Publications /
Opinion

Back
Guinée : le projet de réforme de la Constitution suscite la controverse
Authors
January 27, 2020

« Evitez toujours les dérapages vers les chemins interdits en démocratie et en bonne gouvernance. Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes, car si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant. »1. Ces propos sont extraits de la déclaration prononcée, en 2015, par Kèlèfa Sall, alors président de la Cour constitutionnelle, à l’occasion de l’investiture du président Alpha Condé au titre de son second mandat. Trois ans, plus tard, le même Kèlèfa Sall est démis de ses fonctions par décret présidentiel. Alpha Condé, au pouvoir depuis bientôt dix ans, serait, selon l’opposition, tenté par un mandat supplémentaire. Le 19 décembre 2019, après des mois d’incertitude quant à ses intentions, jamais entièrement confirmées par l’entourage du président, Alpha Condé annonce officiellement l’approbation, par l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, d’un projet de nouvelle Constitution. Ce projet de loi fondamentale sera prochainement soumis au référendum. L’histoire constitutionnelle guinéenne est plus compliquée qu’il n’y parait et justifie les divergences actuelles.

Retour au contexte d’adoption de la Constitution de 2010

En 2001, la Constitution guinéenne est sujette à modification par référendum dans un contexte de latence politique. Au pouvoir depuis 1984, et arrivé au terme de ses mandats en 2008, l’ancien président, Lansana Conté, use de cette nouvelle Constitution pour supprimer la limitation du nombre de mandats et parvient à se maintenir au pouvoir. De cette ‘’infraction’’ inconstitutionnelle résulteront de longues années de violence et d’instabilité, politique, sociale, économique… Le décès du président Lansana Conté, en 2008, auquel succédera un coup d’Etat militaire, dirigé par le capitaine Dadis Camara, placera le pouvoir entre les mains de la junte militaire. La Guinée entre, alors, dans une période sombre de son histoire au cours de laquelle des centaines de Guinéens seront assassinés, les organes étatiques suspendus et l’ordre constitutionnel perturbé.

Face à cette instabilité, et inquiète des répercussions qui pourraient en résulter, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), soutenue par les Nations unies, convoque un sommet de chefs d’Etat africains à Abuja en 2009. L’adoption de la Déclaration conjointe de Ouagadougou1 actera la passation du pouvoir aux civils et l’adoption de la Constitution de 2010 qui régit la Guinée aujourd’hui.

C’est justement cette adoption rapide de la Constitution qui cristallise les tensions. Selon qu’on se place du côté de l’opposition ou de celui de la présidence, les perceptions diffèrent quant à la Constitution de 2010. Si Alpha Condé tient à doter son pays d’une nouvelle constitution, c’est parce qu’il considère que celle qui régit le fonctionnement des institutions dans le pays a permis une sortie de crise et qu’elle est devenue obsolète et pleine d’incohérences. La vision opposée, elle, affirme que ce sont des consultations qui ont impliqué l’ensemble des composantes de la société guinéenne et des acteurs internationaux (CEDEAO/ONU) qui ont mené à l’adoption du texte de 2010 et instauré la paix et la cohésion sociale. Il ne faudrait donc pas s’en détacher, ou du moins pas sous cette présidence.

Le discours du 31 décembre 2019 d’Alpha Condé à la nation était très attendu. Si certains Guinéens espéraient y trouver un appel à l’apaisement, d’autres souhaitaient y voir une occasion pour Alpha Condé de renoncer à son projet de nouvelle constitution. Alors que dans son discours, le président Condé a mis en exergue les avancées et les réalisations qu’a connues la Guinée durant la dernière décennie, que ce soit dans le secteur agricole, minier, économique ou encore en ce qui concerne la place de la femme et des jeunes dans la société, des leaders de l’opposition ont jugé le discours du président en décalage avec la réalité du pays.

En réalité, Alpha Condé n’a, jusqu’à présent, jamais publiquement affirmé son intention de quitter son poste à la fin de son second mandat, autant qu’il n’a jamais fait part publiquement de son intention de briguer un troisième mandat. Lors d’une visite en France en 2017, l’actuel locataire du palais Sekhoutoureyah a affirmé que chaque pays était libre de choisir le nombre et la durée des mandats de ses présidents. Devant la diaspora guinéenne à Washington, cette fois-ci, en septembre 2019, date de début des manifestations dans le pays, Alpha Condé a réaffirmé son intention d’adopter une nouvelle constitution.

Prenant en compte les récents évènements et une possible candidature d’Alpha Condé pour les prochaines élections, les articles régissant la vie politique mériteraient d’être analysés.

Quelles sont les modifications proposées par le nouveau projet de constitution ?

Le nouveau projet de constitution apportera des modifications qui peuvent paraitre anodines mais, qui, en réalité, revêtent une importance majeure dans le déroulement des événements. A commencer par son article 40. Dans la Constitution de 2010, c’est l’article 27 qui régit les mandats présidentiels. Cette disposition stipule que le président de la République est éligible pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non »2. Dans le corps du nouveau projet de constitution, l’article 40 se veut moins rigide. Il stipule que « Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de six ans, renouvelable une fois. »3. Outre la suppression de l’interdiction, c’est aussi la durée des mandats qui est passée de cinq à six années. Le flou laissé dans cet article, accompagné du changement de la durée du mandat, pourrait aider au maintien d’Alpha Condé au pouvoir, si c’est toutefois son intention. De plus, l’article 154 de la Constitution en vigueur subirait de grandes modifications. Alors qu’il insistait sur l’impossibilité de réviser le nombre et la durée des mandats du président de la République, c’est l’article 158 qui aborde ce point dans le projet de nouvelle constitution. Alors qu’il reprend l’interdiction de réviser le nombre de mandats, rien n’apparait sur la modification de leur durée. N’ayant pas réellement subi de rupture de son ordre constitutionnel (coup d’Etat, décès du président, …), la soumission du projet de nouvelle constitution à un referendum ne trouve pas de justification dans la constitution de 2010.

Par ailleurs, dans le nouveau texte qui sera soumis aux Guinéens pour approbation, la responsabilité du premier ministre, également chef du gouvernement, se fait toujours vis-à-vis du président de la République qui peut le nommer et le démettre à sa convenance. Ce dernier peut également être démis par l’Assemblée nationale aux trois quart des voix. De ce fait, le président peut impacter le pouvoir exécutif.

Le processus de nomination du président de la Cour constitutionnelle devrait subir également une modification de taille. Elu jusqu’à présent par les membres de ladite Cour, il sera, selon le projet de nouvelle constitution, nommé par le président de la République pour une durée de neuf années non renouvelables. Les membres de la Cour peuvent être désignés par le président de la République ou par son premier ministre.

Ayant d’ores et déjà soumis son projet constitutionnel, approuvé par l’Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, il ne demeure en réalité plus beaucoup de doute sur le fait que le projet de constitution sera soumis au vote contre la volonté d’une partie de la population et des formations de l’opposition. Si les élections législatives se tiennent en février 2020, comme annoncé dans le discours présidentiel du 31 décembre 2019, avec un fichier électoral qui n’aura pas été révisé, les résultats des élections pourraient donner lieu à un parlement majoritairement RPG Arc-en-ciel, parti d’Alpha Condé. D’autant plus que les partis de l’opposition, défavorables à la tenue de ce scrutin, ont refusé de soumettre leurs listes électorales en donnant à Alpha Condé jusqu’au 13 janvier pour abandonner son projet4. Ces derniers se sont d’ailleurs unis sous la bannière du Front National de Défense de la Constitution dont le but est de bloquer tout changement dans la Constitution. Dans cette configuration, le référendum pourra effectivement avoir lieu. Si les Guinéens disent ne pas craindre un nouveau texte constitutionnel, ils ne cachent pas leur préoccupation concernant l’usage qui en sera fait. Certains Guinéens craignent qu’Alpha Condé s’en serve pour briguer un troisième mandat et s’accrocher au pouvoir. Si d’autres semblent accepter le projet, ils ne souhaitent pas que la réforme de la constitution soit menée par le président en exercice.
 

1 RFI, Texte intégral de la déclaration de Ouagadougou, 16/01/2010 (http://www.rfi.fr/contenu/20100116-texte-integral-declaration-conjointe-ouagadougou)

2 Constitution de la République de Guinée du 7 mai 2010

3 Projet de nouvelle constitution de la République de Guinée, 2019

4 France info, Guinée Conakry : l'opposition boycotte les élections législatives du 16 février 2020, 09/01/2020

 

RELATED CONTENT

  • April 22, 2025
    The African Union’s Department of Political Affairs, Peace and Security (AU PAPS) and the Policy Center for the New South (PCNS) are jointly organizing the 2nd Dialogue-Seminar on Elections and Democracy in Africa. Titled “Inclusive Governance: Amplifying Women’s Leadership in African ...
  • April 18, 2025
    In this episode, we discuss the Memorandum of Understanding between Ethiopia and Somaliland, exploring its key terms and strategic motivations. We assess how the deal reshapes the securit ...
  • April 4, 2025
    Les récentes élections au sein de l’Union africaine (UA) ont été défavorables pour le Maroc, qui a perdu face à l’Algérie le poste de vice-président de l’Union et n’a pas été réélu au Conseil de Paix et de Sécurité (CPS). Ce résultat a suscité de l’incompréhension et un sentiment d’échec pour la diplomatie marocaine. Cependant, l’article propose de dépasser cette vision émotionnelle pour analyser les mécanismes d’influence au sein de l’UA. La candidature marocaine évolue dans un env ...
  • Authors
    April 3, 2025
    Le présent ouvrage reprend les contributions présentées à l’occasion de la première édition de la Conférence-débat sur les enjeux stratégiques des espaces maritimes de l’Afrique atlantique organisée par le Policy Center for the New South le 16 avril 2024. Une Conférence-débat qui procède d’une double logique : continuité et originalité. Une logique de continuité, d’abord, parce que l’Atlantique a toujours constitué pour le Policy Center, depuis la création du think ...
  • Authors
    Gabriela Keseberg Dávalos
    March 7, 2025
    L'article original en anglais a été initialement publié par Devex   La course pour le poste du prochain Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont la désignation aura lieu en 2026, a commencé, discrètement. À l’occasion de la célébration de la Journée internationale des droits des femmes, il est opportun de réfléchir au fait qu’aucune femme n’a jamais dirigé l’Organisation en 80 ans de son ’existence. Même si le prochain Secrétaire général de l’ONU sera nom ...
  • March 4, 2025
    شكلت قمة فوكاك 2024 لحظة حاسمة في مسار العلاقات الصينية الإفريقية، حيث تمخضت عن توقيع اتفاقيات كبرى تشمل قطاعات حيوية مثل البنية التحتية، الطاقة، التجارة، والصناعة. كما أعلنت الصين عن استثمارات بقيمة 50 مليار دولار لدعم التنمية في إفريقيا خلال السنوات الثلاث المقبلة، إلى جانب إطلاق عشر ...
  • January 24, 2025
    Le 28 mai 2025, la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) soufflera sa 50ème bougie, occasion propice pour revenir sur les réalisations et les échecs de cette Organisation régionale. Si l’on s’accorde à reconnaitre la CEDEAO comme une structure d’intégration réussie en Afrique, il n’en demeure pas moins que lui sont reprochés quelques défaillances et échecs. ...
  • Authors
    December 24, 2024
    Over the past 50 years, international law relevant to the Sahara Issue has evolved significantly. Yet, even recent developments, such as a decision by the EU court and a proposal by the Secretary-General’s Personal Envoy to partition the Saharan provinces, have not adequately accounted for these advancements. Actions by a state that may not have been scrutinized in 1975 could now face condemnation under contemporary legal standards. Notably, the right to self-determination must not ...
  • Authors
    November 29, 2024
    After the European Parliament cleared the 26 candidates proposed by Member States to form the European Commission for 2024-2029, the new European super-ministers will take up their functions on 1 December, with a revised portfolio structure. Where does Africa fit into this new organizational chart of the European Commission? Jozef Síkela, a Czech banker with a professional career in Austria, Slovenia and Ukraine, lately serving as his country’s Ministry of Industry, has been appoin ...