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« Evitez toujours les dérapages vers les chemins interdits en démocratie et en bonne gouvernance. Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes, car si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant. »1. Ces propos sont extraits de la déclaration prononcée, en 2015, par Kèlèfa Sall, alors président de la Cour constitutionnelle, à l’occasion de l’investiture du président Alpha Condé au titre de son second mandat. Trois ans, plus tard, le même Kèlèfa Sall est démis de ses fonctions par décret présidentiel. Alpha Condé, au pouvoir depuis bientôt dix ans, serait, selon l’opposition, tenté par un mandat supplémentaire. Le 19 décembre 2019, après des mois d’incertitude quant à ses intentions, jamais entièrement confirmées par l’entourage du président, Alpha Condé annonce officiellement l’approbation, par l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, d’un projet de nouvelle Constitution. Ce projet de loi fondamentale sera prochainement soumis au référendum. L’histoire constitutionnelle guinéenne est plus compliquée qu’il n’y parait et justifie les divergences actuelles.
Retour au contexte d’adoption de la Constitution de 2010
En 2001, la Constitution guinéenne est sujette à modification par référendum dans un contexte de latence politique. Au pouvoir depuis 1984, et arrivé au terme de ses mandats en 2008, l’ancien président, Lansana Conté, use de cette nouvelle Constitution pour supprimer la limitation du nombre de mandats et parvient à se maintenir au pouvoir. De cette ‘’infraction’’ inconstitutionnelle résulteront de longues années de violence et d’instabilité, politique, sociale, économique… Le décès du président Lansana Conté, en 2008, auquel succédera un coup d’Etat militaire, dirigé par le capitaine Dadis Camara, placera le pouvoir entre les mains de la junte militaire. La Guinée entre, alors, dans une période sombre de son histoire au cours de laquelle des centaines de Guinéens seront assassinés, les organes étatiques suspendus et l’ordre constitutionnel perturbé.
Face à cette instabilité, et inquiète des répercussions qui pourraient en résulter, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), soutenue par les Nations unies, convoque un sommet de chefs d’Etat africains à Abuja en 2009. L’adoption de la Déclaration conjointe de Ouagadougou1 actera la passation du pouvoir aux civils et l’adoption de la Constitution de 2010 qui régit la Guinée aujourd’hui.
C’est justement cette adoption rapide de la Constitution qui cristallise les tensions. Selon qu’on se place du côté de l’opposition ou de celui de la présidence, les perceptions diffèrent quant à la Constitution de 2010. Si Alpha Condé tient à doter son pays d’une nouvelle constitution, c’est parce qu’il considère que celle qui régit le fonctionnement des institutions dans le pays a permis une sortie de crise et qu’elle est devenue obsolète et pleine d’incohérences. La vision opposée, elle, affirme que ce sont des consultations qui ont impliqué l’ensemble des composantes de la société guinéenne et des acteurs internationaux (CEDEAO/ONU) qui ont mené à l’adoption du texte de 2010 et instauré la paix et la cohésion sociale. Il ne faudrait donc pas s’en détacher, ou du moins pas sous cette présidence.
Le discours du 31 décembre 2019 d’Alpha Condé à la nation était très attendu. Si certains Guinéens espéraient y trouver un appel à l’apaisement, d’autres souhaitaient y voir une occasion pour Alpha Condé de renoncer à son projet de nouvelle constitution. Alors que dans son discours, le président Condé a mis en exergue les avancées et les réalisations qu’a connues la Guinée durant la dernière décennie, que ce soit dans le secteur agricole, minier, économique ou encore en ce qui concerne la place de la femme et des jeunes dans la société, des leaders de l’opposition ont jugé le discours du président en décalage avec la réalité du pays.
En réalité, Alpha Condé n’a, jusqu’à présent, jamais publiquement affirmé son intention de quitter son poste à la fin de son second mandat, autant qu’il n’a jamais fait part publiquement de son intention de briguer un troisième mandat. Lors d’une visite en France en 2017, l’actuel locataire du palais Sekhoutoureyah a affirmé que chaque pays était libre de choisir le nombre et la durée des mandats de ses présidents. Devant la diaspora guinéenne à Washington, cette fois-ci, en septembre 2019, date de début des manifestations dans le pays, Alpha Condé a réaffirmé son intention d’adopter une nouvelle constitution.
Prenant en compte les récents évènements et une possible candidature d’Alpha Condé pour les prochaines élections, les articles régissant la vie politique mériteraient d’être analysés.
Quelles sont les modifications proposées par le nouveau projet de constitution ?
Le nouveau projet de constitution apportera des modifications qui peuvent paraitre anodines mais, qui, en réalité, revêtent une importance majeure dans le déroulement des événements. A commencer par son article 40. Dans la Constitution de 2010, c’est l’article 27 qui régit les mandats présidentiels. Cette disposition stipule que le président de la République est éligible pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non »2. Dans le corps du nouveau projet de constitution, l’article 40 se veut moins rigide. Il stipule que « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de six ans, renouvelable une fois. »3. Outre la suppression de l’interdiction, c’est aussi la durée des mandats qui est passée de cinq à six années. Le flou laissé dans cet article, accompagné du changement de la durée du mandat, pourrait aider au maintien d’Alpha Condé au pouvoir, si c’est toutefois son intention. De plus, l’article 154 de la Constitution en vigueur subirait de grandes modifications. Alors qu’il insistait sur l’impossibilité de réviser le nombre et la durée des mandats du président de la République, c’est l’article 158 qui aborde ce point dans le projet de nouvelle constitution. Alors qu’il reprend l’interdiction de réviser le nombre de mandats, rien n’apparait sur la modification de leur durée. N’ayant pas réellement subi de rupture de son ordre constitutionnel (coup d’Etat, décès du président, …), la soumission du projet de nouvelle constitution à un referendum ne trouve pas de justification dans la constitution de 2010.
Par ailleurs, dans le nouveau texte qui sera soumis aux Guinéens pour approbation, la responsabilité du premier ministre, également chef du gouvernement, se fait toujours vis-à-vis du président de la République qui peut le nommer et le démettre à sa convenance. Ce dernier peut également être démis par l’Assemblée nationale aux trois quart des voix. De ce fait, le président peut impacter le pouvoir exécutif.
Le processus de nomination du président de la Cour constitutionnelle devrait subir également une modification de taille. Elu jusqu’à présent par les membres de ladite Cour, il sera, selon le projet de nouvelle constitution, nommé par le président de la République pour une durée de neuf années non renouvelables. Les membres de la Cour peuvent être désignés par le président de la République ou par son premier ministre.
Ayant d’ores et déjà soumis son projet constitutionnel, approuvé par l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, il ne demeure en réalité plus beaucoup de doute sur le fait que le projet de constitution sera soumis au vote contre la volonté d’une partie de la population et des formations de l’opposition. Si les élections législatives se tiennent en février 2020, comme annoncé dans le discours présidentiel du 31 décembre 2019, avec un fichier électoral qui n’aura pas été révisé, les résultats des élections pourraient donner lieu à un parlement majoritairement RPG Arc-en-ciel, parti d’Alpha Condé. D’autant plus que les partis de l’opposition, défavorables à la tenue de ce scrutin, ont refusé de soumettre leurs listes électorales en donnant à Alpha Condé jusqu’au 13 janvier pour abandonner son projet4. Ces derniers se sont d’ailleurs unis sous la bannière du Front National de Défense de la Constitution dont le but est de bloquer tout changement dans la Constitution. Dans cette configuration, le référendum pourra effectivement avoir lieu. Si les Guinéens disent ne pas craindre un nouveau texte constitutionnel, ils ne cachent pas leur préoccupation concernant l’usage qui en sera fait. Certains Guinéens craignent qu’Alpha Condé s’en serve pour briguer un troisième mandat et s’accrocher au pouvoir. Si d’autres semblent accepter le projet, ils ne souhaitent pas que la réforme de la constitution soit menée par le président en exercice.
1 RFI, Texte intégral de la déclaration de Ouagadougou, 16/01/2010 (http://www.rfi.fr/contenu/20100116-texte-integral-declaration-conjointe-ouagadougou)
2 Constitution de la République de Guinée du 7 mai 2010
3 Projet de nouvelle constitution de la République de Guinée, 2019
4 France info, Guinée Conakry : l'opposition boycotte les élections législatives du 16 février 2020, 09/01/2020