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République démocratique du Congo : Kabila renonce prudemment. Bemba, de chef de guerre à seigneur de la paix ?
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August 29, 2018

En quelques semaines, la vie politique en République démocratique du Congo (RDC) autour du processus électoral1 rencontre une séquence de soubresaut et d’emballement. 
D’abord, la désignation d’un candidat2 du parti présidentiel peu après un discours cérémonial, en forme de bilan, du président Joseph Kabila, devant les élus ; puis l’acquittement surprise, par la Cour pénale internationale (CPI), de l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba, l’annonce de son retour et de sa candidature et, enfin, la poursuite du bras de fer politico-judiciaire autour de Moïse Katumbi, à présent sous mandat d’arrêt international, selon la justice de son pays. 

Pour un observateur, même éloigné, il est difficile de ne pas apprécier cette concomitance d'événements, accélérée, il est vrai, par l’annonce du Président et par les échéances du calendrier officiel ; le dépôt des candidatures auprès de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est, en effet, clos depuis le 8 août 2018.

Première détente après une longue crise

La crise autour des élections en RDC dure, en effet, depuis trois ans quand Moïse Katumbi, alors proche du cercle présidentiel, démissionne de son poste de gouverneur du Katanga et quitte le parti de la majorité, reprochant à Joseph Kabila de vouloir réviser la Constitution pour briguer un nouveau mandat.
Fin 2016, alors que le dernier mandat de Kabila s'achève, et que la tension sociale culmine, le pouvoir et une alliance de partis de l’opposition négocient, au-delà des dispositions de la Constitution, et via une médiation de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), l’accord, dit de la Saint-Sylvestre, prévoyant, notamment, des élections fin 2017, elles aussi reportées pour décembre 2018.

A ce glissement de calendrier, entretenu par le clan présidentiel, des points saillants de tensions, émaillés de violences, surviennent lors des journées de mobilisation avec une répression provoquant de nombreuses victimes et des centaines d’arrestations, notamment contre les membres des mouvements citoyens "Lucha" et "Filimbi". Le pays tient au prix d’un déploiement sécuritaire impressionnant et brutal, mais l’image du pouvoir est au plus bas, les mises en garde des ONG et les sanctions internationales s'enchaînent. 
En point d’orgue de cette contestation, les différentes marches convoquées par le Comité laïc de coordination(CLC), fin 2017/début 2018, sont également durement réprimées. La puissante faction de l'Église, après avoir joué le rôle de médiateur entre le pouvoir et l’opposition un an auparavant, a fait volteface, en devenant un point focal de l’opposition à Kabila pour exiger la tenue des élections. Le rôle du CLC, comme levier vers la société civile, est d’autant plus affirmé que l’opposition politique est partiellement divisée, et l’émergence d’une personnalité à même de symboliser la contestation fait défaut. En plus, avec le cardinal Laurent Monsengwo, un des principaux conseillers du Pape François, le mouvement catholique dispose d’un canal d’échanges crédible avec les autorités. 

Finalement, l’isolement croissant, les pressions internationales, les sanctions ciblées à l’encontre des membres de la famille Kabila4 et de certaines figures du gouvernement, les négociations régionales tendues, font reculer l’actuel locataire du Palais de Kinshasa qui, le 8 août 2018, désigne un candidat officiel devant représenter la majorité du Front Commun du Congo (FCC) : Emmanuel Ramazani Shadary. Fidèle de la première heure, Ramazani a été vice-premier ministre avant de devenir le Secrétaire permanent du parti présidentiel, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). Sanctionné par l’Union européenne (UE) pour violation de droits de l’Homme en 2017, Ramazani est, par ailleurs, élu d’une province de l’Est, le Maniema, sa région d’origine, comme la mère du président Kabila, Sifa Mahanya, dont il est réputé proche.

L’initiative du président, qui marque un temps d’apaisement dans une situation de crise perçue longtemps comme inextricable, a été saluée par les satisfécits, outre les populations à travers la RDC, dont l’opposition, par des capitales étrangères, entre autres, Washington, Paris et Pretoria.

Pour autant, le choix de Shadary5 laisse penser que le retrait de Joseph Kabila de la vie politique se fera prudemment, à travers un ancien ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, qui a mis en place le schéma opérationnel du processus électoral et qui a su placer des personnes clés à la tête des provinces les plus importantes du pays. Il y a encore quelques jours, à Windhoek (Namibie), le Président Kabila, accompagné de Shadary, affirmait “je ne vous dis pas au revoir, je préfère vous dire à bientôt ” devant une assemblée des chefs d’Etat de la Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC). Ainsi, certains analystes, comme  l’ancien assistant au secrétaire d’Etat Hank Cohen6, y voient même un scénario “plausible” à la Poutine/Medvedev où Kabila, depuis un poste de sénateur, continuera à gouverner par proxy.

Kabila mesure aussi que Shadary a une faible chance7 de remporter l’élection présidentielle en raison de son déficit de popularité. Le candidat de la majorité est réputé politiquement habile et fort d’une longue expérience, mais il ne semble pas disposer de relais solides connus dans l’armée. Par ailleurs, en avançant dans la campagne électorale, l’opposition cherchera à l'attaquer, en lui signifiant qu’il n’incarne pas une alternative au pouvoir actuel. Enfin, Shadary se retrouve en porte-à-faux face au pouvoir dans le cas sensible de Katumbi, l’accord de la Saint-Sylvestre, dont il est signataire, prévoyant, en effet, le retour de l’ancien gouverneur du Katanga.

Katumbi : l’impossible retour ?

Déchu par le cercle présidentiel, puis contraint à l’exil, car redoutant les suites des multiples attaques politico-judiciaires et des condamnations par contumace dont il est l’objet, Moïse Katumbi est en crise ouverte avec le pouvoir. Pourtant, Kabila et Katumbi, tous deux originaires de l’Est du pays, ont maintenu une relation rapprochée pendant plusieurs années, partageant, à titre d’exemple, des connaissances communes comme celle de l’homme d’affaires israélien Dan Gertler, un intermédiaire8 à la réputation sulfureuse présent dans l'exploitation minière en RDC depuis 20 ans. Toutefois, le départ de Katumbi, en 2015, a été vécu par Kabila comme une trahison et les deux hommes ne semblent pas avoir retrouvé le chemin de la réconciliation.

Katumbi n’a pas déposé sa candidature à la présidentielle en temps voulu, en ayant été bloqué, argue-t-il, à la frontière séparant la RDC de la Zambie, par les autorités RD congolaises qui, pour leur part, affirment ne pas avoir reçu de demande en ce sens. Assurément, le jeu de dupes se poursuit. Des sources à Kinshasa ont récemment affirmé que Katumbi est sous mandat d'arrêt international. 


La candidature de ce dernier semble à présent compromise, malgré le ferme soutien des principales figures de l’opposition, demandant son retour et la levée des poursuites à son encontre, comme celui, d’ailleurs, d’autres personnalités comme le président du Sénat, Léon Kengo Wa Dondo. Ce dernier, écouté par l’intelligentsia congolaise et bien qu’il soit de la majorité FCC, a publiquement9 demandé au Président Kabila une amnistie permettant le retour de Katumbi. 
Outre sa forte popularité à l’Est du pays, Katumbi a également signé un rapprochement politique notable, avec un autre candidat à la présidentielle, Félix Tshisekedi. Originaire du Kasaï, président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, Félix mène une campagne politique discrète et efficace, présentant un programme de gouvernement détaillé. Aussi, la perspective d’un ticket Tshisekedi-Katumbi, un duo unissant les régions ouest et est du pays, constituerait un axe fort pour gagner la présidentielle et probablement une menace pour le pouvoir actuel.
Enfin, pendant sa période d’exil entre Paris, Bruxelles, Washington et aussi par des soutiens régionaux en Afrique du Sud10 et au Rwanda, Moïse Katumbi a tenté d’animer, non sans succès, ses réseaux d’influence et de rallier une partie de l’opposition en exil. Cependant, assurer une campagne électorale depuis l’étranger reste un exercice politique délicat et Moise Katumbi, présenté un temps comme l’homme providentiel, fait face à une nouvelle dynamique de campagne, qui lui est moins favorable, avec le retrait de Kabila et le retour de Bemba.

Bemba: un seigneur de la paix ?

L’annulation, par la Cour Pénale Internationale, de la peine à l’encontre de Jean-Pierre Bemba constitue un tournant dans la scène politique en RDC; cette décision surprise intervenant juste avant la date butoir de dépôt de candidatures. Cet acquittement a d’abord soulevé de nouvelles interrogations sur le rôle de cette Cour, largement critiquée à travers le continent africain11, et de nouvelles spéculations sont lancées, particulièrement sur le sort de l’ancien Président Ivoirien Gbagbo dont le procès est en   cours à la CPI. 

En RDC, cette décision a été accueillie avec espoir et exaltation, notamment en Equateur, la région d’origine de Bemba, mais en Centrafrique voisine, elle suscite effroi et rejet. Le long parcours politique de Bemba restera, en effet, entaché par les dérives criminelles de ses miliciens en RCA venus soutenir, en 2002, un coup d’Etat qui avait renversé l’ancien président Patassé. 

D’homme d’affaires à vice-président chargé des questions économiques (2003-2006), en passant par chef de guerre, le parcours de Jean-Pierre Bemba est d’autant plus tumultueux que sa libération a un impact certain sur le sérail   politique congolais. Le "Chairman", comme le surnomment ses partisans, issu d’une famille d’entrepreneurs, lui-même apparenté12 à Mobutu et assistant personnel du dernier président de l’ex-Zaïre, s’est illustré par un leadership régional qu’il a incarné en créant un mouvement insurrectionnel13 le Mouvement de libération du Congo (MLC) contre le pouvoir de Laurent Désiré Kabila. Avec le MLC, Bemba avait participé à plusieurs opérations de terrain visant à contenir des conflits interethniques en Ituri ou à combattre des milices rebelles, notamment à Beni contre les ADF, Allied Democratic Forces. L’issue de la guerre, en 2003, marque la fin de cette période de maquis, le MLC se mue en parti politique et Bemba devient vice-président chargé des affaires économiques.
Populaire à l’ouest du pays, Bemba verra son aura prendre une dimension nationale lors de l’élection présidentielle de 2006 où il obtient 20% au premier tour. Suite à sa défaite au second tour, face à Joseph Kabila, la rivalité s’intensifie entre les deux hommes, poussant Bemba à quitter le pays en 2008.

Aujourd’hui, la candidature de Bemba, encore soumise à validation par la Commission électorale, comporte à la fois des points de force et de faiblesse. Si sa popularité semble intacte, il reconnaît lui-même la nécessité de revenir sur le terrain pour y mener une véritable campagne auprès de ses partisans, car pendant sa période de détention, beaucoup de cadres ont quitté le parti. A Kinshasa, de nombreux habitants se plaignent d’avoir souffert des débordements des troupes du MLC, en 2007, et une procédure judiciaire est ouverte depuis 2011. En cela, Bemba n’est pas sans savoir que ce sujet pourra ressurgir lors de la campagne et qu’il lui faudra trouver les mots justes pour apaiser la mémoire des kinois.

Dans le milieu politique aussi, Bemba avance à pas mesurés, et lors de ses premières sorties médiatiques, il a défendu le retour de Katumbi et a plaidé pour une candidature unique de l’opposition, tout en estimant être14 le “plus qualifié” pour la conduite des affaires du pays.

A l’annonce de Kabila de désigner un candidat pour la majorité, l’opposition a donc choisi de raffermir sa position affirmant vouloir un candidat commun, tout en multipliant les candidatures jusqu’ici. Outre Katumbi et le MLC de Bemba, ce front est notamment constitué de l’UDPS de Tshisekedi, de l’UNC de Kamehre et de Martin Fayulu de la Dynamique de l’opposition, mais ce front restera-t-il uni jusqu’en décembre 2018 ?
La campagne pour la présidentielle sera longue, et des négociations difficiles sont attendues pour entrevoir un programme commun à l’opposition et s’accorder sur un candidat fédérateur.

 

N.B. Ce Blog a été finalisé avant le 24 août 2018, date de la publication officielle de la liste des candidats retenus pour le processus électoral. La liste définitive est prévue pour le 19 septembre, après les procédures d’appel. Le dossier de candidature de Jean-Pierre Bemba n’a pas été retenu, suite à quoi l’intéressé, comme cinq autres candidats, a fait appel.

 

1 - L'élection présidentielle devrait avoir lieu le 23 décembre 2018, en même temps que des législatives et les provinciales. CENI, RDC.

2 - Emmanuel Ramazani Shadary, 57 ans, a été désigné par Kabila, début août 2018, pour représenter le Front commun pour le Congo, un rassemblement de partis de la majorité présidentielle. Fidèle de Kabila, Ramazani  a été ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. 

3 - Le CLC, formé en 1992 sous Mobutu par l’influent Cardinal Laurent Monsengwo a été réactivé par l’Eglise catholique pour accentuer la pression sur le régime de Kabila, avec le soutien tacite du Vatican. Monsengwo fait partie d’un groupe de 8 cardinaux (G8) consultés régulièrement par le Pape François. Le Monde 4.4.2018

4 - US ready to impose fresh sanctions on Democratic Republic of Congo, August  18,  Financial Times.

5 - E. Ramazani Shadary, l’homme de Kabila, 9.8.18, DW.

6 - Le Président Kabila a sélectionné son héritier, cohenonafrica.com

7 - Thierry Vircoulon IFRI : « Pour le pouvoir congolais, Ramazani est une défaite annoncée ». Le Monde du 8 août 2018

8 - Les Etats-Unis infligent de nouvelles sanctions à Dan Gertler ACTUCD.

9 - Invité Afrique, RFI, 21.08.2018

10 - La plateforme Ensemble pour le changement a été lancée en mars 2018 depuis Johannesburg, en présence de M. Katumbi. 

11 - Le Temps du Continent, Abdelmalek Alaoui, Edition Descartes & Cie.

12 - Une soeur de Bemba est mariée à un fils Mobutu. Son père Jeannot Bemba a été président du patronat.

13 - Ce mouvement avait reçu alors un soutien notable de l’Ouganda voisin. 

14 - Première conférence de presse de JP Bemba, Bruxelles 24.07.2018

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