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Présence militaire française au Sahel : Le temps des décisions
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December 7, 2019

La présence de la France au Sahel n’est pas un sujet facile à discuter, à commenter ou à traiter. D’une part, l’intervention française, en 2013, (Opération Serval), avait permis de prolonger l’existence de l’Etat malien qui, sans l’opération française, n’aurait pas pu résister aux menées terroristes qui visaient Bamako.

D’autre part, la présence française semble ne rien pouvoir changer à l’avancée du terrorisme dans la région, le phénomène semble même gagner du terrain devant l’impuissance de la force française.

La France dans le piège du Sahel

La force Barkhane qui avait, par la suite, en 2014, remplacé ‘’Serval’’, était une unité dont la mission devait s’inscrire dans la durée, pour protéger la région contre la menace terroriste, aux côtés d’une force régionale (G5 Sahel). Force dans la conception et l’organisation de laquelle la France avait joué un rôle important, ce qui, malheureusement, ne fut le cas du volet financement.

Durant les trois dernières années, Barkhane et la force G5 Sahel (mal équipée, peu entrainée et, surtout, sans doctrine et sans financement) n’ont pas pesé devant des groupes terroristes qui se sont organisés, après la débâcle de 2013, ont mieux réglé leur coopération dont quatre d’entre eux se sont rassemblés en une alliance : le Groupe pour le soutien à l’Islam et aux Musulmans.

Non seulement Barkhane et le G5 Sahel n’ont pas pu repousser les groupes hors du Mali ou les mettre hors d’état de nuire, mais les deux contingents n’ont pu que constater l’avancée, vers le sud, des hordes d’extrémistes qui, aujourd’hui, menacent toute l’Afrique de l’Ouest. Cette situation ne pousse la France que vers l’enlisement. Son départ, dans l’état actuel des choses, nuirait à son image de puissance et serait assimilé à une défaite face au terrorisme dans le Sahel, et son maintien renforcerait les aversions d’une population lassée d’une présence étrangère qu’elle commence à assimiler à une occupation. Le Sahel se transforme en piège pour la France. Cette dernière, seule puissance réellement impliquée dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, supporte à la fois l’humiliation de l’impuissance et le sentiment de plus en plus en plus hostile des populations.

La France subissait, également, une autre pression. Dès l’annonce du sommet de Sotchi entre l’Afrique et la Russie, les populations de la région, mais aussi certains responsables étatiques, admiratifs du succès remporté par la Russie en Syrie, avaient commencé d’abord à murmurer, puis, à crier haut et fort une demande d’intervention russe dans la région. Après avoir été doublée par la Russie en République centrafricaine, la France risquait de l’être aussi au Sahel. Le président français ne tarda pas à réagir. Le 4 décembre il a annoncé son intention de demander aux chefs d’Etat de la région de se prononcer clairement sur la présence française au Sahel1. Si cet ultimatum pourrait informer sur les intentions des chefs d’Etat, qu’en est-il des populations ? Or, ces dernières sont la pièce maitresse de la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Le décès des treize soldats français au Sahel, survenu à la fin du mois de novembre 2019, appelait à la prise d’une décision quant à l’avenir de Barkhane dans la région. Le président français n’écarte d’ailleurs aucun scénario2. Il reste, bien entendu, que le scénario le plus favorable, pour l’avenir de la présence militaire française au Sahel, serait de bénéficier d’un appui allié fort qui l’aiderait à remporter des victoires sur les groupes terroristes, avant de se retirer. Les Européens se sont avérés à la fois timides et peu volontaires et il ne restait qu’un seul recours : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan).

Aider la France ou contenir la Russie ?

Lors d’une rencontre avec le secrétaire général de l’Otan, le chef de l’Etat français avait formulé le souhait de voir les alliés de la France au sein de l'Organisation "s'impliquer" davantage dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Mais, le président français avait également tenu à l’égard de l’Organisation transatlantique des propos jugés insultants par le président américain, ce qui rendait compliqué tout espoir d’entente entre la France et ses alliés d’autant plus que les déclarations du président français étaient intervenues quelques jours avant le sommet de l’Otan à Londres. Cependant, à la veille du sommet, le secrétaire général de l’Organisation transatlantique affirmait ne pas écarter une réponse positive des alliés de la France au sein de l’Otan si Paris formule une demande d’aide. Mais, le secrétaire général souligne que l’Otan n’agira que si la France le demande3.

A Watford, près de Londres, le sommet de l’Otan n’a été ni un échec ni une réussite, à peine si on avait évité le pire. Le texte de conclusion semblait satisfaire tous les alliés. L’unité était sauvegardée, rien de plus la déclaration finale affirmait ‘’Solidarité, unité et cohésion’’.

Au niveau stratégique, la réunion soulignait, pour la première fois, la montée en puissance de la Chine comme un « défi » et relève également la « menace » que représentent « les actions agressives » de la Russie. La France n’a pas explicitement demandé l’aide de l’Otan et celle-ci, à moins d’une décision surprise, n’y interviendrait pas.

L’Otan ne devrait cependant pas se désintéresser de la région du Sahel. Une éventuelle intervention de la Russie dans la région mettrait l’Organisation transatlantique dans un piège stratégique. En s’implantant au Sahel, la Russie s’approcherait de l’Afrique de l’Ouest et, donc, du flanc atlantique du continent. L’Organisation verrait l’espace atlantique sud, qu’elle a toujours négligé, tomber sous l’influence de la Russie. Même si l’Otan ne prend pas en considération la situation de la France au Sahel, et ne réagit pas pour venir en aide à l’un de ses membres qui soutient seul la lutte contre le terrorisme, une intervention de plus en plus probable de la Russie dans la région devrait mettre l’Alliance en alerte. D’ores et déjà, une association de la société civile malienne organise des manifestations et rassemble des signatures en faveur d’un appel à l’intervention russe. L’éventualité de cette intervention est d’autant plus probable que le Mali et la Russie avaient signé, en juin 2019, un accord de coopération militaire que Sergueï Choïgou, ministre russe de la Défense, commente en assurant que ‘’… La Russie est prête à contribuer à la normalisation de la situation au Mali et à la création de conditions pour une paix et une stabilité durables…’’.

Si l’Otan n’intervient pas pour aider la France, la Russie finira par s’installer dans la région, les conditions sont toutes favorables à son entrée en scène.

Le temps est aux décisions, aussi bien de la part de la France que de l’Otan.

1Les propos du président français à cet égard ont été fermes et précis : ‘’J'attends d'eux (les chefs d’Etat du Sahel) qu'ils clarifient et formalisent leurs demandes à l'égard de la France et de la communauté internationale…Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions…Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l'heure même que l'ambiguïté persiste à l'égard de mouvements anti-français, parfois portée par des responsables politiques".

2"Le contexte que nous sommes en train de vivre au Sahel nous conduit aujourd'hui à regarder toutes les options stratégiques", 

3"L'Otan peut fournir un soutien, mais nous ne le ferons qu'en cas de demande de la France…Je suis certain que les alliés de l'Otan vont prendre cette demande très au sérieux"

 

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