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Stratégie américaine dans l’Indo-Pacifique: La théorie réaliste, encore et toujours
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June 19, 2019

Les Etats-Unis ont alternativement défendu le système westphalien et fustigé ses principes d’équilibre des forces et de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autrui en les prétendant immoraux et démodés. Il leur est même arrivé de faire les deux à la fois. Ce qui ne les empêche pas de continuer à affirmer la validité universelle de leurs valeurs pour l’édification d’un ordre mondial pacifique et de se réserver le droit de les soutenir à l’échelle planétaire.

Henri Kissinger (L’ordre du monde, 2014)

Les Etats-Unis d’Amérique, première puissance du monde jusqu’à preuve du contraire, apparaissent dans tous les points du Globe. De l’Asie à l’Amérique du sud, en passant par l’Europe et l’Afrique, les USA interfèrent dans le politique, l’économique, le sécuritaire et, même, le culturel et le cultuel du monde. Cette interférence est tellement diverse et multiple qu’il est difficile de désigner un point focal de l’intérêt américain. En examinant ses relations, amicales ou tumultueuses, avec l’Europe, certains sont tentés de voir en le Vieux continent, un centre d’intérêt, primordial pour les Américains. Mais, leurs interventions intenses dans les affaires du Moyen-Orient peuvent aussi donner à penser que les USA se focalisent, plus que tout, sur cette partie du monde. Des ingérences très remarquées en Amérique du Sud ou latine (tout dernièrement le Venezuela) semblent redonner vie à la doctrine Monroe, pourtant enterrée depuis longtemps. Les deux mandats d’Obama ont vu se développer l’idée d’un rééquilibre vers le Pacifique, mais beaucoup en doutaient en raison du maintien des présences américaines dans les foyers classiques d’intérêt.

Le premier de ce mois de juin 2019, et comme pour mettre fin aux doutes, les Américains ont désigné leur priorité. Un souci premier et un intérêt primordial : La zone Indo-Pacifique.

Le Département américain de la défense a, en effet, publié le 1er juin un document intitulé ‘’Rapport de stratégie indopacifique’’, dont le message d’introduction, signé par le Secrétaire à la Défense par intérim, s’ouvre par cette phrase : ‘’ l’indo-Pacifique est le théâtre prioritaire du Département de la défense’’ ; la priorité est désignée et la messe est dite. Le même ton se confirme le 2 du même mois au Forum ‘’Shangri- La Dialogue’’, où l’intervention du même Secrétaire d’Etat à la Défense par intérim a porté, pour plus d’une heure et demie, sur la même zone. Une zone qui constitue pour les USA un focus géographique et qui doit être, sécurisée, prospère, libre et ouverte. En soulignant ces aspects, le responsable américain met l’accent sur la puissance militaire qui donne aux USA la capacité d’être à la bonne place au bon moment.

L’armée américaine se déploie là où logent les intérêts des USA. La priorité du ministère de la Défense n’est, donc, rien d’autre que la priorité de la stratégie américaine en général ; et si le ministre de la Défense désigne sa priorité, on ne peut y voir seulement une priorité militaire des USA, mais leur priorité stratégique et géopolitique. Le document du 1er juin tire son importance du fait qu’il explique le caractère névralgique de cette zone pour la stratégie américaine, et détermine les étapes futures du déploiement de cette stratégie en cohésion avec l’ensemble de la politique US dans le monde.

Les arguments déclinés dans le rapport sont multiples et divers. Ils sont géographiques, historiques, géopolitiques, géoéconomiques, et l’auteur, ou les auteurs, ont puisé dans les lexiques de tous les aspects des relations internationales, celui de la puissance en particulier, pour faire de la région indo-pacifique la clé du maintien des USA à la tête du monde.

Selon le document, le plan des Etats-Unis pour atteindre ces objectifs dans la région passe par trois axes d’action :

- L’État de préparation : Les USA comptent, à ce niveau, sur leur puissance militaire. La voie vers la paix dans la philosophie de la stratégie américaine passe par une ‘’dissuasion efficace’’. On y rencontre clairement le paradigme réaliste des relations internationales cher aux républicains. Les USA n’hésitent pas à souligner clairement qu’il est ‘’ nécessaire de disposer d'une force interarmées prête à gagner tout conflit dès le début’’. Mission que le Ministère se dit prêt à assumer et au succès de laquelle il veillera avec des alliés et partenaires des Etats-Unis. Une position avancée des forces américaines dans la région est nécessaire, selon le document de référence. Cette préparation accorde à la supériorité militaire toute la priorité, en affirmant que la force (toutes armes confondues) ‘’accordera la priorité aux investissements garantissant la létalité contre des adversaires haut de gamme’’.

- Les partenariats : Il s’agit, là aussi, de partenariats militaires avec les alliés considérés comme un ‘’multiplicateur de forces pour parvenir à la paix, à la dissuasion et à une capacité de guerre interopérable’’. Le Département américain de la défense entend multiplier alliés et partenaires parmi les nations qui partagent les principes et les objectifs américains que sont, selon le document, le respect de la souveraineté, le commerce équitable et réciproque et la primauté du droit.

- La promotion d’un réseau dans la région. : Les alliances et les partenariats constituent un réseau que les USA veulent développer et promouvoir en une architecture de sécurité en réseau, chargée de faire respecter dans la région un ordre international fondé sur des règles. Cette architecture est appelée à être renforcée par des relations de sécurité intra-asiatiques capables de dissuader les agressions, de maintenir la stabilité et de garantir le libre accès aux domaines communs.

1- Les pays ciblés par la stratégie

Les cibles auxquelles les Etats-Unis doivent faire face dans la région apparaissent au premier chapitre du rapport. La Chine, la Russie et la Corée du Nord y sont nommément désignées comme s’opposant au projet américain visant à faire de la zone indopacifique une aire de liberté, de sécurité, de prospérité et d’ouverture

- La République populaire de Chine : Elle est désignée, par le rapport, comme une puissance révisionniste qui a, du point de vue des Américains, plus que tout autre pays, bénéficié de l’ouverture des systèmes régionaux et mondiaux. Néanmoins, tout en profitant des avantages du système, la Chine en sape les principes et les règles.  En cherchant, à court terme, l’hégémonie économique et militaire dans la région, la Chine vise, en définitive, la prééminence mondiale à long terme. Pour cela, elle investit dans d’ambitieux programmes militaires, notamment ceux qui lui permettront de projeter sa puissance. Le rapport souligne que la Chine développe, également, des capacités qui pourraient être utilisées pour empêcher les pays d'opérer dans des zones proches de la périphérie de la Chine, y compris les domaines maritime et aérien qui doivent, en principe, être ouverts à tous. Une telle intention est incompatible avec les principes de liberté et d’ouverture. Les USA cherchent cependant à placer les relations militaires entre les États-Unis et la Chine sur une trajectoire à long terme de transparence et de non-agression.

- La Russie : Celle-ci est considérée, par le rapport, comme étant un acteur néfaste revitalisé. En dépit d’une économie en souffrance, du fait des sanctions occidentales et à la baisse des prix du pétrole, la Russie fait de la mobilisation nationale ; de la modernisation de ses forces militaires et le renforcement de ses capacités stratégiques un moyen de rétablir sa présence dans la région indo-pacifique en cohésion avec ses activités d’influence mondiale. La stratégie russe ne se suffit pas de promouvoir les intérêts russes ; mais aspire, en plus et surtout, à saper le leadership américain.

- La Corée du Nord : Pour le document américain, la Corée du Nord est un Etat voyou. Ce pays est vu comme une menace, non seulement pour les USA, mais aussi pour le reste du monde. Le rapport précise que : ‘’ La Corée du Nord restera un défi de sécurité pour…, le système mondial, nos alliés et partenaires et nos concurrents, jusqu’à ce que nous obtenions la dernière dénucléarisation entièrement vérifiable…’’

2- L’action américaine

Pour les USA, l’action en matière de sécurité dans la zone indopacifique repose sur ses alliances avec certains pays de la région. Ces alliances et ces partenariats lui fournissent un avantage stratégique durable et asymétrique inégalé. Les États-Unis qui renforcent leurs relations bilatérales avec des accords trilatéraux et multilatéraux dans la région encouragent leur allié sur la voie de relations de sécurité intra-asiatiques pour des partenariats ciblés.

Les Américains cherchent à développer l’interopérabilité avec leurs alliés et partenaires de la région. Cette interopérabilité repose sur des accords d’échange d’informations, des exercices réguliers et une intégration facilitée entre le matériel et les logiciels militaires US et ceux de leurs alliés et partenaires. Pour tenir compte de l’historique des relations entre l’Amérique et ses alliés de la région, respecter les spécificités de chaque pays et élargir le réseau de partenaires, la nouvelle stratégie américaine dans la zone indopacifique catégorise les alliés en fonction des actions nécessaires à l’amélioration des partenariats. Il en résulte cinq catégories :

- Des alliances à moderniser : Les pays concernés par cette action sont le Japon, la République de Corée, l’Australie, les Philippines et la Thaïlande.  

- Des alliances à renforcer : Les pays avec lesquels les USA œuvreront à renforcer les alliances sont Singapour, Taiwan, la Nouvelle-Zélande et la Mongolie.

- Une extension vers l’Océan indien : dans le cadre de cette extension, les USA touchent en premier lieu l’Inde, le Sri-Lanka, les Maldives, le Bangladesh et le Népal.

- Une extension vers l’Asie du Sud-est : Les pays concernés par cette extension sont le Vietnam, l’Indonésie et la Malaisie.

- Des engagements à maintenir avec Brunei, le Laos et le Cambodge.

Dans son ensemble, le document qui est un produit du Département de la Défense, s’apparente à une démonstration de puissance et s’ancre dans la théorie néoréaliste qui, sans abandonner ses socles principaux basés sur la régulation des relations internationales par la puissance, introduit des notions de recherche de la coopération et de respect du droit international.

Cependant, en désignant un clan du mal regroupant la Chine, la Russie et la Corée du Nord ; la Stratégie américaine vise principalement Pékin en tant que puissance montante, et rappelle des allures de retour à la Guerre froide, avec comme antagoniste la Chine à la place de l’ancienne URSS.

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