Publications /
Opinion

Back
Les prix records de l'or : le reflet d'un monde en plein bouleversement
Authors
October 27, 2025

Record après record, l’or ne semble pas vouloir arrêter sa marche en avant : le 8 octobre 2025, l’once a franchi un nouveau sommet sur le marché londonien, dépassant ainsi le seuil de 4 000 $ et s’affichant, deux semaines plus tard, à quelque 4 170 $ au fixing de l’après-midi. Si le monde des matières premières est coutumier de ces élans, l’ampleur de cette hausse ne peut manquer de surprendre. L’envolée est en effet considérable : le seuil de 2 000 $ l’once a été dépassé pour la première fois en août 2020 et celui de 3 000 $, que d’aucuns considéraient alors inatteignable, en mars 2025. Sur les dix premiers mois de l’année 2025, l’or a ainsi progressé de plus de 57 %. Le 21 du même mois d’octobre, les cours de l’once ont cependant connu une très forte correction, passant de 4 294 $ à 4 169 $, soit une baisse de près de 6 % en un jour seulement. Correction « technique », quasi-normale après une telle hausse, ou signe annonciateur d’une longue décrue ? À cette heure, nul ne détient la réponse. 

 

L’envolée des cours : des raisons géopolitiques et économiques

Les variables influençant le prix de l’or sont bien connues et deux d’entre elles ont joué un rôle particulièrement déterminant au cours des trois dernières années : les tensions/incertitudes macroéconomiques et géopolitiques, d’une part, et la réalité de la politique monétaire américaine, d’autre part. L’or est une valeur refuge par exemple et lorsque les conflits, commerciaux ou armés, sont exacerbés, la demande pour ce métal précieux s’accroît, faisant ainsi quasi-mécaniquement progresser le cours de l’once. Il est toutefois « concurrencé » dans cette fonction par les bons du trésor américain, également considérés comme des actifs sûrs, avec un faible risque de crédit (le fameux « AAA » accordé par les agences de notation), mais offrant l’avantage de payer un taux d’intérêt. C’est ici que le degré de resserrement de la politique monétaire américaine et le niveau des taux directeurs comme des taux dits « longs », supérieurs à dix ans, importent. En période de lutte contre l’inflation, ces derniers augmentent, ce qui accroît les taux d’intérêt dits « réels, i.e. corrigés de l’inflation, et pèse, en symétrie, sur la demande d’or. 

C’est ainsi qu’il faut comprendre la relative stabilité des cours de l’once jusqu’en octobre 2022 et leur spectaculaire essor depuis. Au cours de cette première période, les deux variables susmentionnées ont joué une partition dissonante. Tandis que la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et les incertitudes ont soutenu le métal précieux, le resserrement, à partir de mars 2022, de la politique monétaire de la Réserve fédérale (Fed) a eu l’effet opposé. Comme évoqué dans notre précédente Op-ed sur l’or[1], ce plafond de verre a disparu en octobre de cette même année, lorsque les marchés ont anticipé le ralentissement de la hausse de ces taux directeurs. Leurs abaissements successifs, à trois reprises en 2024, puis en septembre 2025, expliquent, dans la même logique, pourquoi l’or a poursuivi son chemin fortement haussier, dans un contexte inchangé de très fortes tensions géopolitiques, au Moyen-Orient notamment. Conséquence partielle de cette baisse des taux, la forte dépréciation du dollar est également un argument invoqué : la plupart des matières premières étant cotées en monnaie américaine, l’affaiblissement de cette dernière rend plus accessible l’achat d’or pour le reste du monde.[2]

 

Les effets de la politique du président Trump

Une question demeure en suspens : pourquoi les cours de l’or ont-ils autant augmenté ? Entrant dans l’item « incertitude », l’essor de la dette mondiale, estimée à 337 700 milliards de dollars à la fin du premier semestre 2025 par l’Institute of International Finance inquiète tout particulièrement. Ceci est particulièrement vrai pour la dette publique mondiale qui, selon le Fonds monétaire international (FMI), pourrait dépasser le seuil de 100 % du PIB en 2029, ce qui serait alors son plus haut niveau depuis…1948. 

La politique du président Donald Trump interroge tout autant, tant au regard des effets délétères du nouveau protectionnisme américain sur la croissance mondiale que des craintes relatives à l’autonomie de la Fed. L’indépendance de toute banque centrale vis-à-vis du pouvoir politique est, depuis des décennies, considérée comme la condition impérative de l’accomplissement de sa mission principale : assurer la stabilité des prix. Des pressions de la Maison-Blanche sur la baisse des taux à la nomination de Stephan Miran, également conseiller du président américain, en passant par la tentative de révocation de la gouverneure Lisa Cook ou la volonté de limoger Jerome Powell : les faits attestant d’une fragilisation croissante de ce dogme s’accumulent. Nourrissant un risque inflationniste tout en fragilisant le dollar, cette stratégie a, de toute évidence, également favorisé la demande d’or. 

C’est, de manière tout aussi fondamentale, la question de la crédibilité du dollar qui est désormais posée. Signe d’une stratégie de dédollarisation de leurs réserves officielles, les banques centrales n’ont eu de cesse d’accroître leurs stocks d’or. Une étude récente menée par le World Gold Council a ainsi mis en exergue que les banques centrales ont acheté près de 1 000 tonnes d’or sur la période comprise entre le second semestre 2024 et le premier semestre 2025, un rythme proche de celui des années récentes, mais bien supérieur aux décennies passées. 

Tensions géopolitiques, droits de douane, risques inflationnistes, incertitudes sur la dette mondiale, achats des fonds indiciels cotés (ETF) comme des banques centrales, les planètes se sont, en réalité, alignées pour porter l’or au sommet. Derrière l’analyse conjoncturelle se cache pourtant une autre réalité : celle d’une scène internationale en profonde mutation où l’hégémonie économique américaine est de plus en plus contestée. L’or, et plus généralement les matières premières, n’ont-ils pas, de tout temps, été le reflet des changements de notre monde ? Pour le pire et, espérons-le, pour le meilleur. 


 


[1] https://www.policycenter.ma/publications/or-vers-de-nouveaux-records-de-prix

[2] Notons toutefois, a contrario de cette affirmation, que l’or a la particularité d’être libellé dans de nombreuses monnaies. Il n’est pas donc certain que cet effet soit déterminant, l’effet par le canal des taux d’intérêt étant prédominant.

 

RELATED CONTENT

  • February 27, 2024
    يخصص مركز السياسات من أجل الجنوب الجديد حلقة برنامجه الأسبوعي "حديث الثلاثاء " لمناقشة موضوع ندرة المياه في المغرب وما تحمله من آثار على مختلف القطاعات الاقتصادية. فوفقًا لبيانات أصدرتها وزارة التجهيز والماء، لم تتعد إمدادات المياه 5 مليارات متر مكعب سنويًا في سنوات الجفاف الأخيرة ويُتر...
  • February 20, 2024
    The heightened and persistent geopolitical tensions of recent years, marked by the deterioration of U.S.-China relations, the escalation of tensions in Taiwan, and the conflict between Russia and Ukraine, have had significant repercussions on the strategic and critical minerals supply policies of several states. Recent crises, particularly the COVID-19 pandemic and the war in Ukraine, have exposed the vulnerability of global supply chains to geopolitical shocks and disruptions, prom ...
  • February 20, 2024
    Le contexte de tensions géopolitiques accrues et rémanentes que connaît le monde depuis quelques années, marqué par la dégradation des relations entre les États-Unis et la Chine, l'escalade des tensions à Taïwan, et le conflit entre la Russie et l'Ukraine, a engendré des répercussions majeures sur les politiques d'approvisionnement en minerais stratégiques et critiques de plusieurs États. Les récentes crises, notamment la pandémie de COVID-19 et le conflit en Ukraine, ...
  • Authors
    February 13, 2024
    As a net energy importer seeking to improve its energy security, Morocco has stepped up initiatives to achieve a level of domestic energy sovereignty. This includes following guidelines for transitioning to cleaner energy sources, with an emphasis on diversification. This diversification extends to natural gas, solar and wind power, and innovative solutions such as green hydrogen. Morocco recognizes cooperation as a crucial element for the success of its strategies, as underlined by ...
  • February 8, 2024
    In this episode, we examine the state of energy integration in Africa, a continent striving for both sustainable development and industrialization. We delve into the current challenges, the tension between renewable energy and fossil fuels. Ultimately, the episode sheds light on the int...
  • January 22, 2024
    Mr. Amit Jain, Director, NTU-SBF Centre for African Studies, Singapore, discusses a recent shift in Africa's economic landscape. Traditionally considered economically disadvantaged, certain nations like Zimbabwe and Namibia have unearthed substantial lithium and heavy earth oxide deposi...
  • Authors
    January 12, 2024
    A 2023 United Nations progress report (UN, 2023) showed that, of the 169 targets that make up the Sustainable Development Goals (SDGs), only 15% are on track, and progress on many has either stalled or regressed. The Water-Energy-Food nexus approach has highlighted the utmost importance of understanding the interconnections between systems in order to accelerate the achievement of the SDGs. In this policy brief, we use the lessons learned from the water sector through a case study f ...
  • Authors
    December 29, 2023
    À la fin de la COP28, qui s’est tenue à Doubaï (Emirats arabes unis) du 30 novembre au 13 décembre 2023, les Etats qui ont signé et ratifié la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont adopté par consensus le ‘‘Global Stocktake’’ qui prévoit notamment que le monde doit engager une transition qui l’éloignera des énergies fossiles (‘‘transitioning away from fossil fuels’’) de façon ‘‘juste, ordonnée et équitable’’ (‘‘in a just, ordered and equitab ...
  • Authors
    November 2, 2023
    The global economic environment has changed as the U.S.—and to a less confrontational degree, the European Union—have clearly established a context of technological rivalry with China. Hindering China’s progress in the sophistication of semiconductor production has become a centerpiece of current U.S. foreign policy. While the U.S. is clearly winning the semiconductor war, the picture is different when it comes to clean-energy technology. Both technology wars overlap with access to ...
  • September 18, 2023
    Mexico's federal government and Morocco’s central government have traditionally played an important role in the domestic market via their management of economic policies and their extensive reach in some sectors of the economy. Recent administrations had followed prudent and credible ec...