Publications /
Opinion

Back
L’accord Union européenne-Chine sur l’investissement : un test à double détente
March 8, 2021

Cet article sera publié dans le numéro 173 de la Revue Commentaire.

Le président chinois Xi-Jin-Ping et les plus hauts responsables européens se sont accordés fin décembre sur les termes d’un Accord global sur l’investissement (Comprehensive Agreement on Investment, CAI). Le texte reste à formaliser, mais les dirigeants se sont engagés.

Pour situer sa portée, rappelons que l’investissement est une compétence récente de l’Union européenne (2008). Concrètement, l’Union n’entend plus laisser les investisseurs étrangers jouer les Européens les uns contre les autres.

Elle s’estime ouverte aux entreprises étrangères, tandis qu’en Chine, ses investisseurs se heurtent à de nombreuses restrictions. L’accord procure, non une symétrie totale, mais des avancées. Les entreprises européennes ne seront plus systématiquement contraintes à une joint-venture avec un partenaire chinois et exposées à des transferts de technologie forcés. C’est ce que l’Europe a gagné en jouant collectif, premier test.

Pourquoi la Chine a-t-elle consenti ces concessions ? C’est d’abord l’effet du rapport de force : l’Union européenne fait levier sur sa taille pour négocier. Ensuite, la Chine a intérêt à la stabilité des relations économiques internationales, comme la plupart des émergents. Face au protectionnisme brutal des années Trump, elle voit dans l’Europe un pôle stabilisateur. Enfin, critiquée sur l’épidémie de Covid, Pékin voulait redorer son blason. D’où l’accord commercial Asie pacifique (RCEP). D’où cet accord UE-Chine.

Le Parlement européen devra statuer. Des critiques ont fusé. Elles campent le débat. Premier angle d’attaque : en termes d’image, l’accord « rend service à la Chine ». C’est un fait. Réponse de Bruxelles : nul ne peut arracher des concessions si son partenaire n’est pas désireux, voire pressé, de conclure. Autre critique : l’Union européenne n’aurait pas obtenu assez. Certaines restrictions subsistent. Mais les entreprises jugent les progrès tangibles et semblent soutenir l’accord. L’Allemagne assurait la présidence de l’Union au second semestre 2020 et s’est employée à convaincre les pays réticents.

Des objections surgissent sur un autre terrain, en partie contradictoire avec le précédent : l’Union européenne aurait « sacrifié les principes » à ses intérêts. Par exemple, le travail forcé est certes évoqué officiellement par l’accord (une première). Mais son interdiction (censée préserver les Ouïghours) n’est pas formellement actée. Pékin s’engage seulement à « des efforts » pour ratifier les conventions de l’OIT.

Certains pourfendeurs de l’accord élargissent leur propos : il serait naïf de négocier avec la Chine car le parti communiste peut contourner ses engagements via des instructions aux entreprises.

La question n’est pas nouvelle : dans quelle mesure faire confiance à Pékin ? Débat justifié. Vouloir faire bouger la Chine est légitime. Mais lui dicter sa conduite serait irréaliste. Et l’Occident a depuis longtemps renoncé à la boycotter, préférant la voir sortir de l’isolement.

La novation réside dans l’autonomie stratégique de l’Union européenne, théorisée par Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Les Etats membres méditerranéens (France incluse) sont attachés à cette autonomie. L’unilatéralisme sans vergogne de Donald Trump a convaincu les autres Etats membres de sa nécessité. L’UE s’est par ailleurs dotée d’un mécanisme de filtrage des investissements étrangers. Elle pourra renforcer ses actions en faveur des droits de l’homme et inciter ses entreprises à des « due diligence » sur leurs fournisseurs chinois (non recours au travail forcé).

Jake Sullivan, alors membre de l’équipe de transition de Joe Biden (il est, depuis, devenu Conseiller pour la sécurité nationale), s’était alarmé de l’accord, demandant une concertation préalable entre alliés. Au contraire, malgré ses affinités avec le nouveau Président, l’UE fera du dossier un test d’autonomie. Elle rétorquera qu’un tel accord n’est pas préjudiciable aux alliés, qui ont tout loisir de négocier avec la Chine. Ils pourront même se prévaloir du précédent européen et réclamer des avantages similaires.

Entre Pékin, Washington et Bruxelles, c’est un subtil jeu à trois qui commence…

 

Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l’auteur.

RELATED CONTENT

  • September 20, 2022
      أصدر مركز السياسات من أجل الجنوب الجديد النسخة الخامسة للتقرير السنوي للجيوسياسة الإفريقية بنقاط قوتها ومعيقاتها، بمميزاتها وعيوبها، ما يجب تصحيحه وإعادة تنظيمه، وما يجب صيانته وتقويته وتوطيده. تدور الأسئلة التي تم تناولها من خلال التقرير حول جهات القارة الافريقية بين الأمن و السلم و...
  • Authors
    Said El Hachimi
    July 27, 2022
    Sleepless nights and the tireless search for compromise allowed WTO members to agree on concrete deliverables during the WTO 12th Ministerial Conference held last June. Those results reinforce Multilateralism. And this is a significant gain given the multiplicity of global crises that surround us. The Outcome include 6 Agreements, Declarations and Ministerial Decisions that respond to some of today's challenges, notably on Fisheries and Ocean Sustainability as well as responses to P ...
  • Authors
    July 1, 2022
    A principle seems to be establishing itself as a basic tenet of refugee and irregular-migration management policies in host countries in Europe and elsewhere: if you do not want refugees, pay to keep them in, or ‘outsource’ them to, poorer countries. But this raises some basic moral, political, and even financial questions. The approach was pioneered by Australia, which in 2012 began shipping migrants who arrived on its shores irregularly by boat to Papua New Guinea and Nauru in t ...
  • June 21, 2022
    يخصص مركز السياسات من أجل الجنوب الجديد حلقة برنامجه الأسبوعي "حديث الثلاثاء" لمناقشةوضعية اللاجئين بإفريقيا خلال عام 2022 مع محمد لوليشكي، باحث بارز بمركز السياسات من أجل الجنوب الجديد يحتفي العالم كل 20 يونيو من كل عام باليوم العالمي للاجئين، بينما أفادت مفوضية الأمم المتحدة لشؤون ال...
  • June 20, 2022
    From socio-economic crises to the scourges of war, through natural disasters and environmental degradation, the world's history is marked by events leading to mass migration, exacerbating the phenomenon of climate refugees. Today, environmental phenomena prompt many inhabitants to choose exile in search of more stable horizons. It is essential to note that no legal text, either global or regional, considers the case of climate refugees. Given the lack of a specific legal regime for ...
  • March 11, 2022
    L'opération militaire lancée le 24 février 2022 par les forces armées russes à l'intérieur du territoire de l’Ukraine a pour objectif déclaré d'empêcher l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) de se rapprocher de l”étranger proche” russe et de changer le régime à Kiev. Cette guerre, déclenchée par un membre permanent du Conseil de sécurité, a été menée en violation des principes cardinaux de la Charte des Nations unies. Elle a mis le monde au bord d’ ...
  • March 1, 2022
    يخصص مركز السياسات من أجل الجنوب الجديد حلقة برنامجه الأسبوعي "حديث الثلاثاء" لتقييم مخرجات القمة الاوروبية الافريقية ونموذج الشراكة الجديدة بين الطرفين، مع محمد لوليشكي، باحث بارز لدى مركز السياسات من أجل الجنوب الجديد. خلال القمة السادسة التي جمعت الاتحاديين في بروكسل وضع الاتحاد الأ...
  • Authors
    March 1, 2022
    Dag Hammarskjöld, ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) avait, mieux que quiconque, résumé le rôle et les limites de l’organisation onusienne en proclamant que « L'ONU n'a pas été créée pour emmener l'humanité au paradis, mais pour la sauver de l'enfer ». Cette vision minimaliste et, au demeurant, réaliste, de la capacité de l’ONU à réguler les rapports internationaux, cadre parfaitement avec la maturation inachevée du processus d’évolution du droit int ...
  • Authors
    Patricia Ahanda
    February 23, 2022
    Le Sommet Union européenne (UE) - Union africaine (UA), qui s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février 2022, entend marquer un tournant dans les relations entre les deux continents. L’agenda européen pour l’année 2022 met au centre de ses priorités les relations Europe - Afrique. Celles-ci sont aussi l'un des principaux axes défendus par la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) et le Président français Emmanuel Macron dans de son discours inaugur ...
  • February 10, 2022
    Africafé est une émission du Policy Center for the New South qui décrypte l’actualité des organisations africaines et de l’Afrique. A travers de courtes interviews, l’émission tente de proposer d’aborder de manière pédagogique les enjeux des organisations africaines et l’actualité du co...