Publications /
Policy Brief

Back
L’Afrique, toujours très dépendante des énergies fossiles
Authors
August 27, 2025

La parution de la dernière édition (la 74ème) de la Statistical Review of World Energy (SRWE, 2025) est une bonne occasion de faire le point sur certaines grandes tendances du monde de l’énergie. Dans cette note, nous nous centrerons sur le continent africain. Tous les chiffres ci-dessous sont extraits de ce document et portent sur l’année 2024, sauf indication contraire. Les chiffres de la SRWE portent sur les énergies qui font l’objet d’échanges commerciaux, ce qui inclut les énergies fossiles, l’hydroélectricité, le nucléaire et les énergies renouvelables modernes autres que l’hydroélectricité et qui sont utilisées pour produire de l’électricité, notamment l’éolien et le solaire. Ces données sous-estiment donc la consommation énergétique de l’Afrique puisque certaines énergies renouvelables (bois, biomasse) ne passent pas toujours par des circuits commerciaux. Pendant plusieurs décennies, la SRWE était la BP Statistical Review of World Energy. Le groupe britannique s’est retiré de ce projet il y a trois ans tout en continuant à le soutenir. La SRWE est, pour la troisième année consécutive, publiée par l’Energy Institute (Londres) en collaboration avec Kearney et KPMG.

Énergies fossiles : près de 95% de la consommation énergétique de l’Afrique

Tout le monde sait que nous sommes très fortement dépendants des énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel), ce qui a bien sûr des conséquences importantes sur les émissions de gaz à effet de serre. On estime généralement à environ 80 % la part de ces énergies dans la consommation mondiale. Selon la SRWE, leur part dans la demande mondiale (‘’total energy supply’’) était de près de 87 % l’an dernier. Celle des hydrocarbures (pétrole et gaz) atteignait 58,7 % en 2024. Mais, pour l’Afrique, les chiffres correspondants étaient de 94,5 % (énergies fossiles) et de 74 % (hydrocarbures), soit presque huit points et plus de 15 points respectivement au-dessus des moyennes mondiales, ce qui est considérable. Le monde n’est donc pas près de pouvoir se passer des énergies fossiles et c’est encore plus vrai pour l’Afrique. Pour le pétrole, qui est encore l’énergie numéro un dans le monde, sa part dans la demande énergétique sur notre planète était de 33,6 % en 2024. Pour l’Afrique, elle était de 43,5 %, soit dix points de plus qu’au niveau mondial.

L’Afrique ne représentait en 2024 que 3,5 % de la demande mondiale d’énergie

La part très importante des énergies fossiles dans la demande énergétique de l’Afrique est l’une des grandes spécificités du continent. Sans surprise, un autre élément clé est la très faible part de la région dans la demande mondiale d’énergie. Elle n’était que de 3,5 % en 2024, selon la SRWE, alors que l’Afrique représente environ 20 % de la population mondiale. Le rapprochement de ces deux pourcentages en dit long sur l’état de développement du continent. Mais il y a plus grave. Cette part n’a quasiment pas bougé depuis dix ans puisqu’elle était estimée à 3,3 % en 2014. La demande d’énergie de l’Afrique a cependant augmenté d’un peu plus de 20 % sur la période 2014-2024, soit un taux de croissance annuel moyen de 1,9 %. Quatre pays, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Algérie et le Maroc, représentaient à eux seuls 59 % de la demande énergétique totale du continent.

La demande énergétique de l’Afrique par habitant ne dépassait pas l’an dernier 19 % de la demande mondiale par habitant et moins de 9% de celle des pays OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques, Paris). Et, là encore, il y a une autre mauvaise nouvelle. Au cours des dix dernières années, la demande du continent par habitant a baissé de 0,6 % par an alors que, pour le monde, cette demande progressait de 0,3% par an dans le même temps. En 2014, la demande d’énergie de l’Afrique par habitant représentait 20,8 % de la moyenne mondiale (19,1 % en 2014). Cette évolution est le reflet de la forte croissance démographique du continent. 

De nombreux pays africains ne sont pas disposés à abandonner les énergies fossiles, notamment les hydrocarbures

Il y a des liens très étroits entre le développement économique, la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. L’Afrique pèse, comme indiqué ci-dessus, seulement 3,5 % de la demande mondiale d’énergie. L’an dernier, elle a généré 3,9 % des émissions totales de CO2 liées à l’énergie. Ces émissions ont augmenté de 1,4 % par an au cours des dix dernières années (+0,8 % pour le total mondial). On comprend donc aisément que plusieurs pays africains ne soient pas disposés à dire rapidement adieu aux énergies fossiles, notamment aux hydrocarbures (la production de charbon est très fortement concentrée en Afrique australe, surtout en Afrique du Sud, alors que celle de pétrole et/ou de gaz naturel concerne de nombreux pays sur le continent. De plus, la consommation d’hydrocarbures de l’Afrique est 3,6 fois supérieure à celle de charbon). Plusieurs d’entre eux ont des ressources fossiles significatives ou très importantes ; la consommation d’énergie par habitant en Afrique est très faible ; le développement du continent nécessitera de produire et de consommer beaucoup plus d’énergie ; cette région du monde contribue très peu au changement climatique ; et plusieurs pays font partie d’organisations intergouvernementales ou de coalitions qui défendent les hydrocarbures telles que l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole - Algérie, Libye, Nigeria, Gabon, République du Congo et Guinée Equatoriale), l’OPEP+ (les mêmes plus le Soudan et le Soudan du Sud), le Forum des Pays Exportateurs de Gaz (FPEG – Algérie, Égypte, Guinée Equatoriale, Libye et Nigeria plus, comme observateurs et non membres, Angola, Mauritanie, Mozambique et Sénégal) et l’APPO (Organisation des Producteurs africains de Pétrole, 18 pays membres).  

La part de l’Afrique dans la production pétrolière mondiale ne dépassait pas 7,5 % en 2024

Si l’on regarde la situation de l’Afrique par source d’énergie, deux éléments sont particulièrement marquants : la part de l’Afrique dans la production est assez faible, avec un maximum d’un peu moins de 8 % ; et cette part est supérieure à celle du continent dans la consommation d’énergie. En matière de production, c’est pour le pétrole que la part de l’Afrique dans la production mondiale était la plus élevée en 2024 avec 7,5 %, selon la même source. Pour le gaz naturel et le charbon, les chiffres correspondants étaient de 5,8 % et de 2,9 % respectivement. Pour la génération d’électricité, la part du continent était de 3,1  %. En bref, l’Afrique pèse très peu dans la production énergétique mondiale en dépit de ressources abondantes mais celles-ci sont largement sous-exploitées.

Une part des renouvelables dans la génération d’électricité beaucoup plus faible qu’au niveau mondial

Pour le pétrole, la production du continent était de 7,29 millions de barils par jour (Mb/j) en 2024, contre 8,2 Mb/j en 2014. Sur cette période, l’évolution a été de -1,2 % par an alors que la production mondiale était en croissance. Par contre, la production gazière de l’Afrique a progressé de 1,8 % par an sur 2014-2024 pour atteindre 240 milliards de mètres cubes l’an dernier. La production de charbon a baissé de 0,4 % par an sur la même période et s’établissait à 267 millions de tonnes en 2024. La génération d’électricité a augmenté à un bon rythme (+2,3 % par an) entre 2014 et 2024 et atteignait 964 TWh l’an dernier. Le poids des énergies fossiles en Afrique est, une fois de plus, majeur puisque la part globale du gaz naturel (412,2 TWh), du charbon (244,6 TWh) et du pétrole (63,4 TWh) dans la production d’électricité en Afrique était de 74,7 % en 2024, contre 58,6 % au niveau mondial. Le charbon et le gaz se classaient loin devant l’hydroélectricité (170,1 TWh) et les autres énergies renouvelables (60,7 TWh). Le nucléaire était quasiment absent avec 7,8 TWh et, ce, uniquement en Afrique du Sud. Pour l’ensemble des renouvelables (ENR), y compris l’hydroélectricité, la part de l’Afrique dans la génération électrique mondiale n’était que de 2,4 % alors que le potentiel du continent en matière d’ENR est considérable. Mais, entre l’existence de ressources et leur exploitation, il y a plusieurs étapes indispensables, dont l’une est la capacité à financer des investissements très lourds. Et ce n’est pas le point fort de l’Afrique. À noter, cependant, le cas particulier du Kenya qui figure, selon la SRWE, parmi les dix pays dans le monde qui ont le ratio énergies renouvelables/consommation d’énergie le plus élevé, le septième en l’occurrence grâce à la géothermie.

La capacité de raffinage de la région était de 3,49 Mb/j en 2024 (+0,4 % par an sur 2014-2024), soit seulement 3,3 % du total mondial. La part du continent dans le raffinage mondial est largement inférieure à sa part dans la production pétrolière mondiale (7,5 %). Sur un point, l’Afrique est proche du seuil des 10 % : les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL). Elles étaient de 51,2 milliards de mètres cubes l’an dernier (+0,4 % par an sur les dix dernières années), soit 9,4 % des exportations mondiales de GNL. Les principaux exportateurs de GNL en Afrique sont le Nigeria et l’Algérie. Parmi les autres exportateurs, on compte l’Angola, le Mozambique, l’Égypte, la Guinée Equatoriale, le Cameroun et la République du Congo (à partir du début 2025, le Sénégal et la Mauritanie se sont ajoutés à la liste). Cela dit, les exportations africaines de GNL sont en recul dans les dernières années car elles étaient de 61,6 milliards de mètres cubes en 2019. Le niveau de 2024 est le plus bas depuis 2016.

L’Afrique « s’adjuge » un peu plus de 4 % de la consommation pétrolière et gazière mondiale 

Si le poids de l’Afrique dans la production énergétique mondiale est faible, sa part dans la consommation mondiale d’énergie l’est encore plus. Pour les hydrocarbures, elle était de 4,3 %-4,4 % en 2024. Sa consommation pétrolière (liquides) était de 4,56 Mb/j l’an dernier (4,4% du total mondial). Sur la période 2014-2024, elle a progressé de 1,3 % par an, soit un peu plus rapidement que la consommation mondiale (+1,1% par an). Pour le gaz naturel, la croissance de la consommation africaine a été forte avec +4 % par an sur les dix dernières années. Avec 178 milliards de mètres cubes en 2024, elle représentait 4,3 % de la consommation mondiale. La proportion correspondante n’était que de 2,6 % pour le charbon. Mais, comme souligné ci-dessus, la production et la consommation de cette énergie fossile sont très concentrées géographiquement en Afrique. L’an dernier, l’Afrique du Sud représentait à elle seule presque 82 % de la consommation de charbon du continent.

Énergie, minerais et métaux

L’Afrique est, enfin, bien placée en termes de réserves et de production de minerais et de métaux clés pour le secteur énergétique. La République démocratique du Congo, dont le potentiel minier est considérable, est un géant du cobalt, avec 74 % de la production mondiale en 2024, et contrôlait 14,6% de celle de cuivre. L’Afrique du Sud (35,2 %) et le Gabon (21,9 %) représentaient ensemble environ 57 % de la production mondiale de manganèse. Pour le lithium, le Zimbabwe contrôlait 9 % de la production mondiale. Et, pour le graphite naturel, les parts de Madagascar et du Mozambique dans la production mondiale étaient respectivement de 5,1% et de 2 %. Mais l’une des questions clés pour l’avenir porte sur la capacité des pays concernés à valoriser au mieux ces ressources dans un contexte international dans lequel les grandes puissances tenteront de contrôler des minerais et métaux stratégiques et/ou critiques pour la transition énergétique mais aussi pour le secteur du numérique et pour la défense.

RELATED CONTENT

  • Authors
    November 2, 2023
    Le 1er octobre 2023 a marqué le début de la phase transitoire du Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (CBAM en anglais) de l'Union européenne (UE). L'objectif de cette initiative est d'instaurer une tarification du carbone sur les biens importés qui soit équivalente à celle appliquée aux biens produits au sein de l'UE, visant ainsi à réguler les émissions de carbone. Cette démarche implique la mise en place d'un ensemble d'obligations de déclaration et de conformité pour le ...
  • Authors
    Alfonso Medinilla
    September 5, 2023
    This paper was originally published on ecdpm.org   COP27 reached a breakthrough agreement on a new loss and damage fund for vulnerable countries and opened the door for a review of the international financial architecture. Ahead of COP28 at the end of 2023, the AU-EU partnership can help drive global climate change and energy transition agendas forward. A fruitful collaboration between the two continents starts with the following: • Africa and Europe must find comm ...
  • Authors
    September 4, 2023
    À  l’approche du Sommet africain du climat (Africa Climate Summit), qui se tiendra à Nairobi du 4 au 6 septembre 2023, de très nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) ont écrit au président du Kenya, William Ruto, pour lui faire part de leurs inquiétudes concernant l’ordre du jour de ce sommet. Selon ces ONG, les intérêts des entreprises et des pays occidentaux pourraient prendre le pas sur ceux de l’Afrique. Les vraies priorités sont notamment d’éliminer progressiv ...
  • June 20, 2023
    This policy brief was originally published on T20 India website   A decade of poor growth, increased poverty, and political instability followed the serious debt difficulties that emerged worldwide in the 1980s. There are concerns that the looming debt crisis could create similar challenges and result in even more severe consequences. However, the current economic climate differs in many ways from that of the 1980s, when international banks and Paris Club credi ...
  • Authors
    Abdelmonim AMACHRAA
    May 17, 2023
    Nothing better illustrates the positive contribution of the integration of national economies into global value chains than the fact that in the 1990s, the automotive sector barely existed in Morocco. Now, it is the leading export sector, with a production and assembly capacity of 700,000 vehicles, making it an attractive and competitive hub linking Africa and Europe in the automotive value chain. However, the automotive industry is on the cusp of change, with advances in electric a ...
  • Authors
    Inácio F. Araújo
    May 5, 2023
    This paper presents a synthetic view of the socioeconomic and environmental impacts of the economic sectors and regions that make up the Moroccan economy, taking into account the current economic structure and production technologies. Therefore, the potential effects must be understood as signals to think about interventions aimed at redirecting the desired trajectories of sustainable development. The application of the tools developed to give scientific support to this analysis rev ...
  • Authors
    April 10, 2023
    The contemporary global energy landscape is experiencing noteworthy changes in demand, supply, technology, markets, and investment. These developments transcend conventional oil and gas security considerations. Renewable energy sources, such as wind and solar power, have become increasingly cost-effective compared to fossil fuels, and the minerals required to produce them are gaining importance. Nevertheless, recent events such as the Covid-19 pandemic and the conflict in Ukraine ha ...
  • March 31, 2023
    L’Afrique est plurielle, comme le sont les investissements chinois sur son continent. Cette étude montre que, contrairement à ce que l’on mettait en avant durant la décennie 2010, ces investissements ne se limitent pas à l’exploitation du sous-sol africain. Les opérateurs chinois, privilégiant le long terme, se montrent le plus souvent patients et discrets, ne ciblant pas les seuls investissements miniers. Concernant les secteurs principalement bénéficiaires de ces investissements, ...
  • Authors
    February 13, 2023
    The volatility in energy markets since the outbreak of the Covid-19 pandemic in 2019/2020 has continued, with unprecedented uncertainty about global energy supply developing over the course of 2022 in the wake of Russia's invasion of Ukraine, against a backdrop of weakening macroeconomic conditions and high inflation. While some perceived this as a potential setback for the energy transition, others saw it as an opportunity to move away from fossil fuels and accelerate the developme ...
  • Authors
    January 23, 2023
    Les fluctuations que connaissent les marchés de l'énergie depuis le début de la pandémie de la Covid-19 en 2019/2020 se sont prolongées, avec une incertitude sans précédent, sur l'approvisionnement énergétique mondial, qui s'est développée au cours de 2022 à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, dans un contexte d'affaiblissement de la macroéconomie et d'inflation élevée. Alors que certains voyaient en ce contexte un risque de ralentissement de la transition énergétique ...