Publications /
Opinion

Back
Sommet de Pau ou Sommet de Pô : Quelles options pour la résolution du conflit au Mali ?
Authors
January 15, 2020

La récente déclaration du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies 1 et les relais dans les différents médias qui avancent que la situation au Mali qui se détériore de plus en plus serait presque un euphémisme, tant l’Etat malien souffre depuis 2013 d’un manque de stabilité patent. La perspective d’organisation d’élections législatives en 2020 demeure très incertaine au vu des attaques répétées des groupes terroristes qui, en plus de menacer la vie des Maliens, remettent en cause la légitimité même de l’Etat.

Sur fond de conflit ethnique et de revendications sociales, les différentes factions et milices terroristes organisent un contre discours clair, rejetant en bloc l’intervention étrangère et la politique de l’Etat jugée complaisante avec les puissances étrangères. Entre temps, les Maliens, pris entre deux feux, fuient leurs foyers avec un nombre record : 140 000 personnes ont été déplacées en 2019, soit une multiplication par sept par rapport aux 12 mois précédents, a rapporté l'Observatoire des déplacements internes. Depuis janvier, les combats ont fait 817 morts parmi les populations civiles, contre 574 environ en 20182, sans compter les militaires, maliens et étrangers, tombés au front.

Devant cette situation, il est devenu, non seulement impératif pour la France de revoir les modalités de son intervention et de sa présence au Mali, mais aussi pour l’Etat malien et ses partenaires régionaux de repenser leurs stratégies. A l’heure où Paris fait face à une résurgence d’un sentiment anti-français au Mali, le président Macron appelle l’ensemble des Etats de la région à définir clairement les objectifs et à déclarer leur soutien à la présence française au Mali3, chose ardue eu égard au sentiment de la population malienne à l’égard de l’armée française.

Comment, alors, concilier les vues entre une France, qui doit protéger ses intérêts dans la région et qui connait le potentiel de chaos que pourrait générer son retrait éventuel, et un Etat malien qui fait face à une demande persistante des populations pour moins d’interventions étrangères et des groupes armés terroristes qui modèlent aussi un discours politique avec des attentes et des besoins de garanties ?

Entre intensification de la présence militaire et l’urgence du dialogue 

Face aux difficultés auxquelles fait face l’appareil sécuritaire malien et la faiblesse du G5 Sahel, la communauté des Etats du Sahel appelait à une « désahelisation » de la lutte contre le terrorisme dans la région et des défis de développements tant le risque d’embrasement est grand. Le risque pour le Maghreb est grand et pour l’Europe aussi, un sahel en proie au terrorisme est un sahel en crise migratoire et c’est un sahel où personne n’investit.

Il est urgent de considérer cette menace comme étant frontalière pour les pays du Maghreb et comme une menace sécuritaire pour ceux de l’Europe. Que dire si l’on suit ce raisonnement et qu’on comprend l’ampleur de la menace des pays comme le Burkina Faso, le Niger ou encore la Mauritanie qui pâtiraient gravement d’un embrasement et d’une résurgence du terrorisme et des attaques violentes aux portes de leurs territoires ?

Face à ces enjeux, la France cherche un soutien sans ambages de la part des Etats du G5 Sahel. En somme, Emmanuel Macron cherche à légitimer la présence française en faisant comprendre aux populations à quel point elle est importante. C’est dans ce sens que le Sommet de Pau4 a permis au président français de «clarifier» sa position sur la présence des troupes françaises dans les pays du Sahel. La clarification voulue par Paris a bien eu lieu. Dans la déclaration conjointe, les dirigeants des pays sahéliens expriment leur « souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel » et plaident « pour un renforcement de la présence internationale à leurs côtés ». Cette présence sera restructurée dans un nouveau cadre impliquant le G5 Sahel, la France et les autres partenaires internationaux dans une volonté de permettre une meilleure implication des forces africaines sur place. D’autre part, il s’agit aussi d’intensifier l’effort de stabilisation dans la région avec une augmentation de l’effectif des troupes françaises qui passeront de 4500 à 4720 soldats sur place et une mise en commun avec la création d’un commandement conjoint barkhane/G5 Sahel et forces européennes rebaptisé « Task force Takouba ».

Au même moment, à Pô, au Burkina Faso, se tenait un sommet parallèle avec la présence de plusieurs acteurs de la société civile qui interpellait les leaders africains sur leur autonomie et leur implication dans la résolution du conflit au Sahel. Après ce sommet, l’animosité à l’égard des troupes étrangères demeure vive, la situation économique délétère est toujours là, alors que les groupes terroristes se renforcent et gagnent du terrain. Dans les 4 piliers du nouveau cadre de collaboration entre la France et les pays du G5 Sahel, trois sont d’ordre militaire et seulement un dédié au « développement ».

Le dialogue : Quelles options et quelle faisabilité ?

« Les chances de vaincre la katiba Macina par les armes sont minces », reconnaissait l’International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié en mai 2019. Dans ce sens, les acteurs de la société civile et des chefs religieux multiplient les appels au dialogue. Il est aussi question, depuis 2015, de contacts indirects et officieux, entre le gouvernement malien et les djihadistes. Officiellement, tout appel au dialogue est rejeté par l’Etat malien. Néanmoins, il n’est pas interdit de croire qu’une initiative claire de dialogue continu et constructif pourrait aboutir à une accélération du processus de paix au Mali, tant la voie des armes demeure non seulement infructueuse mais presque contreproductive. Il restera à définir les modalités et les objectifs du dialogue et à déterminer la volonté d’une personnalité comme Amadou Koufa ou d’autres chefs guerriers d’apaiser la situation et d’accepter le dialogue.

Au Mali, comme ailleurs dans la région, la guerre contre le terrorisme se gagnera sur le terrain mais aussi dans les cœurs. Il est indispensable d’obtenir l’adhésion des populations dans le projet de développement des Etats sahéliens. Combattre les terroristes sur le terrain et empêcher la violence sont des mesures tactiques essentielles. Stratégiquement, il s’agit de couper ces groupes de potentielles recrues désœuvrées, de terreaux fertiles dans les villages pour les conflits ethniques et de créer parmi les populations le sentiment que leur destin est entre leurs mains.

 

Les opinions  exprimées dans cet article appartient à l’auteur.

 

1 « Je suis préoccupé par les retards persistants dans la mise en œuvre de l’Accord de paix », indique Antonio Guterres,en évoquant les difficultés du « dialogue national inclusif » et « l’insécurité croissante à travers le pays, notamment le manque de redéploiement des forces de défense et de sécurité maliennes dans le Nord »

2 Voir the Armed conflict location and event Data project

3 "Je vois des mouvements d'opposition, des groupes qui dénoncent la présence française comme une présence impérialiste néocoloniale (....) Je vois dans trop de pays prospérer sans condamnation politique claire des sentiments anti-francais. Je ne peux pas accepter d'envoyer nos soldats sur le terrain dans les pays où cette demande (de présence française) n'est pas clairement assumée", Déclaration d’Emmanuel Macron à Niamey le 22 décembre 2019

4 S’est tenu à Pau le lundi 13 janvier.

Le choix des deux villes est très significatif :

  • Pô est le lieu de naissance de Tomas Sankara et le lieu de son départ avec Blaise Compaoré pour leur célèbre coup d’état. C’était également un grand centre militaire pour le régime de Blaise Compaoré.

  • Pau est un grand centre militaire français, surtout pour les régiments de parachutistes. Les rumeurs courent que Tomas Sankara y soit passé aussi. A noté que beaucoup de militaires marocains y ont fait leur stage à l’époque coloniale et post coloniale.

 

RELATED CONTENT

  • Authors
    August 31, 2018
    En avril 2018, le président Donald Trump recevait, à la Maison-Blanche, le président nigérian, Muhammadu Buhari, qui venait d’annoncer sa candidature pour briguer un second mandat à la tête du Nigéria. La visite avait une valeur de première car, en effet, c’était la première visite officielle d'un dirigeant africain depuis l'investiture de Donald Trump. Les deux hommes tenaient à la réussite d’une telle visite : --Trump voulait, d’une part, consolider les relations avec un pays qui ...
  • Authors
    August 28, 2018
    A NATION CRAVING TO RETURN TO GREATNESS It was yet another turbulent episode reflecting the dark sides of politics and secret service conspiracies. Murder is the message. “Do not mess with us.” The killers wore turbans and spoke Arabic. What else is new? It was dark, not a good time to drive on a hellhole of a road in the Central African Republic, one of the poorest nations of the world. So poor that death has no price. Not many streets are paved and streetlights are as frequent as ...
  • Authors
    August 26, 2018
    After a successful first edition, the second edition of the African Peace and Security Annual Conference (APSACO) took place in Rabat on June 18-19, 2018.  This year’s edition focused on the prospects and opportunities of the peace and security spectrum, ranging from prevention to stabilization, while exploring ways to effectively protect the most vulnerable.  Researchers, diplomats, military personnel, and representatives of think tanks, civil society and the private sector from s ...
  • Authors
    August 26, 2018
    Au cours des deux premières décennies du troisième millénaire, l’Organisation des Nations-Unies (ONU) a lancé un processus de réforme du maintien de la paix par le biais, notamment, de rapports, de doctrines, d’initiatives et de réformes institutionnelles. Dans la foulée, le Secrétaire général, M. António Guterres, s’est engagé devant le Conseil de sécurité, le 7 avril 2017, à améliorer les opérations de paix des Nations-Unies (OMPs), en confirmant que l’action onusienne dans ce dom ...
  • Authors
    Malik Abaddi
    August 8, 2018
    The African Union goes to Mauritania Under the theme “Winning the Fight Against Corruption”, the 31st Summit of the African Union was held in early July in the desert capital Nouakchott. In a bitter prelude in late June, the AU’s commitment to this central theme was dealt a blow with the sudden – and public – resignation of Ghana’s Daniel Batidam from the AU Advisory Board on Corruption. Off to a rocky start, the summit had an even rougher road ahead of it.  A month before the lau ...
  • Authors
    Tristan Coloma
    Benjamin Augé
    July 27, 2018
    Arrivé au pouvoir le 2 avril 2018, le premier ministre Ethiopien Abiy Ahmed Ali, issu de la majorité oromo, a été imposé à une minorité tigréenne ayant cadenassé les postes à la tête de l'Etat, depuis la domination politique de la coalition de l'Ethiopian Peoples' Revolutionary Democratic Front (EPRDF) en 1991. Chef de l'Oromia Urban Development and Housing Bureau en charge des programmes de construction dans sa région, ainsi que vice-président de cette région peuplée de plus de 30 ...
  • Authors
    Sabine Cessou
    July 20, 2018
    Lors d’un séminaire, organisé par l’OCP Policy Center, le 20 juin 2018, à Rabat, des experts du jihad dans le Sahel se sont posé la question de l’extension ou du recul de ces groupes armés. La première partie du compte-rendu des discussions a été publiée ici. Selon Lemine Ould Salem, journaliste mauritanien et auteur de plusieurs livres sur le terrorisme dans le Sahel, « il n’existe pas historiquement de jihad sahélien, même si des épisodes historiques du jihad se sont déroulés sur ...
  • Authors
    Lemine Ould M. Salem
    July 5, 2018
    Cinq ans et demi après l’intervention militaire internationale conduite par la France pour chasser les jihadistes du nord du Mali, l’ancien Soudan français s’apprête à organiser une élection présidentielle censée accélérer le processus de paix issu des accords inter-maliens négociés à Alger et signés à Bamako en juin 2015. « Un scrutin décisif”, soutient en marge de l’African Peace and Security Annual Conference (APSACO), organisé les 18 et 19 juin 2018 à Rabat au Maroc par l’OCP P ...
  • Authors
    Sabine Cessou
    June 28, 2018
    Qui sont les groupes jihadistes actifs dans le Sahel, vaste région de 3 millions de kilomètres carrés ? Quels sont leurs objectifs, leurs moyens d'action et comment évoluent-ils ? Quelles sont les solutions en cours pour faire face à ces groupes ?  Les experts réunis lors du séminaire sur le Jihad au Sahel, organisé le 20 juin à Rabat par l’OCP Policy Center, ont tenté de répondre à ces questions.  Recul ou extension ?  La thèse du recul a été posée par une source française. Entre ...