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Éthiopie : les défis de l’immédiat
January 30, 2024

Cette étude est consacrée à l’Éthiopie, pays dont l’histoire remonte à la nuit des temps et où l’agriculture représente 70 % à 80 % des emplois. Nation agricole, donc, mais aussi pays au potentiel minier connu, lequel demeure sous-exploité. Depuis le début du vingt-et-unième siècle, l’Éthiopie a développé des liens privilégiés avec une multitude de puissances, émergentes notamment. Au premier chef, la Chine trône en partenaire privilégié, auquel s’ajoutent des pays comme les monarchies du Golfe (Arabie et Émirats en tête), mais aussi le Maroc. En 2023, l’Éthiopie a été invitée à devenir membre des BRICS.

L’analyse de ses principaux indicateurs macro-économiques, sur les trente dernières années, montre les forces et les faiblesses de ce pays. Parmi ses forces figurent principalement une croissance à plus de 8 % durant les deux dernières décennies, et l’existence d’un marché intérieur important de plus de 120 millions d’habitants. Parmi ses faiblesses, un taux d’inflation à plus de 30 % en 2022, des déficits jumeaux ne la mettant pas à l’abri d’un défaut de paiement, et une sécurité alimentaire qui reste à assurer pour une aussi grande population, devant dépasser les 210 millions d’habitants en 2050.

Les défis éthiopiens concernent donc l’éradication du risque de paiement, le plus immédiat, et le défi de la sécurité alimentaire. L’Éthiopie s’est donné les moyens de relever ces défis. Seule inconnue, l’instabilité politique et les tensions interethniques, qui ont contribué à casser la dynamique de croissance du pays depuis 2018. En se perpétuant, le cessez-le- feu au Tigré, dont le principe pacificateur pourrait être étendu pour ramener la concorde dans les autres régions du pays, permettrait à l’Éthiopie de se stabiliser davantage, et de mener de plain-pied les efforts que supposent les différentes menaces qui la guettent. Si l’Éthiopie devait au contraire sombrer dans de nouveaux conflits ouverts de grande ampleur, les difficultés actuelles auxquelles fait face le pays se trouveraient aggravées, minant l’immense potentiel qui demeure le sien.

INTRODUCTION

L’Éthiopie est un grand pays, pas seulement par sa superficie mais aussi par son histoire. Une histoire qui remonte à la nuit des temps, avec des traces des plus anciens hominidés. Au cours des dernières décennies, ce pays a perdu son seul accès direct à la mer, avec l’indépendance de l’Érythrée en 1993. Et il connaît, depuis 2020, une guerre civile que certains experts n’hésitent pas à qualifier « d’auto destructrice » : la guerre du Tigré, nom de la région qui en a été l’épicentre. Un accord de cessez-le-feu a été signé le 2 novembre 2022. Pour nombre d’observateurs, il est des plus fragiles.

Pays de paradoxes, à commencer par celui d’être dirigé par un Premier ministre, nommé en 2018 lauréat du prix Nobel de la paix en 2019, puis chef de guerre lors de l’affrontement contre le front pour la libération du peuple du Tigré (connu sous son acronyme anglais, TPLF). Premier ministre distingué pour son action passée ayant abouti à la paix avec l’Érythrée, il voit s’opposer à ce bilan d’abord flatteur la répression, particulièrement meurtrière, qu’il conduit à l’encontre des rebelles du Tigré. Mais l’Éthiopie est aussi un pays de contradictions économiques : parmi elles, celle d’avoir, en 2023, une croissance record sur la période 2003-2022, couplée à une inflation record elle aussi, à plus de 30 % en 2023 ; ou encore celle d’être une grande nation agricole à la sécurité alimentaire fragile.

En août 2023, l’Éthiopie a été invitée à rejoindre les BRICS+6, confirmant un statut international qui en fait, à l’instar du Nigeria, un « Grand d’Afrique ».

Ce papier est consacré à ce pays de paradoxes, distinguant trois parties :

- une première partie, consacrée à l’analyse des données générales ( géographiques, démographiques, politiques, institutionnelles, sectorielles ) d’une nation agricole, au potentiel minier sous exploité ;

- une deuxième partie, celle de l’analyse de l’évolution de ses principaux indicateurs macro-économiques sur la période 1993-2022, montrant la fragilité économique du pays, malgré une croissance record ;

- une troisième partie, consacrée à deux défis de l’immédiat auxquels le pays est confronté : celui de sa sécurité alimentaire et celui du risque de défaut.

 

I. Données générales de l’étude

Dans cette première partie, on rappellera le positionnement géographique et démographique du pays (A), hier un empire, aujourd’hui une république (B), essentiellement agricole, avec un potentiel minier sous exploité (C).

A. Données géographiques et démographiques

L’Éthiopie, pays au cœur de la Corne de l’Afrique, s’étend sur 1 136 240 km2. Son territoire est dépourvu d’accès direct à la mer Rouge, ce qui en fait une nation enclavée, avec tous les défis économiques et stratégiques que cela implique. Sa population est de 123 millions d’habitants en 2023, et devrait atteindre les 213 millions en 2050.

1. Données géographiques

Au vingt-sixième rang mondial par sa superficie, l’Éthiopie a des frontières communes avec l’Érythrée et le Soudan, au nord, avec le Soudan du Sud, à l’ouest, Djibouti et la Somalie, à l’est, et la Somalie et le Kenya, au sud. Depuis l’indépendance de l’Érythrée, en 1993, la République fédérale démocratique d’Éthiopie n’a plus d’accès direct à la mer Rouge.

Pays dominé par des hauts plateaux, où l’altitude varie de 1 800 à 4 550 mètres, l’Éthiopie est aussi un pays de basses terres périphériques, pouvant descendre sous le niveau de la mer. Le climat y est tempéré sur les hauts plateaux, et chaud dans les basses terres, variant considérablement selon les régions et l’altitude. Enfin, ce pays connaît trois saisons principales : l’hiver, ou saison froide, commence en octobre pour finir en février, suivi d’une période sèche qui s’achève vers la mi-juin, laissant la place à la saison des pluies, particulièrement fortes en juillet et août.

Même si les terres représentent 99 % du territoire, le pays possède de très nombreux cours d’eau, rivières et fleuves, dont le Nil bleu, ainsi que plusieurs lacs, parmi les plus importants du continent, dont les lacs Tana, Abbe et Ziway.

2. Données démographiques

Selon les sources et les dates des derniers recensements, l’Éthiopie comptait 108 millions d’habitants (World Factbook 2018), ou 123 millions d’habitants (Banque mondiale 2022). C’est ce dernier chiffre que nous avons retenu, ce qui vaut à l’Éthiopie le douzième rang mondial et le deuxième rang en Afrique, derrière le Nigeria.

À la fin du vingtième siècle, une politique de planning familial a été mise en place. C’est un succès, faisant passer le nombre moyen d’enfants par femme de 7 à 4,2 en 2022. Mais derrière cette moyenne se cachent des différences importantes entre le taux de fécondité en milieu rural et celui en milieu urbain. Désormais, le taux de croissance annuel de la population éthiopienne est de 2,5 % par an, égal à celui de la population d’Afrique subsaharienne. Ce qui conduit à une estimation de la population, à l’horizon 2050, à 213 millions d’âmes, plaçant alors l’Éthiopie au neuvième rang mondial et toujours au deuxième rang du continent.

80 groupes linguistiques ont été identifiés dans le pays, mais sept langues représentent plus de 83 % de la population. Ces langues se rattachent chacune à l’une des principales ethnies du pays : l’amharique est parlé par les Amharas, l’Oromo par les Oromos, le tigrinya par les Tigréens, le somali par les Somalis, le gouragué par les Guragés, et le sidama pour les Sidamas. Quatre de ces ethnies représentent les trois quarts de la population : les Amharas et les Oromos (environ un tiers de la population chacun), les Tigréens et les Somalis (environ 6% de la population chacun).

L’essentiel de la population (plus des quatre cinquièmes) n’est pas urbanisé. Seule la capitale, Addis-Abeba, dépasse le million, de très loin avec plus de trois millions d’habitants. Dix autres villes dépassent les 100 000 habitants. Une seule d’entre elles dépasse les 300 000, Dire Dawa. L’âge médian de la population est de 18 ans, faisant de cette population l’une des plus jeunes du continent.

B. Données politiques et institutionnelles

Héritière d’une longue tradition monarchique et impériale, l’Éthiopie est depuis le début des années 1990 une république fédérale, régie par le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, lequel donne lieu, en pratique, à une forme d’organisation politique qualifiée d’ « ethno-fédéraliste ». Le Premier ministre – Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix en 2019 – y est le chef de l’exécutif central. Structurellement, par la forme de l’État, le pays est traversé par de fortes tensions entre centre(s) et périphérie(s), dont l’un des principaux ressorts est d’ordre ethnique. Ces tensions ont connu un regain d’intensité depuis l’arrivé au pouvoir du Premier ministre Ahmed.

1. Un empire disparu en 1974, et une république proclamée en 1995

En Éthiopie, le vingtième siècle est tout d’abord celui d’un empire et d’un empereur : l’empereur Hailé Sélassié qui a régné de 1930 à 1974. Son règne est interrompu par l’occupation italienne de 1936 à 1941. La révolution de 1974 vient mettre fin à ce règne, et avec lui, à la monarchie. Elle qui immédiatement récupérée par la junte militaire du Derg (Gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste, d’après sa dénomination amharique), dirigée par un marxiste : Mengistu Haile Mariam.

Commence alors une dictature militaire proche de Moscou. Elle prend fin avec le renversement par une coalition armée, en mai 1991, du gouvernement toujours dirigé par Mengistu Haile. Cette coalition porte le nom de « Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien » (FDRPE), associé au « Front de libération Oromo » (FLO) et à d’autres groupes armés. Dès juillet 1991, la rébellion victorieuse institue un gouvernement composé d’un Conseil de 87 membres. En juin 1992, le FLO se retire du gouvernement. En 1993, le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), allié historique de la coalition contre le régime marxiste de Mengistu Haile, mène l’Érythrée voisine vers une indépendance approuvée le 24 mai 1993, qui prive l’Éthiopie de son seul accès à la mer.

Meles Zenawi, Premier ministre du Gouvernement provisoire, s’était engagé à mettre en place une démocratie multipartite. En 1995, il organise des élections qui vont voir la victoire du FDRPE. Le premier gouvernement de la « république fédérale d’Éthiopie » est constitué en août 1995. L’Éthiopie devient alors une république fédérale, à régime parlementaire, avec un Premier ministre chef du gouvernement. Quant au pouvoir législatif, il est partagé entre le gouvernement et les deux chambres : la Chambre Haute, qui est celle des 547 représentants du Peuple, élus pour 5 ans ; et la Chambre Basse, celle de la fédération, composée de 112 membres, un pour chaque ethnie/nationalité et un membre supplémentaire par tranche d’un million de personnes qui sont désignées par les conseils régionaux.

2. Une république dirigée, depuis 2018, par le Prix Nobel de la paix 2019

Abiy Ahmed, né en 1976, est membre de l’Organisation démocratique du peuple oromo (OPDO), une organisation membre du FDRPE, quand il part se former aux États- Unis et au Royaume-Uni. Lieutenant-colonel de l’armée éthiopienne, il fait son entrée en politique en 2010. Tout va alors aller très vite : il est ministre des Sciences et des Technologies de 2015 à 2016, élu à la tête de l’OPDO en février 2018, puis à la tête du FDRPE le 27 mars 2018. Le 2 avril 2018, il devient ke nouveau Premier ministre, succédant à Haile Marian Dessalegn, démissionnaire.

En octobre 2019, il est le lauréat du Prix Nobel de la paix pour « ses efforts en vue d’arriver à la paix et en faveur de la coopération internationale, en particulier pour son initiative déterminante visant à résoudre le conflit frontalier avec l’Érythrée ». Les deux voisins avaient notamment été opposés par un conflit sanglant, la guerre de Badmé, de 1998 à 2000, lequel avait ancré une rancune tenace du leadership érythréen à l’endroit du TPLF, alors dominant à Addis Ababa. Dans les années qui suivent la nomination d’Abiy Ahmed, son action est largement saluée par la communauté internationale. Cela ne va pas durer très longtemps, car cette même communauté internationale va lui reprocher sa gestion de la guerre du Tigré.

Du point de vue officiel, la guerre du Tigré oppose depuis novembre 2020 le gouvernement central aux autorités rebelles dirigées par le TPLF dans l’un des Etats régionaux, celui du Tigré. Un peu plus grand que la Suisse, le Tigré présente une frontière commune avec l’Érythrée et le Soudan. C’est une force politique qui compte en Éthiopie, qui avait été centrale dans la constitution du FDRPE, au sein duquel elle constituait une alliance avec l’OPDO en vue de mettre un terme au régime du Derg.

Pour certains observateurs, le conflit actuel aurait eu pour origine l’arrivée à la tête du pays d’un Premier ministre oromo, la plus importante ethnie du pays par le nombre, en la personne Abiy Ahmed. Une fois élu, ce dernier n’aurait alors eu de cesse d’écarter, du pouvoir fédéral, l’allié d’hier : le TPLF. Pour d’autres, aucun pouvoir central ne saurait accepter de défi à son autorité sans réagir, et ce, d’autant plus qu’en cas de succès, le risque matérialisé de sécession aurait fait perdre une deuxième région à la République.

Aujourd’hui, sans s’attarder sur l’origine du conflit, il convient d’en constater le coût humain et les conséquences dévastatrices sur le plan économique. Sur le plan humain, on parle de 600 000 à 800 000 victimes, auxquelles il convient d’ajouter un déplacement de quelques deux millions de personnes. Quand on se rappelle que la population du Tigré est d’environ six millions de personnes, c’est considérable. Sur le plan économique, cette guerre aura eu un effet immédiat, celui de casser la croissance, la divisant parfois par deux, et d’autres dégâts collatéraux, comme l’abandon de nombreux donateurs et des sanctions financières venant du Fonds monétaire international (FMI) et des États-Unis. Sous la pression de l’Union africaine (UA), des pays donateurs, dont l’Éthiopie a le plus grand besoin, et de la communauté institutionnelle internationale, un accord de paix a été signé le 3 novembre 2022. Il est de l’intérêt des deux parties qu’il ne soit pas remis en cause.

C. Données sectorielles d’une économie duale

Un pays agricole, en insuffisance alimentaire, où l’agriculture occupe une place majeure dans l’économie. Un pays avec un fort potentiel en ressources minérales peu exploité. L’économie éthiopienne est duale, avec un secteur primaire agricole ultra dominant et un secteur secondaire industriel très peu développé, malgré son important potentiel minier.

1. Un pays agricole en insuffisance alimentaire

Un taux d’urbanisation très faible, moins de 20 % ; des terres agricoles estimées à 33 % de la superficie du territoire ; c’est donc sans surprise que l’agriculture du pays y occupe une place majeure. Les statistiques suivantes en témoignent :

32 ,7 % de son PIB, 85 % de ses exportations,70 % à 80 % de ses emplois, des cultures annuelles et permanentes occupant 45 % des terres disponibles. Cette agriculture, ce sont des centaines de milliers de très petites exploitations, de moins d’un hectare. Principalement vivrière, elle demeure très sensible aux aléas climatiques. On peut regrouper cette activité en trois filières : l’élevage, les légumineuses et le café :

*l’élevage. L’Éthiopie dispose du plus grand cheptel d’Afrique, 187 millions de têtes :70 millions de bovins, 43 millions d’ovins, 53 millions de caprins, 8 millions de chameaux, 57 millions de volailles. Cette filière contribue entre 16 % et 19 % du PIB, en2021/2022 ;

*les légumineuses et les céréales. Éléments de base de la nourriture de la majorité de la population, ces légumes et céréales sont quasi exclusivement destinés au marché local. Parmi les céréales, l’offre se concentre sur le teff, qui fournit la farine nécessaire à la fabrication de l’Injera (pain sans levain ) ; l’orge, utilisée dans la cuisine locale et dans la fabrication de la bière locale ; le blé ; le maïs ; le sorgho et le millet ;

* le café. Principale production agricole du pays, le café éthiopien est un café arabica de qualité. Il est surtout cultivé dans les régions de Gambela, Oromia, Somali, d’Ethiopie centrale et d’Ethiopie du Sud. Aujourd’hui, la production annuelle de café représente environ 300 000 tonnes, 4 % de la production mondiale. Cette production est destinée au marché intérieur et à l’exportation. Ce qui la distingue des deux filières précédentes, souvent importatrices, très rarement exportatrices.

Malgré l’importance de cette agriculture pour le PIB et l’emploi en Éthiopie, elle n’est pas capable de répondre aux besoins alimentaires de l’ensemble de la population. En 2021, on estimait à 13,2 millions d’habitants en situation d’insécurité alimentaire, dont 5,9 en situation critique. Cette pénurie de denrées alimentaires oblige le gouvernement à recourir à l’importation de certaines d’entre elles, jugées prioritaires. Cette situation est particulièrement préoccupante. Elle concerne en effet une population en croissance moyenne annuelle de 2,5 %. À cela vient s’ajouter une pénurie structurelle de devises, impactant son économie, rendant difficile l’arbitrage permettant la meilleure utilisation de ces devises rares. La faible productivité des terres, liée à la taille moyenne des exploitations excluant la moindre économie d’échelle, le manque ou l’insuffisance d’intrants agricoles, la faiblesse des chaines d’approvisionnement sont autant de raisons qui conduisent à cette insuffisance. Ajoutons également que la guerre qui s’est installée depuis novembre 2020 au Tigré rend plus difficile encore la réponse à ces besoins alimentaires, la récolte dans les zones de combat faisant défaut.

2. Un important potentiel minier confronté à des défis récurrents

L’Éthiopie dispose de ressources minérales très diverses, importantes pour certaines d’entre elles, comme l’or. Mais, jusqu’en 2019, le secteur minier n’était pas reconnu comme étant prioritaire. Ce que traduisent certaines statistiques, comme celle de sa contribution au PIB national, toujours inférieure à 2 % en 2020-21, confirmant les défis récurrents auxquels est confrontée la valorisation de ce secteur.

- Des ressources minérales très diverses.

On rappellera ici celles dont le ministère du Pétrole et des Mines du pays fait état : des minéraux métalliques (or, platine, fer, nickel, chromite ) ; des engrais minéraux bruts (potasse et phosphate) ; des pierres précieuses (saphirs, émeraudes, opale de feu) ; des minéraux énergétiques (lithium, graphite, schiste bitumineux, charbon) ; des minéraux bruts (calcaire, sable de silice, graphite, souffre) ; des gaz naturels et hydrocarbures.

Malgré ces ressources et cette diversité, les importations de minerais peuvent couter jusqu’à 6 milliards de dollars par an. Elles concernent principalement le charbon, le fer, les engrais, le chlore, la céramique et les produits pétroliers.

- L’or, une ressource minérale exportable et exportée

L’exploitation aurifère en Éthiopie remonte à plus de 3 000 ans. Les gisements exploités les plus importants se trouvent dans les trois régions suivantes : celles des ceintures des roches vertes du nord, dans les régions de Tulu-Kapi et d’Angor ; celles des ceintures de roche, au sud dans la région d’Oromia.

Trois entreprises seulement exploitent industriellement cette filière aurifère : une entreprise éthiopienne (Midroc Legendembi), une entreprise étasunienne (Newmont Mining Corporation), et une entreprise chypriote (Gold Mine, KEFI Minerals). L’exploitation de cette filière demeure essentiellement artisanale. Elle emploie (en 2020 -21) 1,26 million de personnes, étant aussi une source de revenu, indirectement, pour 7,5 millions d’autres personnes. En 2020, la production d’or s’est élevée à 8,3 tonnes et sa contribution, en valeur, aux exportations du pays représentent environ 20 % de l’ensemble, pour 2021/2022, soit près de 682 millions de dollars.

- Secteur proclamé priorité sectorielle depuis 2019 ...

Dans le cadre du plan de réformes « Homegrown Economic Reforms », le secteur minier a été reconnu prioritaire. Depuis, les réformes accompagnant cette priorité vont se multiplier. Elles visent tout d’abord à formaliser et soutenir l’exploitation minière artisanale et à combattre l’économie informelle. Elles conduisent ensuite à revoir le prix de l’or à la hausse, afin de lutter contre les incitations au commerce illicite qui ne cessent de se multiplier. Elles vont aussi s’attaquer aux barrières, techniques et institutionnelles qui, trop souvent, compliquent les projets miniers à grande échelle. Cet effort se retrouve dans le budget alloué à son ministère de tutelle, augmentant de plus de 139 %, entre 2021 et 2022. Lesdites réformes ont un effet immédiat : une augmentation de 240 % de la croissance de ce secteur. C’est spectaculaire, encore faut-il la relativiser. En effet, si on se rappelle que la contribution de ce secteur au PIB éthiopien était de l’ordre de 2 %, cela devrait se traduire par une contribution, toutes choses égales par ailleurs, de 5 %. C’est encore insuffisant compte tenu du potentiel de ce secteur, si on veut en faire un pôle de développement.

... et soumis à des défis récurrents

Cette insuffisance est la conséquence des défis récurrents auxquels est confronté le développement de ce secteur. On rappellera ceux qui tiennent à la spécificité éthiopienne : la prévalence d’un marché informel. Malgré l’existence de licences d’exploitation minières artisanales, plus de 90 % de ces mineurs artisanaux exploiteraient sans cette licence. Le deuxième défi tient au fait que cette économie artisanale c’est beaucoup d’emplois. La remplacer par une économie de productivité et de rentabilité, c’est accepter de trouver ailleurs les emplois qu’on perd. Le troisième concerne le manque de statistiques, de données permettant d’avoir une cartographie précise du sous-sol minier du pays. Le quatrième défi est celui de la formation. En l’absence de main-d’œuvre qualifiée, le passage d’une économie artisanale à une économie industrielle prend nécessairement plus de temps. Le dernier défi tient aux impacts sociaux économiques et environnements de ce passage, qu’il faudra anticiper et gérer.

II. Évolution contradictoire des indicateurs macro- économiques

Nous constaterons, tout d’abord, que sur une longue période 1993-2022, l’économie éthiopienne a montré deux visages : celui d’une croissance record, à mettre à son crédit ; celui aussi d’une inflation record à mettre à son débit. Ce qui explique, en partie, un PIB par habitant inférieur à 1050 dollars en 2022 (A). Nous analyserons, ensuite, les déficits jumeaux, déficit budgétaire et déficit commercial, sur la période 2020-2023, montrant que leur évolution n’exclut pas un risque de défaut de paiement d’un pays qui ne peut plus faire face à ses dettes(B).

A. Des taux de croissance et d’inflation records et un PIB par habitant à 1047 dollars

1. Évolution du taux de croissance, du taux d’inflation et du PIB par habitant en dollars sur la période 1993-2022

a. Un taux de croissance record, malgré une dynamique interrompue suite à la guerre du Tigré

Le tableau 1 regroupe les taux de croissance, distinguant trois décennies : 2022-2013, 2012-2003 et 2002-1993.

PCNS

Entre 1993 et 2022, la tendance générale était celle d’une croissance forte, en moyenne, de 8,5 % sur la période 2022-2013, de 8,57 % sur la période 2012-2003 et de 5,54 % sur la période 2002-1993. Au-delà de ces moyennes, il faut souligner le pic de 2004 à 13,6 %, inférieur cependant à celui de 1987, de 13,9 % ,et des croissances négatives en 1998 (-3,5 % ) et en 2003 (-2,2 % ). Croissances négatives à celles des périodes précédentes : -11,1 %, en 1985, -8,7 %, en 1992, et -7,1 %, en 1992.

L’analyse de cette croissance, distinguant trois périodes, montre que les deux dernières décennies ont enregistré une croissance moyenne dépassant 8 %. Et ce, malgré un ralentissement très net à partir de 2020 pour la décennie 2022-2013, et une croissance négative pour la décennie 2012-2003. La première décennie, celle d’une croissance moyenne de 5,54 %, avec des pics à 13,1 %, en 1993, et à 12,4 %, en 1996. C’est celle également de la croissance négative, la plus forte de la période 1993-2022, avec -3,5 %, en 1998.

La croissance éthiopienne est donc à mettre au crédit de son économie. La guerre civile du Tigré, mais aussi les conséquences de la guerre « Russo- ukrainienne » sur le prix du pétrole, du gaz et du blé expliquent, en partie, le ralentissement qui commence en 2018. Cette performance incontestable (taux de croissance le plus important du continent) a été rendue possible par un investissement public important, améliorant les infrastructures, et par le recours à un endettement externe, essentiellement chinois.

b. Une inflation record en 2022

Le tableau 2 précise le taux d’inflation entre 1993 et 2022, distinguant trois décennies 2022- 2013,2012-2003 et 2002-1993.

PCNS

L’analyse du tableau 2 conduit aux conclusions suivantes :

*une inflation très faible sur la période 2002-1993, en moyenne de 1,8 %, avec deux années de taux d’inflation négatif : 2001 ( -8,24 % ) et 1996 ( -8,48 % ). Mais cette moyenne ne doit pas faire oublier sa volatilité, avec sur cette période, une inflation passant de 10,02 %, en 1995, à -8,48 %, en 1996, pour retrouver 2,40 % en 1997 ;

*à l’inverse, une accélération brutale du taux d’inflation entre 2003 et 2012, qui perdure entre 2013 et 2022. La décennie 2003 - 2012 est celle de tous les records en matière d’inflation : 44,39 %, en 2008, 32,01, en 2011 ; 17,9 % pour la moyenne de la décennie, de loin la plus forte des trois. Avec une moyenne de 14,8 %, la moyenne de la décennie 2013- 2022 confirme et l’ampleur de l’inflation et son caractère structurel. Cette période est aussi celle d’une inflation qui progresse d’année en année, s’accélérant à partir de 2019, avec un taux d’inflation de plus de 15 %.

Si le taux de croissance record était à mettre au crédit de l’économie éthiopienne, celui d’une inflation record est incontestablement à mettre à son débit. Avec 33 %, en 2022, ce taux est trois fois plus élevé que celui de l’Afrique subsaharienne, attendu en moyenne à 11%, toujours en 2022 (Source Banque mondiale). Au moment où Addis-Abeba s’apprête à renégocier sa dette auprès du FMI, ce taux ne facilite en rien cette renégociation, bien au contraire.

c. Un PIB par habitant à 1047 dollars en 2022

Le tableau 3 précise le PIB par habitant entre 1993 et 2022.

PCNS

L’analyse de ce tableau montre qu’entre 2022-1993 le PIB par habitant éthiopien passe de 110 dollars, en 2002, niveau le plus bas des trois décennies, à 1047 dollars, en 2022, niveau le plus élevé de la période 1993-2022.

La période 1993-2002 est aussi celle où le PIB par habitant régresse, passant de 164 dollars US, en 1993, à 110 dollars, en 2002, soit une perte de 54 dollars. À l’inverse, durant les deux décennies suivantes le PIB par habitant éthiopien progresse régulièrement, passant de 117 dollars à 458 dollars, sur la période 2003-2012 ( gain de 441 dollars ), et de 490 dollars à 1027 dollars, sur la période 2013-2022 ( gain de 537 dollars ).

Malgré cette évolution, le PIB par habitant du pays reste modeste, de l’ordre de 3 dollars par jour. Ce qui le situe au 32ème rang africain, juste devant le Mali et juste derrière le Togo. Ceci s’explique par une croissance de la population de l’ordre de 2,7 % par an entre 2012 et 2022, et qui devrait perdurer. C’est un PIB par habitant non seulement faible, mais insuffisant si l’on veut réduire le taux de pauvreté, estimé à 30 % de la population en 2022.

B. Des déficits jumeaux faisant craindre un risque de défaut de paiement en 2023 et 2024

On parle de déficits jumeaux lorsqu’un pays se trouve, à la fois en déficit budgétaire et en déficit commercial. C’est le cas aujourd’hui en Éthiopie comme le prouvent les données du tableau 4 ci-dessous. Ce tableau reprend non seulement les données et les perspectives de croissance et d’inflation pour les années 2020-2023, mais également celles concernant le solde public de chaque exercice, son taux d’endettement et son solde courant, tous trois en % du PIB éthiopien.

PCNS

La lecture et l’analyse de ce tableau permettent de préciser l’évolution des trois composantes de ces déficits jumeaux.

1. Un déficit budgétaire en dents de scie

Durant les années 2017 à 2021, le déficit budgétaire est sous la barre symbolique des 3 %, estimé à 2,8 % en 2020 et 2021. En 2022, il explose à -3,7 %. La raison principale : des dépenses militaires et humanitaires qui augmentent, à la suite du conflit du Tigré ; des recettes en revanche qui diminuent, pour les mêmes raisons.

À cela s’ajoute un ralentissement de la croissance économique impactant, mécaniquement et négativement, les recettes budgétaires du pays. Comparé au déficit budgétaire moyen, tous pays confondus, de l’Afrique subsaharienne ( -5%), le déficit éthiopien, -3,7 du PIB, lui est nettement inférieur. Ce qui interroge, selon de nombreux experts et observateurs, la situation économique et politique de ce pays. Ce n’est donc pas le niveau atteint par ce déficit, mais une tendance à la hausse par rapport aux déficits de années 2020. Tendance qui dépend principalement de l’évolution du conflit du Tigré et du fragile accord de paix intervenu en décembre 2022. Enfin, ce déficit est aussi la conséquence indirecte de l’inflation, générant des dépenses sociales pour aider les ménages à y faire face.

2. Un endettement qui se réduit, et un service de la dette qui progresse

En 2000, la dette publique de l’Éthiopie représentait 93 % de son PIB. En 2020 son taux d’endettement est presque divisé par 2 (51 % du PIB). Depuis 2021, elle diminue régulièrement : 50,1%, en 2021, 46,4%, en 2022, 37,6 %, en 2023 (estimation). Et si on compare son taux d’endettement 2022 à la moyenne 2022 de celui de l’Afrique subsaharienne (56,6 %), on constate que, comme pour son déficit budgétaire, elle ne souffre pas de la comparaison.

Il faut cependant mettre en perspective cette évolution avec la double demande de l’Éthiopie, visant à obtenir un nouveau programme de financement du FMI et une restructuration de sa dette. Cette dernière, en effet, n’est certes pas plombée par le taux d’endettement mais par le service de la dette extérieure qui lui est associé. Ce dernier représente aujourd’hui 53 % de l’ensemble de la dette. Ce qui représente une facture 2023 de 2 milliards de dollars, soit 24 % de ses recettes d’exportations.

3. Un compte courant commercial structurellement déficitaire

Sur la période 2020-2023, le solde courant commercial est toujours déficitaire. Et ce avec des pics au plus haut en 2020 (-4,1 %) et 2022 (-4 %), et au plus bas en 2021 (-2,7 %) et en 2023 (estimation à -3,5 %). Cette situation n’est pas nouvelle. Le commerce extérieur de l’Éthiopie étant structurellement déficitaire. Le rapport exportations/importations, en valeur et en % du PIB, le démontre. Les exportations s’élevaient à 4,1 milliards de dollars US, représentant 3,4 % du PIB. Sur la même période, les importations étaient estimées à 18,1 milliards de dollars, soit 15 % du PIB. Le rapport importations/exportations est donc de l’ordre de 4,25 à 1, soit encore des importations, en valeur 4,25 fois plus importantes que les exportations. Et si on compare le % des importations par rapport au PIB, on est dans un rapport de 15 à 3,4 de 1 à 4,4. Ce qui permet de conclure que les importations, en valeur et en % du PIB, représentent 4,25 fois les exportations en valeur et une part du PIB 4,4 fois supérieure à celle des exportations. Et si on évalue ce rapport sur les exercices antérieurs, on constate que ces rapports évoluent à la marge.

Compte tenu du manque de liquidité externe du pays, ce déficit contribue à l’aggraver. Ce qui se traduit aussi par des réserves de change estimées à trois semaines d’importations. Confronté, à très court terme, à un double défi, le gouvernement cherche à restructurer sa dette, dans le cadre par exemple du « G 20 Common Framework », et à trouver de nouveaux financements lui permettant d’éviter le risque de défaut.

III. les deux défis éthiopiens de l’immédiat : le risque de défaut et la sécurité alimentaire

La première partie de l’étude, consacrée au rappel de données générales, conclut à une contradiction de l’économie éthiopienne : celle d’être une nation agricole (une contribution au PIB de 35 % à 40 %, employant 80 % de la population), incapable d’assurer la sécurité alimentaire de 110 millions de personnes. L’urgence de mettre fin à cette contradiction, qui s’inscrit dans la durée, ne se discute donc pas, d’autant que cette situation pèse aussi sur le déficit commercial du pays et sur ses réserves de change. Mais cette urgence devient priorité, ce que nous appelons « défi de l’immédiat », lorsque l’on se projette à l’horizon 2050, avec une population éthiopienne attendue à 214 millions d’habitants.

La seconde partie précise la fragilité de l’économie éthiopienne, malgré une croissance moyenne dépassant les 8 %, entre 2003 et 2022, fragilité de n’avoir pas réussi à éradiquer un risque de défaut qui s’est matérialisé à la fin 2023. Avec seulement 1,5 milliard de dollars de réserves de devises au premier semestre 2023, soit moins d’un mois de paiements extérieurs courants, la liquidité externe du pays devient préoccupante, conduisant à faire de l’éradication du risque de défaut un premier défi de l’immédiat.

A. Décisions et événements qui devraient éradiquer le risque de défaut

Conscient de cette priorité de l’immédiat, le gouvernement éthiopien a, à partir de 2020, décidé de multiplier les parcs industriels construits par la Chine, se doter d’un fonds souverain en 2022, et devenir membre des BRICS+6 en 2023. Décisions et événements qui permettent d’espérer l’éradication du risque de défaut dans les meilleurs délais.

1. Des parcs industriels pourvoyeurs en devises

L’Éthiopie et la Chine entretiennent des relations commerciales, et ce, depuis trente ans. À partir de 2011, ces relations s’intensifient et prennent une nouvelle dimension lors des universiades de Shenzen. Ces universiades vont en effet être l’occasion pour Meles Zenawi, alors Premier ministre éthiopien en exercice, de visiter une des plus grandes entreprises manufacturières chinoises : Huajian Group, labellisé OEM (Original Equipment Manufacturer), spécialisé dans la fabrication de grandes marques de chaussures, américaines et européennes. Au lendemain de ces universiades, le groupe manufacturier chinois est reçu en Éthiopie par Meles Zenawi. Cette rencontre va aboutir à la conclusion d’un plan officiel d’investissement, concrétisé, quelques mois plus tard, par la construction, à Addis Abebba, d’une première unité de fabrication de chaussures. S’ensuivra la construction d’un géant industriel éthiopien de la chaussure et des parcs industriels.

- Naissance d’un géant industriel éthiopien de la chaussure

Comme l’ont montré les travaux de Jean Paul Larçon et Corinne Vadcar, le coût de la main- d’œuvre éthiopienne est particulièrement attractif, comparé à celui pratiqué en Chine. Ces coûts de la main-d’œuvre représentent, dans le cas de la chaussure, 30 % du coût total. De plus, cette main-d’œuvre est abondante. Enfin, le pays est riche en peau et cuir de qualité, ce qui permet de trouver sur place, et à bon prix, l’essentiel de la matière première de la chaussure.

En 2015, le groupe chinois «HuajIan International Ethiopian » est présent sur 6 sites, regroupant 4200 personnes de nationalité éthiopienne. Ce groupe y produit des chaussures pour les plus grandes marques à destination des États-Unis. Il est désormais le premier exportateur du pays et le premier fabricant de chaussure du continent. Fortes de cette réussite, le autorités éthiopiennes vont mettre à la disposition de l’investisseur chinois un terrain de 138 hectares sur lequel va être construit le premier parc industriel, véritable cluster industriel où la Chine va investir, via son fonds souverain « China-Africa Development Fund », 2,2 milliards de dollars.

- Prolifération des parcs industriels

Selon Henok Asrat, directeur de la communication à « Ethiopian Industrial Park Development Corporation », au cours des six premiers mois de l’exercice budgétaire 2021/2022, les parcs industriels éthiopiens ont généré 104 millions de recettes d’exportation. Si on se projette sur une année, ce serait donc une recette annuelle de 208 millions de dollars. Mieux encore, selon les mêmes sources, ces recettes auraient progressé de 25 % par rapport à celles de 2022, à la même période. En 2020, on comptait une dizaine de parcs industriels construits par la Chine. Les autorités éthiopiennes prévoient de porter ce chiffre à 30, d’ici 2025, ce qui reviendrait à les multiplier par trois en 3 ans. Ce qui montre l’importance que les autorités éthiopiennes attachent à la coopération avec l’empire du Milieu et ses entreprises. Ce qui leur permet aussi de diversifier leurs activités industrielles et leurs sources de devises, une grande partie de la production de ces parcs industriels étant destinée à l’exportation.

2. Un fonds souverain considéré comme étant le plus important en Afrique

Le manque de liquidités du pays, évoqué plus haut, va conduire le gouvernement éthiopien à rechercher auprès d’investisseurs étrangers, a minima, 150 milliards de dollars. Et pour cela il va créer, en 2022, le plus important fonds souverain du continent : « Ethiopian Investment Holding » (EIH), soit 150 milliards de dollars d’actifs sous gestion attendus, sans compter les dividendes supplémentaires que vont générer ces actifs.

Ce fonds souverain, comme la plupart des fonds souverains africains de dernière génération, n’est pas financé comme l’ont été les fonds souverains de première génération, par l’exportation de matières premières ou par la rente pétrolière ou gazière. C’est un fonds souverain original, qui tire ses ressources de la privatisation, partielle ou totale, des grandes entreprises d’État, ouvrant la voie à un certain degré d’investissement privé. Ce qui représente un changement important, certains diront un changement radical par rapport aux politiques publiques menées, ces dernières années, favorisant au contraire le contrôle par l’État de secteurs jugés stratégiques : banques, télécommunication, logistique, par exemple. C’était le temps où l’État devait alors être l’acteur principal du développement du pays.

Ce rôle sera désormais dévolu au secteur privé. Comme le déclarait Mamo Mihretu, directeur général de l’EIH : «la création de l’EIH est un témoignage fort que le programme des réformes économiques du gouvernement, pour la croissance et la résilience, est sur la bonne voie ». Ce qui fait de l’EIH le bras stratégique des investissements du gouvernement. Parmi les grandes entreprises concernées par l’EIH, on rappellera ici quatre poids lourds de l’économie éthiopienne : Ethiopian Airlines, Commercial Bank of Ethiopia, Ethio télécom et Shipping and Logistics Service Enterprise.

- Ethiopian-Airlines. L’emblématique compagnie aérienne éthiopienne contrôlée à 100 % par l’État, membre de la Star Alliance. Elle propose aujourd’hui 127 destinations internationales et 22 nationales.

- Commercial Bank of Ethiopian. Une des deux banques d’État du pays, la plus importante avec la Banque nationale d’Éthiopie. Commercial Bank of Ethiopian, c’est 35 millions de clients en 2022.

- Ethio-Telecom. L’opérateur public des télécommunications d’Éthiopie aux trente-cinq millions de clients mobiles et 23 millions d’abonnés.

- Ethiopian Shipping and logistics Service Enterprise (ESLSE).

C’est la compagnie nationale éthiopienne de transport et logistique. Créée en 1964, lorsque l’Éthiopie avait une ouverture sur la mer qu’elle a perdue en 1993 suite à l’indépendance de l’Érythrée. Depuis, son port d’attache est désormais à Djibouti. Ses actifs sont essentiellement : neuf cargos, 2 pétroliers, des ports maritimes et à sec.

La privatisation de ces entreprises est partielle, l’État restant majoritaire. En 2021, ces 27 entreprises publiques, partiellement ou totalement privatisées, contribuaient à 34 % du PIB, générant des revenus annuels de plus de 6 milliards de dollars. Comme on peut le constater, ce fonds bénéficie de bases financières solides, supérieures à celles de la plupart des fonds souverains africains. S’inspirant de l’expérience du fonds souverain singapourien « TEMASEK », connu pour la transparence de sa gestion, reprenant à son compte le « Principe de Chicago », celui des meilleures pratiques de gouvernance, son directeur, Mamo Mihretu, espère bien séduire les investisseurs étrangers et réduire ainsi le déficit de devises du pays.

3. Une adhésion aux BRICS+6 facilitant l’accès à de nouvelles sources de financement

Les 22 et 24 août 2023 se tenait à Johannesburg, en Afrique du Sud, le quinzième sommet des BRICS. À l’ordre du jour, l’élargissement des BRICS à de nouveaux adhérents. Suite à des discussions difficiles, il a été décidé d’accueillir six nouveaux membres : l’Arabie saoudite, l’Argentine, les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Éthiopie et l’Iran. Nous rappellerons ici quels avantages l’Éthiopie peut-elle tirer de cette appartenance.

Tout d’abord, elle lui permet de rejoindre l’Afrique du Sud en tant que représentant du continent. Lorsque l’on sait que le Nigeria, autre candidat à cet élargissement, a vu sa candidature rejetée, cela ne peut que conforter la position d’Addis Abeba sur le continent, et pas seulement dans la corne de L’Afrique. Ensuite, compte tenu des liens qu’elle a développés avec la Chine, qui a vu son leadership sur les BRICS renforcé par cet élargissement, cela ne peut qu’être profitable à leurs relations bilatérales, comme nous l’avons rappelé avec la construction de parcs industriels. Mais, concernant cette étude, c’est dans le domaine bancaire que cet élargissement peut être particulièrement profitable aux Éthiopiens.

En effet, depuis 2014 les BRICS bénéficient de deux banques, supposées être une alternative au FMI et à la Banque mondiale : la Nouvelle banque de développement (NBD), et la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII).

La NBD est dotée d’un capital de 100 milliards de dollars. Son siège est à Shanghai, avec une représentation en Afrique du Sud. En 2022, elle comptait 9 pays membres : les 5 des BRICS plus le Bangladesh, les EAU, l’Égypte, et l’Uruguay. Avec cet élargissement, elle compte désormais 11 pays membres de droit, dont l’Éthiopie. Créée quelques mois plus tard, en 2014, la BAII est une banque exclusivement chinoise, dont le siège est à Pékin. En 2022, elle comptait 93 membres, dont un grand nombre de pays occidentaux.

Concernant le risque de défaut, les événements se sont succédé, s’accélérant en 2021 et 2022, soit à l’initiative de l’Éthiopie, soit en tirant avantage d’une situation nouvelle, comme l’élargissement des BRICS. Ce qui montre à la fois l’urgence de la situation et la volonté éthiopienne de l’éradiquer. Compte tenu des moyens mis en œuvre et des opportunités rappelées pour y parvenir, nous pensons que ce premier défi de l’immédiat éthiopien pourrait être relevé.

B. Il devenait urgent de mettre fin à l’insécurité alimentaire du pays

L’agriculture éthiopienne, vivrière et dont la taille moyenne des exploitations est de l’ordre de 2 hectares, est à très faible rendement. Les rendements céréaliers à l’hectare, par exemple, n’atteignent pas 10 % des rendements par hectare céréaliers européens. L’agriculture éthiopienne est de surcroit soumise à des aléas climatiques qui la fragilisent, contribuant parfois à réduire ces rendements. Il y a donc urgence à inverser cette tendance, si l’on veut que l’agriculture de cette nation agricole garantisse sa propre sécurité alimentaire dans les meilleurs délais, et à plus long terme accroisse sa capacité exportatrice. Cela est possible, parce que la cause première de cette improductivité est connue, comme le sont également les actions et remèdes capables de l’inverser.

1. Une sécurité alimentaire qui passe par l’usage de fertilisants

Point commun à l’agriculture subsaharienne africaine, celui d’un usage très faible de fertilisants, usage quasi inexistant parfois, comparé à celui observé ailleurs, de par le monde, y compris en Afrique. Ce qui explique des rendements particulièrement bas, comparés à ceux des pays utilisant les fertilisants régulièrement, parfois massivement. En 2014 , une étude de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), portant sur le taux d’application, en kg nutriment /hectare, des différentes régions, confirme, statistiquement, les écarts considérables observés d’une région à l’autre, et l’ampleur du retard de l’agriculture subsaharienne. Le tableau 5 regroupe les taux d’application Kg nutriment /hectare de 7 régions du monde : Asie de l’Est, Asie du Sud, Amérique du Nord, Europe, Afrique du Nord, Afrique australe, Afrique subsaharienne ; ainsi que la moyenne mondiale /hectare.

PCNS

Comme on peut le constater à la lecture de ce tableau, l’Afrique subsaharienne est de très loin le parent pauvre, très pauvre de la planète pour ce qui concerne l’usage des fertilisants à l’hectare : huit fois moins que la moyenne mondiale, treize fois moins que la moyenne européenne, quarante fois moins que la moyenne de l’Asie de l’Est. Et sur le continent africain, l’Afrique subsaharienne est loin derrière l’Afrique du Nord ou l’Afrique australe.

L’ampleur du retard pris par le continent n’a d’égal que sa capacité à rebondir, pour passer d’une agriculture vivrière à une agriculture créatrice de richesse . Et ce rebond passe par le recours à la fertilisation des terres subsahariennes, dans le cadre d’une agriculture raisonnée. Parmi les pays subsahariens concernés, l’Éthiopie est l’un des pays ayant la plus forte capacité de rebond, avec un taux d’application ,en Kg nutriment estimé inférieur encore aux 14 kg de la moyenne subsaharienne, de l’ordre de 10 à12 kg.

2. Un complexe industriel produisant des fertilisants en terre éthiopienne

a. Un projet qui remonte à 2016

Le 19 novembre 2016, lors d’une visite officielle du roi Mohammed VI à Addis -Abeba, capitale de l’Éthiopie et siège de l’Union africaine, était signée une convention entre l’Éthiopie et le Maroc, prévoyant la construction, à Dire Dawa, la deuxième ville du pays, à 250 km au sud de Djibouti, du « Dire Dawa Fertilizer Complex ». Porté par le Groupe OCP, l’investissement a été estimé, à l’époque, à plus de 2,2 milliards d’euros, sur 5 ans, visant l’autosuffisance en engrais fabriqués en Éthiopie d’ici 2030, avec une production annuelle de 2,5 millions de tonnes de fertilisants.

C’est un projet « gagnant-gagnant », reposant sur des intrants éthiopiens (potasse et gaz) et un intrant marocain : l’acide phosphorique. Durant cette période 2016-2021, les relations entre le Maroc et l’Éthiopie se développent et les initiatives du Groupe OCP se multiplient. On rappellera quatre d’entre elles particulièrement significatives :

- dès 2016, en partenariat avec la Fondation OCP et les autorités éthiopiennes, on commence l’ébauche d’une carte de fertilité des terres éthiopiennes, et la recherche d’engrais adaptés aux cultures locales. Cela concerne alors le café Arabica et la culture du teff. Teff, céréale cultivée principalement en Éthiopie, dont la farine est destinée à la consommation alimentaire et les résidus utilisés comme fourrage ;

- dès 2018, la Fondation OCP lance une caravane agricole qui concerne 4 régions du pays afin de compléter la carte de fertilité des sols éthiopiens. Cela concerne 100 000 hectares, et cela vise également à renforcer les capacités techniques des petits agriculteurs à se familiariser avec une bonne pratique agricole, axée sur un usage raisonné des fertilisants.

- depuis 2022, le Groupe OCP a entrepris la construction de deux usines de mélange d’engrais, dont les intrants sont importés du Maroc : une à Oromia et une deuxième à Amhara. Ce qui va permettre de disposer de 10 000 tonnes métriques de mélanges, destinés aux sols acides de l’Éthiopie ;

- depuis 2023, l’OCP teste 18 nouvelles formules d’engrais, visant à traiter la forte prévalence de ces sols acides en Éthiopie, et plus généralement dans la corne de l’Afrique.

b. Le projet à sa phase de réalisation

Dans le cadre du projet 2016, une joint-venture est signée entre le Groupe OCP et le gouvernement éthiopien, le 18 septembre 2021, confiant la réalisation au groupe marocain. Dans sa phase désormais de réalisation, le « Dire Dawa Fertilizer Complex » reprend dans ses grandes lignes ce que prévoyait la convention de 2016 : des unités de production d’urée, une unité de de « blending » et d’emballage, et une unité de production d’engrais, mais aussi l’aménagement, au port de Djibouti, d’une plateforme de stockage d’acide phosphorique venant du Maroc. C’est un projet phare de classe mondiale générant plusieurs centaines d’emplois durant sa phase de construction. Avec « Dire Dawa Fertilizer Complex », l’Afrique va pouvoir proposer des engrais à la carte, tenant compte de la nature des sols et des cultures, à partir des matières premières africaines, en l’occurrence ici : le gaz et la potasse éthiopiens et le phosphate marocain.

Sa réalisation se fera en deux phases. Une première phase, celle de la construction d’une unité de production d’engrais de 2,5 millions de tonnes, combinant urée, d’une part, et NPK /NPS, d’autre part, pour un investissement initial de 2,4 milliards de dollars US. Une deuxième phase permettra d’atteindre une capacité de production annuelle d’engrais de 3,8 millions de tonnes , nécessitant un investissement supplémentaire de 1,3 milliard de dollars.

Le projet, d’un investissement global de 3,7 milliards de dollars, devra permettre de conforter la sécurité alimentaire en Éthiopie, dont la population va augmenter de 90 millions d’ici 2050.

Conclusion générale

Les années 2024 et 2025 s’annoncent cruciales et décisives pour l’Éthiopie.

Nous avons souhaité, dans le cadre de cette étude, nous limiter aux défis de l’immédiat auxquels l’Éthiopie devait faire face en 2023. La raison en est simple : les liens qui existent entre ces défis et la croissance économique, la création d’emplois, la lutte contre l’inflation. Ces liens supposent qu’ils soient relevés avec succès, si on veut avoir une croissance forte, créer des emplois, lutter avec succès contre l’inflation. L’éradication du risque défaut, par exemple, permet de faire des projections positives sur l’évolution du taux de croissance et la création d’emplois. À l’inverse, le maintien d’un risque de défaut ne peut qu’accroitre les faiblesses constatées de l’économie éthiopienne. Le même raisonnement vaut pour la fin, ou non, d’une agriculture vivrière incapable d’assurer la sécurité alimentaire du pays.

L’étude montre que ces deux défis ont toutes les chances d’être relevés horizon 2024-2025. Mais, à la condition que l’accord de paix, signé en novembre 2022, sous l’égide de l’Union africaine et de partenaires régionaux, ne soit pas remis en cause. Aujourd’hui, il est des plus fragiles : parce qu’un accord de paix n’est pas un traité de paix ; parce que l’Érythrée ne l’a pas signé ; parce que l’Éthiopie est toujours à la recherche d’un port sur la mer Rouge. Les dernières déclarations d’Abiy Ahmed en novembre 2023, faisant du désenclavement de son pays une question existentielle, ne peuvent qu’inquiéter. Les années 2024-2025 vont être déterminantes, voire cruciales pour le pays. Le pire des situations : un conflit qui succède à un autre conflit.

 

Éléments bibliographiques


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Larçon J.P Vadcar C. . « Belt and road in Ethiopia and china’s Africain ambition » . In « China and the world : Ancient and modern Silk Road » June 4 (2) 250071-32.

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Tarrosy, I. « China’s belt and road initiative in Africa, debt risk and new dependency: the case of Ethiopia » Africain studies Quartely 19(3-4). 8-28.

Vedie H-L. « Sommet de Johannesburg : vers l’élargissement et une monnaie commune pour les BRICS ? », Policy Brief. PCNS. 22 août 2023.

Vedie H-L. « Les fonds souverains africains : une deuxième vague ( 2016-2022 ) sous le signe de la redéfinition stratégique », Policy Brief. (A paraître).

Vedie H-L. « OCP Group : une entreprise aux multiples visages ». Ed La Croisée des Chemins, 2018.

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