Publications /
Opinion

Back
ZLEC, patriotisme économique et protectionnisme commercial : faisons la part des choses pour servir le “Made in Africa”
Authors
Bouchra Rahmouni
April 5, 2018

Depuis la création de l’OMC, l’économie mondiale a enregistré deux évolutions majeures : la mise en place des chaînes de valeur globales et la conclusion de méga-accords commerciaux régionaux (Accord transatlantique Europe-États-Unis, Accord de Partenariat Transpacifique entre l’Amérique du Nord et une dizaine de pays asiatiques, partenariat unique total entre l’ASEAN, la Chine, le Japon et la Corée du Sud, plus la partie océanique). Le commerce intra-régional n’est plus une simple logique d’échange, mais plutôt une question de développement et même de survie.

Le cas du développement des pays asiatiques est sans doute le plus éloquent à cet égard. Ces pays ont rejoint le club des puissances économiques parce qu’ils ont su tirer profit de l’intégration régionale et du commerce extérieur et ont réussi ainsi à réaliser des croissances économiques alors qu’ils étaient à des niveaux de développement faibles il y a 50 ans. Selon le Centre for Economics and Business Research, l’Inde occupera en 2018 la cinquième place devant la France et le Royaume-Uni. Selon le même institut, la progression des économies asiatiques se renforcera, et en 2032 certaines comme la Corée du sud et l’Indonésie auront fait leur entrée dans le top 10, tandis que Taïwan, la Thaïlande, les Philippines et le Pakistan intégreront le top 25. La Chine, elle, se hisserait au premier rang des principales économies mondiales en 2030 supplantant ainsi les Etats Unis qui passeraient en 2ème place.

Dans l’état actuel des choses, l’Afrique ne représente que 4% du commerce mondial et reste très peu intégrée. Au moment où le commerce intra-régional des biens et des services représente respectivement 60%, 40% et 30% en Europe, en Amérique du Nord et en Asie du Sud Est, il n’est que de 12% en Afrique. 

Comment rattraper le temps, comment promouvoir les chaînes de valeur régionales en l’occurrence dans les secteurs de l’agro-transformation, les produits chimiques, l’automobile, ainsi que les intrants de services logistiques ? En d’autres termes,  comment consacrer le « Made in Africa » ?

Le continent pourra rattraper le temps perdu en termes d’intégration économique en tirant des leçons des modèles d’intégration économique à succès et surtout à travers l’adoption par les pays africains du patriotisme économique dans son acception authentique, loin de tout nationalisme ou repli économique. 

Mouhamadou Moustapha Ly, Senior Economist OCPPC, éclaire dans son blog "La Zone de Libre Echange Continental : lever les inquiétudes pour réussir" les principaux avantages de l'accord historique de création de la ZLEC par 44 pays Africains et s'interroge sur les raisons de la non signature des onze membres de l'Union Africaine dont l'Afrique du Sud et le Nigéria. Une réflexion dynamique s'impose pour obtenir l'adhésion des non signataires afin de consolider le gain des consommateurs du continent africain grâce à l'accord de la ZLEC. Pour résumer, l'opérationnalisation de la ZLEC requiert l'adhésion de tous.

Pour stimuler le commerce intra régional sur le continent, la littoralisation et la métropolisation s’imposent, à l’image du modèle de l’Asie orientale. Autrement dit s’organiser en hubs et en spokes, accueillir des ports aux standards internationaux et disposer de villes parfaitement intégrées aux échanges interplanétaires formant un axe de croissance. Une telle organisation doit constituer le socle de la stratégie africaine pour accroître le commerce intra zone et l’attractivité territoriale. 

Il importe parallèlement de comprendre que pour initier une telle dynamique il est primordial de considérer la Zone de Libre Echange Continentale (ZLEC) comme une opportunité à exploiter avec la volonté d’en faire profiter son propre pays, sans exclure les autres pour autant. C’est exactement ce que traduit le patriotisme économique. Atteindre les principaux objectifs de la ZLEC – la création de l’Union douanière continentale (2019), la libre circulation des personnes, des produits et des services et de l’investissement, dynamiser les échanges intra-africains, trouver une solution pour le soi-disant « bol de spaghettis » et le chevauchement des rôles et des pays dans les communautés économiques régionales et améliorer le secteur industriel africain - impose de rompre avec les attitudes hégémonistes, bellicistes ou autarciques et partir du postulat qu’il est réducteur d’établir une équivalence entre le patriotisme économique et le protectionnisme commercial. Il est même insensé d’utiliser le patriotisme économique comme une machine pour combattre la construction africaine. Il serait plutôt intelligent pour tous les Etats africains de réfléchir à un patriotisme économique utile qui saura combiner l’intérêt national et l’émergence d’une Afrique puissante. Il importe également de réfléchir d’ores et déjà à comment créer et mettre en cohérence les systèmes industriels africains et à comment opérer une cristallisation de synergies productives, financières et commerciales, tout en faisant émerger des projets décisifs de l’économie de la connaissance. A ce niveau, il convient de rappeler que cela fait déjà 4 ans que le continent africain dispose d’une stratégie de la technologie et de l’innovation avec comme ambition de valoriser l’innovation collaborative. Science, technologie et innovation pour l’Afrique, « STRATÉGIE POUR 2024 ». 

Jeter les bases d’« un vouloir émerger ensemble », au-delà des discours et des PowerPoint, c’est ce dont a besoin l’Afrique, et cette dernière peut déjà saisir  l’opportunité qui se profile suite à l’orientation de la Chine et d’autres pays d’Asie vers la production industrielle à forte valeur ajoutée. Le continent africain pourrait éventuellement mettre en place une stratégie pour tirer profit de la relocalisation de certaines activités de fabrication de l’Asie vers des pays où les coûts de production sont moins élevés et qui ont un accès à de vastes marchés. Une telle stratégie pourrait constituer une des voies à emprunter pour rompre avec la culture des exportations des matières premières et des produits agricoles à l’état brut telle que révélée par le rapport accablant de la CNUCED, « The state of Commodity Dependance Report 2016 », ce dernier avait révélé  qu’à l’exception de six pays - l’Afrique du Sud, le Swaziland, le Lesotho, le Maroc et la Tunisie – pour le reste du continent « les ressources agricoles, minières et énergétiques pèsent en valeur plus de 60 % des exportations ». Il apparaît donc clairement que l’Afrique a besoin d’étoffer son tissu productif. A cet égard, les accompagnements spécifiques ne devraient plus rester l’apanage des champions nationaux et des grandes entreprises, mais devraient s’étendre aux petites et moyennes entreprises. Le temps est venu pour qu’une grande politique africaine de soutien et de financement des PME et des PMI stratégiques au développement de notre continent soit mise en place afin d’assurer leur croissance et leur déploiement sur les marchés étrangers. En Europe, c’est durant les années 80 et une grande partie des années 90, que des mesures ont été prises, tout d’abord à l’égard de l’entrepreneuriat afin de créer des emplois, puis par la suite avec le lancement de programmes pour l’expansion et l’amélioration de la compétitivité internationale des PME. 

La stratégie de l’union africaine 2063 est fondée sur la vision d’une Afrique unie, prospère et dynamique. Pour en faire une réalité, les 44 Etats africains signataires de l'accord prévoyant l'instauration d'une zone de libre-échange continentale doivent chercher ardemment comment tirer profit au maximum des possibilités de développement industriel et commercial, et comment accroître la prospérité de leur pays tout en intégrant les logiques d’ouverture et d’interdépendance d’une zone de libre échange et loin de toute confusion entre le patriotisme économique et le repli sur soi nationaliste. Faire la part des chose revient à adopter un patriotisme économique créateur d’opportunités de coopération au niveau continental pour soutenir le « made in Africa » et modifier ainsi la géographie économique du continent.

RELATED CONTENT

  • Authors
    February 6, 2019
    This paper examines Turkey's case against Morocco before the World Trade Organization (WTO), over anti-dumping duties on hot-rolled steel products. Turkey's complaint constitutes both a precedent and an opportunity. First, it is a precedent in that Morocco was previously never involved in a case before GATT or WTO, neither as a plaintiff nor as a defendant. Second, it is an opportunity as the evaluation of the legal process of the complaint enables an assessment of adequacy of Moroc ...
  • Authors
    February 6, 2019
    Ce papier examine la plainte initiée par la Turquie devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre le Maroc au sujet des droits antidumping appliqués aux produits d’acier laminés à chaud. La plainte de la Turquie constitue à la fois un précédent et une opportunité. Un précédant d’abord, car jamais le Maroc n’a été impliqué, ni en qualité de partie plaignante ni en qualité de partie défenderesse, dans une affaire devant le GATT ou l’OMC. Une opportunité ensuite, par ce que l ...
  • Authors
    Yana Myachenkova
    November 27, 2018
    - The trade agreements that the European Union has with North African countries – with Algeria, Egypt, Morocco and Tunisia – are often seen as having delivered disappointing results since they came into force during the 2000s. The four North African countries have seen insufficient growth in their exports to the EU, and have undergone only limited diversification. In the meantime, the EU’s exports to North Africa have grown quite rapidly. - Economic growth in North Africa has been ...
  • Authors
    November 13, 2018
    Livelihoods of northern Niger’s population depended for centuries on trade and cross-border movement of licit goods with Libya. Historical trends of domestic and regional shocks demonstrated the ability of local communities to adapt and adjust to transformations caused by these shocks to survive. People moving through and living in the area have different motivations and reasons to cross to Libya and beyond, but economic drivers remain the key factor. The local economy has suffered ...
  • Authors
    Sabine Cessou
    October 8, 2018
    « Amérique latine, crises et sorties de crises », telle était la première des deux thématiques des 6èmes Dialogues stratégiques, organisés le 4 avril par HEC Paris (Centre de géopolitique) et OCP Policy Center. Un tableau mitigé a été dressé, avec des signes de reprise et une croissance supérieure à 2 % qui n’empêchent pas des situations de crise comme au Brésil, au Nicaragua ou au Vénézuela. Crise d’un modèle d’oligarchies anti-capitalistes Au Vénézuela, la corruption paraît si e ...
  • Authors
    Anabel Gonzalez
    August 30, 2018
    The agreement establishing the African Continental Free Trade Area (AfCFTA) is a framework to create a free trade area across the region, bringing together the 55 members of the African Union into a continental market with a cumulative Gross Domestic Product (GDP) exceeding US$2.2 trillion and a total population of over one billion people. When concluded and successfully implemented, it will become the largest free trade area in the world in terms of membership, opening up significa ...
  • Authors
    August 13, 2018
    Depuis la fin de l’année 2017, le président Donald Trump mène plusieurs batailles commerciales, contre différents partenaires, sous prétextes de sauver des emplois industriels américains et de réduire le déficit commercial des États-Unis. S’il est difficile de se prononcer sur les effets des combats commerciaux amorcés par le président Trump, l’importance des opposants et des échanges pour l’économie mondiale en fait une source de risque pour la croissance, les emplois et les prix à ...
  • August 1, 2018
    “This article has been originally published in 'Morocco in Focus 2018,' the magazine of the Moroccan Embassy in New Delhi, India on the occasion of the Morocco National Day 2018.” Introduction In an article published last year, the author stressed the role of partnership between Morocco and India for the inclusive growth of small farmers. There is no doubt that agriculture remains a major instrument for human development both in India and in Africa. Several international reports h ...
  • Authors
    May 31, 2018
    Salutations Thank you for the invitation to address the 2018 Africa Think Tank Summit  in this memorable city of Rabat. I thank in particular, the OCP Policy Center and the Think Tank and Civil Societies Program of the University of Pennsylvania for hosting the Summit with the theme “Deepening Expertise and Enhancing Sustainability: Insight into Contemporary Challenges Facing African Think Tanks”. Rabat, Morocco has been the sprouting ground of numerous agenda-setting instruments ...
  • May 21, 2018
    Le partenariat Afrique Europe fait son chemin depuis l'adoption de la stratégie commune Afrique-UE et la négociation complexe des Accords de Partenariat Economiques. L’évaluation des volets commercial, financier et humain de ces relations multidimensionnelles fait ressortir la persistance de grands déséquilibres dans les échanges commerciaux de biens et services, des tensions dans la gestion de la mobilité humaine et des dysfonctionnements dans les mécanismes institutionnels de part ...