Publications /
Opinion

Back
Afrique : les hydrocarbures sont à l’honneur
Authors
August 10, 2022

Les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) ne sont plus à la mode, compte tenu de leur très importante responsabilité dans le changement climatique. Les appels en vue de leur disparition (progressive) se multiplient mais ces combustibles représentent encore un peu plus de 80 % de la consommation mondiale d’énergie primaire (83 % en 2021, selon la BP Statistical Review of World Energy). Et de nombreux projets sont en cours de développement à travers le monde. En Afrique, le pétrole et le gaz naturel (les hydrocarbures) ont encore le vent en poupe en dépit de l’opposition farouche de divers acteurs, dont de grandes organisations non gouvernementales (ONG).

Les pays africains défendent leur souveraineté nationale

La position de nombreux dirigeants africains sur ce sujet est en gros la suivante : la souveraineté nationale, consacrée par le droit international, implique que chaque pays est libre d’exploiter ses ressources naturelles ; l’Afrique a un potentiel très significatif en matière de pétrole et de gaz ; les hydrocarbures peuvent contribuer au développement des pays africains ; l’Afrique n’est évidemment pas historiquement responsable du changement climatique ; et ce continent ne représente encore aujourd’hui que 4 % environ (chiffre pour 2021) des émissions mondiales de CO2 provenant de l’utilisation de combustibles fossiles.

Les Etats africains continuent donc à chercher à attirer des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures, à encourager l’exploration sur leurs territoires (à terre ou en mer) et à approuver de nouveaux projets de développement qui entreront en production dans les prochaines années, et ce pour longtemps. A titre d’illustration, nous examinerons ici de nouveaux projets dans quatre pays d’Afrique subsaharienne, la Côte d’Ivoire, l’Angola, le Congo (République du Congo) et la République démocratique du Congo (RDC). Pour les trois premiers pays cités, il s’agit de développements pétroliers et gaziers. Pour la RDC, c’est l’exploration qui est en jeu.

En Côte d’Ivoire, le champ Baleine entrera en production dès le premier semestre 2023

Commençons ce bref tour d’horizon par la Côte d’Ivoire. Nous avons déjà évoqué dans le passé le champ pétrolier et gazier Baleine découvert par le groupe italien Eni en mer (offshore) en août 2021. Comme le nom Baleine le laisse penser, c’est une grosse découverte. Tout récemment, à la fin juillet 2022, Eni a annoncé deux nouvelles importantes. Suite à un deuxième forage d’exploration, l’estimation des ressources de Baleine a été révisée à la hausse et cette réévaluation est très significative (environ +25 %). Ces ressources sont à présent évaluées à 2,5 milliards de barils de pétrole et à plus de 90 milliards de mètres cubes de gaz. Bien qu’il ne faille pas confondre ressources et réserves, Baleine figure incontestablement parmi les gisements géants pour le pétrole, selon les classifications de l’industrie pétrolière. Deuxième bonne nouvelle pour Eni et pour la Côte d’Ivoire, la mise en production devrait intervenir dès le premier semestre 2023. Le partenaire d’Eni est Petroci Holding, la société pétrolière nationale de la Côte d’Ivoire.

Passons à l’Angola, le second producteur de pétrole en Afrique après le Nigeria. A la fin juillet, également, TotalEnergies a annoncé le lancement du développement d’un champ pétrolier, Begonia, et de deux champs gaziers, Quiluma et Maboqueiro (le groupe français a annoncé en même temps le développement d’un projet photovoltaïque en Angola). Begonia devrait entrer en production vers la fin 2024. Le développement des deux gisements gaziers s’inscrit dans un projet appelé Non Associated Gas 1 (NAG1), qui sera exploité par un consortium comprenant, outre TotalEnergies, Eni (opérateur), Chevron, BP et Sonangol P&P (qui fait partie du groupe pétrolier national Sonangol). La production devrait débuter à la mi-2026. Elle viendra alimenter le projet angolais d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), Angola LNG, qui est déjà en exploitation.

Au Congo, Eni développe les réserves gazières du permis offshore Marine XII en vue, notamment, d’un projet d’exportation de GNL. Celui-ci devrait démarrer en 2023 et sa production atteindra ultérieurement 3 millions de tonnes par an, soit plus de 4,5 milliards de mètres cubes/an. Eni a décidé d’accélérer le développement de ce projet GNL dans le contexte de la guerre en Ukraine et de ses impacts énergétiques. La demande de gaz naturel est forte, puisque les pays de l’Union européenne (UE) veulent se passer à moyen terme du gaz russe. De plus, Gazprom a fortement réduit ses livraisons de gaz à l’Europe. Et les prix de cette source d’énergie sont très élevés en ce moment. Ces conditions sont très favorables pour les exportateurs actuels ou pour des pays non exportateurs mais qui sont capables de le devenir dans un délai assez rapproché, ce qui est le cas du Congo.

Le duel RDC/Greenpeace

Enfin, en RDC, le ministère des Hydrocarbures a lancé à la fin juillet un appel d’offres international pour l’exploration de 30 permis, dont 27 sont considérés comme des blocs pétroliers et trois gaziers. Plusieurs de ces permis sont situés dans des zones sensibles sur le plan environnemental (tourbières et zones protégées), ce qui a suscité de vives critiques de la part de plusieurs ONG, dont Greenpeace. Dans une lettre adressée à plusieurs compagnies pétrolières, cette association a demandé qu’il soit mis fin « à la ruée néocoloniale vers les combustibles fossiles africains ». Cette vente aux enchères « ne se contente pas de tourner en dérision l’image de la RDC en tant que solution à la crise climatique, elle expose les Congolais à la corruption, à la violence et à la pauvreté qui accompagnent inévitablement la malédiction du pétrole (…) », a expliqué Greenpeace avec le sens de la nuance qui la caractérise. Pour faire pression sur les grandes compagnies pétrolières afin que celles-ci restent « à l’écart de la bombe à carbone du Congo », l’ONG a lancé une pétition qui a recueilli de l’ordre de 100 000 signatures. Cette intervention a généré une ferme réplique du ministre congolais des Hydrocarbures, Didier Budimbu Ntubuanga, qui a indiqué qu’une nation souveraine avait le droit de profiter de ses ressources naturelles et « donc nous les exploiterons ». Il a ajouté que, face aux 100 000 signatures, il y avait près de 100 millions d’habitants en RDC et que le pays n’allait pas « subir le diktat d’une ONG ». L’ambiance est donc très animée.

Il y a évidemment une grande différence entre les projets évoqués ici en Côte d’Ivoire, en Angola et en République du Congo, d’une part, et cet appel d’offres en RDC, d’autre part. Dans les trois premiers cas, il s’agit de développer des réserves qui ont été découvertes avec un horizon de mise en production entre 2023 et 2026. En RDC, il est question d’exploration, donc de risque (en termes géologiques). Il faut d’abord que le pays réussisse à intéresser un nombre significatif de compagnies pétrolières et que celles-ci présentent des offres pour certains des permis proposés par le gouvernement. Si cette première étape était franchie avec succès, ce que l’on saura entre octobre 2022 et février 2023 (en fonction des dates limites de remise des offres par les compagnies pétrolières), rien ne garantit que les travaux d’exploration qui découleraient des contrats signés déboucheraient sur des découvertes commerciales d’hydrocarbures. Et, si c’était le cas, la mise en production n’interviendrait pas avant plusieurs années, dans les hypothèses les plus optimistes.

Au-delà de ces différences fort importantes, le message est le même : plusieurs pays africains (ceux qui ont été évoqués ici et beaucoup d’autres) entendent tenter leur chance avec l’exploration pétrolière et/ou gazière et exploiter leurs ressources d’hydrocarbures s’ils en ont. Et ils n’ont pas l’intention qu’on leur mette des bâtons dans les roues. Ce message peut être critiqué mais il doit, au minimum, être entendu.

  

  

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur.

 

RELATED CONTENT

  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    The consequences of climate change are becoming progressively more visible in Morocco. Changes in rainfall patterns and drought, increases in average temperatures and heatwaves, flooding, and rising sea levels are increasingly affecting several regions. Yet, Morocco has a relatively low greenhouse gas (GHG) emission rate, compared to other countries. In 20162, Morocco’s total GHG emissions reached 86127.7 gigagram of carbon dioxide equivalent (Gg CO2-eq), totaling around 0.2% of glo ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    Les importantes ressources en énergies renouvelables du Maroc offrent une opportunité sans précédent d’ancrer les choix économiques et politiques du pays dans la transition énergétique, et de faire de cette transition un levier essentiel du développement économique. Ceci est d’autant plus important que le coût des énergies renouvelables a baissé au cours des 10 dernières années2 et présente désormais un fort potentiel, non seulement de création d’emplois verts mais aussi de croissan ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    Les conséquences du changement climatique sont de plus en plus visibles au Maroc. Le schéma changeant des précipitations et de la sécheresse, l'augmentation des températures moyennes et des canicules, les inondations et l'augmentation du niveau de la mer affectent de plus en plus de nombreuses régions. Et pourtant, le taux d'émission de gaz à effet de serre (GES) du Maroc est relativement faible, comparé à celui d'autres pays. En 20162, les émissions totales de GES du Maroc ont atte ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    June 28, 2021
    During the 2015 Paris Conference of the Parties to the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), governments pledged to limit the global temperature increase to well below 2°C above pre- industrial levels, to peak emissions as soon as possible, and to achieve carbon neutrality in the second half of the century. Yet, even assuming full implementation of the commitments made by governments in Paris, the global concentration of greenhouse-gas (GHG) emissions will ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    June 28, 2021
    Lors de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui s'est tenue à Paris en 2015, les gouvernements se sont engagés à limiter l'augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Ils se sont également engagés à atteindre, dès que possible, un pic de leurs émissions et à parvenir à la neutralité carbone au cours de la seconde moitié du siècle. Pour autant, m ...
  • Authors
    April 27, 2021
    With a population of approximately 200 million, Nigeria accounts for about half of West Africa's population and has one of the largest concentrations of young people in the world. Endowed with abundant natural resources, Nigeria is one of Africa's largest oil exporters, with an estimated 37 billion barrels of proven crude oil reserves, the majority of which are found in the Niger River Delta and offshore in the Bight of Benin, the Gulf of Guinea and the Bight of Bonny. Nigeria also ...
  • Authors
    December 7, 2020
    The pandemic is accelerating history, in the sense that it is leading to the speeding up of some recent trends. In the case of globalization, the pandemic will not reverse it, but it will reshape it. Here we take a bird’s eye view of global trade during the pandemic, relate it to previous trends, and guess how global value chain managers and government trade policymakers are likely to react. A Bird’s Eye View of Global Trade during the Pandemic World trade took a deep dive during ...
  • Authors
    Kwamboka Kiangoi
    May 22, 2020
    For Africa, this new decade began full of promise to achieve the 2030 deadline for the Sustainable Development Goals and on its way to realising the goals and priorities of Agenda 2063. With the entry of the intra-African trade from the African Continental Free Trade Area (AfCFTA) Agreement, which comes into effect on July 1st 2020, an estimated combined gross domestic product (GDP) of more than US$3.4 trillion expected to trickle in the Continent. This revenue estimation is good ne ...
  • February 21, 2020
    To strengthen the role of youth as agents of community development, the Policy Center for the New South launched a year ago a call for projects grounded in new and innovative approaches to existing local problems. The Oasis Agrytech Hackathon project is aiming to preserve the Draa Tafil...