a permis d’accélérer la prise en main dès évènements et encadrer la prise en ...
  • Authors
    Mohammed Hatimi
    April 22, 2020
    Particulièrement, tout autant qu’intentionnellement, avares en matière d’information sur la vie sociale et le quotidien des Musulmans pendant les catastrophes, naturelles et sanitaires, les sources arabes, dites classiques, le sont aussi au sujet des Juifs. Les Juifs, pourtant nombreux dans la cité, ne sont mentionnés que lorsqu’il s’agit de faits à l’origine d’incommodité ; la vie à l’intérieur des mellahs ne suscitait que très peu d’intérêt. Il fallait attendre le temps des ambass ...
  • Authors
    Aziz Ajbilou
    April 20, 2020
    La crise du Covid-19 ne cesse d’impacter les économies des pays du monde entier, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. La situation serait plus délicate pour les pays pauvres. L’économie de ces pays est moins résiliente aux chocs et fortement tributaire des échanges commerciaux[1]. Les taux de chômage risquent de grimper et probablement pour une période assez longue. Les entreprises ayant pris des mesures pour arrêter totalement leurs activi ...
  • April 17, 2020
    هل للٲوبئة و الجائحات أثر على النظام العام؟ كيف يدبر المغرب مسألة النظام العام في زمن الكورونا؟ ...
  • Authors
    Abdessalam Jaldi
    April 15, 2020
    Moroccans, like the citizens of other democratic countries in times of peace, have learned to take for granted some fundamental rights, including the freedom of movement and assembly. In the attempt to contain the spread of COVID-19, it has suddenly become evident to them that the enjoyment of these rights can be limited. This paper enquires about the compatibility of the state of health emergency proclaimed by the government and approved by the parliament in March 23, 2020 with Mo ...
  • Authors
    محمد ياسر الهلالي
    April 10, 2020
    يلف موضوع الحجر الصحي في المغرب الأقصى خلال العصر الوسيط ضباب كثيف، لا تساعد المصادر على انقشاعه. ومع ذلك يمكن القول إن من أهم القضايا التي كانت تشغل بال مغاربة العصور الوسطى أثناء حدوث الوباء، حقيقة العدوى من عدمها، فكانوا يطرحون السؤال الآتي: هل يخُالَطُ المصاب بالوباء أم لا؟ الموقف النظري من المخالطة بين الرفض والقبول تراوحت المواقف بين نفي العدوى بالوباء وإثباتها، وكان في مقدمة النافين لها أغلب الفقهاء، مستندين على نصوص شرعية تقول بعدم وجودها من وجهة نظر فهمهم لها، وتعتبر الوب ...
  • Authors
    Youssef El Jai
    April 1, 2020
    « Economists have a bad track record in predictions, so I will not try my hand at predicting the effect of the novel coronavirus (COVID-19) on the global financial system or the global economy. » Thorsten Beck */ /*-->*/ /*-->*/ Comme le dit si bien Thorsten Beck, il serait illusoire de prévoir à ce stade, compte tenu de l’information disponible, un impact chiffré de la crise sur l’économie. A l’issue de son Conseil du17 mars 2020, Bank Al-Maghrib a annoncé une baisse du taux d ...
  • Authors
    March 30, 2020
    */ Depuis le 12 mars, les frontières et les communications aériennes, maritimes et terrestres entre l’Espagne et le Maroc sont fermées à cause de la crise du COVID-19. Mais au-delà de la fermeture transitoire des frontières, la crise sanitaire, doublée de la crise économique qui se laisse déjà ressentir en Espagne, aura un fort impact sur un million de ressortissants marocains résidant en Espagne. Au 1er janvier 2019 (derniers chiffres officiels disponibles), leur nombre était de 8 ...