Publications /
Opinion

Back
Les paradoxes et les tendances du marché du travail au Maroc
Authors
Mokhtar Ghailani
May 2, 2018

La conférence-débat, organisée par l’OCP Policy Center, en association avec Sciences Po Paris Alumni Maroc (AMASP), le 26 avril 2018, autour du livre « Les enjeux du marché du travail au Maroc », et co-dirigé par Karim el Aynaoui et Aomar Ibourk, ne pouvait mieux tomber. 

Le  pavé, de quelques 450 pages, bien structuré et fourni en données et en analyses « différenciées mais complémentaires » développées par une brochette d’experts et d’analystes, intervient dans un contexte national marqué par le Dialogue social et par la ratification de la charte de la mise en œuvre du Plan national de l’emploi et où la question de l’emploi est au cœur de l’actualité. 
L’ouvrage apporte ainsi sa contribution à la compréhension du fonctionnement du marché national du travail, à travers le diagnostic qu’il en fait, mais aussi des pistes d’action et des canevas de recommandations qu’il propos à un moment où les questions du chômage et de l’insertion professionnelle des jeunes atteignent des proportions préoccupantes. La proportion de la population en âge de travailler est passée de 60 à 66%, en très peu de temps, et la part des jeunes y est passée de 25 à 31%, dans un laps de temps tout aussi court.

Cette tendance devrait se poursuivre, puisqu’au cours des 15 prochaines années, et indépendamment de l’évolution que connaîtrait le taux de natalité au Maroc, le marché du travail devrait continuer à accueillir quelque 600 000 nouveaux arrivants, par classe d’âge et par année. En contrepartie de cette tendance à l’accroissement des effectifs de la population en âge de travailler, le taux d’activité de l’économie marocaine est en deçà de ce qu’il devrait être, se situant à 50%, sachant que les économies de par le monde enregistrent un taux d’activité d’environ 70%. La situation est donc « tendue », « complexe », et renforcée par ce que les auteurs appellent les « paradoxes » du marché du travail marocain.

• Le 1er paradoxe, qui interpelle aussi bien les chercheurs que les décideurs au Maroc, en matière d’emploi, c’est la corrélation positive entre le niveau de formation et le chômage. La théorie économique enseigne que l’investissement dans le capital humain augmente l’accessibilité à l’emploi : or, c’est exactement l’inverse qui se produit au Maroc. 

• Le deuxième consiste en une coexistence entre les emplois vacants, à savoir l’offre, et le chômage, ce qui renvoie aux demandeurs d’emploi. Ce paradoxe pose le problème d’appariement  entre l’offre et la demande.  

• Le 3ème tient en la relation non significative qui existe entre la croissance économique et la productivité, avec son corolaire qui est le faible contenu en matière de créations d’emplois.

• Le 4ème paradoxe, appelé « dépendance temporaire » a, quant à lui, trait à la relation entre la probabilité de quitter l’état de chômeur et la durée du chômage. Lorsque la durée du chômage augmente, la probabilité d’en sortir diminue, ce qui signifie qu’il existe un problème de chômage d’exclusion. 

• Le 5ème paradoxe fait état d’une augmentation de salarisation et d’un déclassement subjectif, ce qui se traduit par un recul de productivité.

• Enfin, le sixième paradoxe réside dans la diminution simultanée du taux d’activité et de celui du chômage.  

En plus de ces paradoxes identifiés, le marché du travail marocain s’articule autour de trois composantes. Il y a d’abord l’ «offre » qui, du point de vue des auteurs, est marquée par un manque d’exploitation du potentiel de la dividende démographique. L’autre trait de la population active porte sur le faible taux de participation dans l’économie des jeunes et des femmes, jugé très en deça des normes, en vigueur aussi bien dans les pays développés que dans ceux en développement.

Dans sa composante  « demande », le marché du travail local connaît une importante contribution du secteur informel, s’appuie sur une population active peu qualifiée, et enregistre une salarisation croissante de la demande du travail.

La troisième composante est constituée par le «déséquilibre », avec une stabilisation du taux de chômage, un chômage qui touche particulièrement la population jeune ce qui pose la question du rendement du système éducatif. Le chômage parmi la population en âge de travailler n’est pas homogène, en ce sens qu’il laisse transparaître des disparités entre les milieux urbain et rural, entre les jeunes et les moins jeunes ainsi qu’entre les femmes et les hommes.  Il faut relever également une forte incidence du chômage de longue durée et de primo-insertion. Ce dernier cas fait allusion aux jeunes lauréats qui présentent un déficit en matière d’expérience professionnelle notamment. 

Sur ces trois niveaux que sont l’activité, l’emploi et le chômage, on observe une tendance à la diminution simultanée, situation qui s’explique par le fait qu’il existe une catégorie de demandeurs d’emploi qui, sous l’effet de découragement, se retirent du marché du travail.   

Au sujet des tendances lourdes qui se dessinent sur les plans de l’offre et de la demande, les auteurs notent aussi une pression démographique sur le marché du travail qui, entre autres conséquences, place la question de l’emploi au cœur des politiques de développement menées par les pouvoirs publics.  Ils évoquent aussi un faible contenu de la croissance en matière d’emplois, un faible taux de participation des femmes dans l’activité économique du pays, une quasi stabilisation du taux de chômage, une prédominance du chômage de longue durée, ce qui en fait un chômage d’exclusion et de primo-insertion, plaçant une génération de jeunes en dehors à la fois du système éducatif et du marché du travail.

Eu égard au diagnostic du marché du travail et de ses tendances lourdes « arbre problèmes », l’ouvrage préconise un « arbre solutions » dans lequel figurent des pistes d’action comme l’amélioration de la création d’emplois de manière équilibrée entre territoires.  A ce propos, l’approche régionale dans laquelle le Maroc est bel et bien engagé est à relever. Le livre recommande, aussi, d’améliorer l’employabilité et de favoriser l’insertion professionnelle des demandeurs d’emploi. La régulation du marché du travail devra passer également par un renforcement du capital humain sur l’ensemble des chaînes de valeurs, ainsi que par une mise en place de mécanismes efficaces  de gouvernance et de financement, ainsi qu’une formalisation du secteur informel. 

Comme voulue par ses initiateurs, la rencontre aura effectivement été une opportunité de débat et d’échanges, en ayant connu la participation de jeunes chercheurs dans les domaines économique et social et d’entrepreneurs. Plusieurs questions ont été évoquées par l’assistance, dont le phénomène de fuite des cerveaux, l’impact de la politique fiscale sur le marché de l’emploi et la formation professionnelle.

Related Event : Conférence-débat autour du nouvel ouvrage « Les enjeux du marché du travail au Maroc »

RELATED CONTENT

  • Authors
    Mokhtar Ghailani
    May 2, 2018
    La conférence-débat, organisée par l’OCP Policy Center, en association avec Sciences Po Paris Alumni Maroc (AMASP), le 26 avril 2018, autour du livre « Les enjeux du marché du travail au Maroc », et co-dirigé par Karim el Aynaoui et Aomar Ibourk, ne pouvait mieux tomber.  Le  pavé, de quelques 450 pages, bien structuré et fourni en données et en analyses « différenciées mais complémentaires » développées par une brochette d’experts et d’analystes, intervient dans un contexte nation ...
  • Authors
    April 11, 2018
    Le récent échange entre deux institutions nationales sur la création d’emplois dans le secteur industriel pose de nouveau les questions du mode de conception et de production des statistiques mises à la disposition du public. Les informations statistiques constituent une base indispensable pour fournir au débat démocratique des références robustes. Or, le Haut-Commissariat au Plan (HCP), principal acteur du système statistique national, se trouve parfois confronté à des difficultés ...
  • Authors
    Thomas Pereira da Silva
    March 7, 2018
    This proposal seeks to contribute to reduce, in a cost-effective way, Morocco’s unusually high, persistent and growing unemployment level for university graduates1. It complements and enhances the existing Université Internationale de Rabat (UIR) Public-Private Partnership (PPP). Tertiary enrolment in Morocco has been increasing above what seems to be labor market absorptive capacity. Over the past decade, the share of the unemployed with university degrees as a percentage of total ...
  • February 22, 2018
    Cet ouvrage a pour objectif de produire et d’accumuler des connaissances utiles sur le marché du travail marocain, notamment la situation des jeunes dont les traits ont été beaucoup documentés. Les axes qui sont traités dans le cadre de ce travail portent sur la capacité du système éducatif et de formation à transmettre les compétences techniques et non techniques (soft skills) aux jeunes dans leurs parcours de scolarisation et de formation, le rôle des programmes de l’emploi dans l ...
  • Authors
    November 30, 2017
    The jobs markets across the Middle East North Africa region vary greatly, with some oil-rich countries importers of labor while others, including Morocco, are the source of emigrants. Morocco exhibits structural underemployment despite having grown quite rapidly. The reasons for Morocco’s job-poor growth run deep. Policies can mitigate the problem but are unlikely to solve it in the foreseeable future. ...
  • Authors
    Thomas Awazu Pereira da Silva
    November 9, 2017
    This paper sheds light on the increasing and persistent skilled unemployment in Morocco over the past decade – oscillating around 20% of total unemployment. It identifies and estimates the role and significance of a skill mismatch between Morocco’s education system and its labor market, illustrated by the ratio between technical and general university degrees produced by the education system. The paper finds supporting evidence that a skill mismatch does play a significant role in e ...
  • Authors
    June 16, 2016
    L’écart entre filles et garçons en termes de scolarisation, au Maroc, a longtemps préoccupé tant les académiciens que les décideurs. En revanche, très peu d’études se sont penchées sur l’analyse de cet écart sous une toile de fond quantitative. Ce présent travail s’intéresse à l’écart genre en termes d’acquis scolaires en lecture. La finalité étant de mettre en exergue les facteurs influençant les différences de performance entre les genres ainsi que leur ampleur. Pour ce faire, une ...
  • Authors
    May 20, 2016
    The 2015-2030 strategic vision innovates the Moroccan educational system. Unlike previous reforms, this vision addresses problems that have long been ignored. Among these problems is the quality of education. Although educational quality may have been included in previous reform programs, it is considered as one of the priorities in this new vision. The purpose of this Policy Brief is to assess the status of learning achievement, which is an integral part of educational quality, of ...
  • Authors
    October 2, 2015
    Récemment parue parmi la série de Policy Briefs publiés par OCP Policy Center, une étude réalisée conjointement par Prakash Loungani et Saurabh Mishra a mis l’accent sur la réaction du chômage et l’emploi par rapport à la croissance économique dans les pays du G-20. L’objectif est de quantifier l’apport d’un point supplémentaire de croissance sur l’évolution du taux d’emploi, et sur le taux du chômage sur la période 1980-2014.  Sur la période 1980-2007, les résultats indiquent que ...