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Opinion
La chancelière allemande, Angela Merkel, effectue une visite officielle au Burkina Faso en ces débuts du mois de mai, accompagnée d’une délégation d’hommes d’affaires et de responsables de l’économie. La visite est assortie d’une participation à un Sommet du G5 Sahel, dont le Burkina assure présentement la présidence.
Si la question de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme reste toujours de mise, l’intérêt allemand pour la région, et surtout la nature de la délégation allemande, ouvrent plus d’horizons devant les questions de développement humain, jusqu’ici voilées par les impératifs de sécurité. La chancelière l’a d’ailleurs fait savoir dans le discours, mais aussi dans les faits, en annonçant une aide de 460 millions d’Euros, et en demandant à des pays européens ainsi qu’à l’Union européenne d’unifier leurs efforts et de les coordonner.
Entre le marteau de la violence et l’enclume de la précarité
La chancelière allemande exprime peut-être un sentiment d’exaspération devant une situation qui ne fait qu’empirer, au niveau sécuritaire, et qui pousse tous les intervenants à se focaliser sur la lutte anti-terroriste en perdant de vue, parfois, les attentes d’une population prise entre le marteau de la violence et l’enclume de la précarité.
En effet, en dépit des assurances rapportées par des déclarations officielles et communiqués des forces intervenant au Sahel, la conjoncture sécuritaire dans la région reste alarmante. Les différentes forces présentes sur le terrain, depuis au moins six ans, n’arrivent même pas à geler une situation qui s’aggrave à vue d’œil et de jour en jour. Non seulement les opérations terroristes s’intensifient, et les victimes se font de plus en plus nombreuses, mais l’étendue de l’espace touché s’élargit et des pays qui semblaient auparavant à l’abri de toute menace se trouvent aujourd’hui dans l’œil du cyclone. L’activisme djihadiste dans la région du Liptako-Gourma rencontrait déjà celui du bassin du Lac Tchad au Sud du Niger. Aujourd’hui, une autre jonction est possible à travers le territoire burkinabé où l’activité terroriste s’étend et menace d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest.
Les crises et conflits, de tout genre, se multiplient et se superposent. Ils sont de plus en plus complexes et nébuleux et ils s’interpénètrent de manière déroutante. Du séparatisme à l’ethnisme, en passant par les querelles politiques et les conflits d’intérêt, les phénomènes s’entremêlent et se nourrissent les uns des autres.
Cette complexité est aggravée par la porosité de toutes les frontières dans la région ; non seulement les frontières physiques entre les Etats sont incontrôlables et non contrôlées, mais il n’existe pas de frontières sociales, économiques et humaines, tellement les peuples et les communautés de la région se mêlent et interagissent entre eux, en dépit du découpage politique qui les articule en Etats séparés, distincts et souverains.
Par ailleurs, aussi bien au niveau transnational que national, ces communautés ont tendance à prolonger leurs relations historiques de coopération, d’amitié ou de belligérance et adoptent vis-à-vis des structures étatiques des attitudes d’indifférence, sinon d’hostilité.
Un voisinage du Sahel qui suscite des inquiétudes
L’exemple du Mali est plus qu’édifiant à cet égard. Le pays avait rencontré, depuis son indépendance, des difficultés afférentes à l’ambition d’indépendance touarègue. Celle-ci touche son paroxysme en 2012, lorsque le MNLA et les groupes d’Al Qaeda investissent le Nord du pays après en avoir chassé les troupes de l’armée officielle. Il s’en est suivi un conflit politique ayant généré un coup d’Etat. Nous assistons, également, à la résurgence d’une belligérance ethnique qui oppose peuls et dogons et qui cache un autre conflit de nature confessionnel entre Musulmans et Païens. Certains expliquent le conflit Peuls/Dogons par l’opposition économico-sociale historique entre pasteurs et agriculteurs.
La crise du Mali n’y est pas confinée. Les Touaregs sont une communauté qui vit également au Niger, au Burkina Faso et en Algérie ; les peuls se disséminent dans tout le Sahel, de l’Océan atlantique à la Mer rouge et les communautés musulmanes couvrent une bonne partie des Etats de la CEDEAO et même au-delà. Tous les ingrédients de la régionalisation des crises maliennes sont disponibles et en abondance.
Le voisinage du Sahel n’est pas pour faciliter l’amélioration de la conjoncture. Au Nord, la région est limitrophe de l’Algérie d’où étaient arrivés les premiers groupes armés qui ont introduit la violence extrémiste au Sahel. De plus, ce même pays, impliqué dans le processus de paix et de réconciliation au Mali, semble aujourd’hui en crise en raison des aléas qui entourent la crise de l’alternance politique. Un autre voisin du Nord est la Libye où la situation n’est pas des plus stables, en dépit de projets de solution qui n’ont qu’un effet d’annonce. A l’Est, la région du Sahel partage la frontière tchadienne avec le Soudan, un autre espace où règnent des turbulences et qui constitue, avec la Libye, une autre source de procuration d’armes de différents sortes et calibres. Le même Tchad, membre du Sahel, partage sa frontière sud avec la République d’Afrique centrale, un autre foyer de tension qui interfère obligatoirement avec les turbulences sahéliennes.
Le poids des rivalités entre les différents intervenants
Les philosophies d’intervention au Sahel s’adossent, chez l’ensemble des puissances, à la paix et à la sécurité dans le continent ainsi qu’à une volonté affichée d’aider l’Afrique dans ses efforts de développement. Cependant, les actions puisent également leurs motivations dans les intérêts des pays intervenants, leurs idéologies et leurs doctrines de politique étrangère. Chinois, Américains, Français ou Russes, pour ne citer que ceux-ci, ont des intérêts divergents, sinon opposés en Afrique. Leurs visions du développement du continent diffèrent et leur perception des menaces et conception des solutions convergent rarement. Les puissances étrangères sont même rivales en Afrique, laquelle rivalité impacte négativement les pays africains.
C’est dans ce cadre, empreint de divergences et de rivalités, que s’inscrivent les interventions sécuritaires en Afrique. Plusieurs pays et organisations œuvrent pour la paix et la sécurité en Afrique, et cette multitude de pays génère une multiplication d’initiatives portant le cachet propre de leurs initiateurs, sans souci pour des mécanismes de coordination des actions ou de convergence des perceptions.
La participation de l’Allemagne, avec ses soucis de développement, à ce ballet d’intervenants, et l’appel à la coordination lancé par la Chancelière, portent une lueur d’espoir pour que le Sahel puisse voir le développement humain accéder au même niveau d’intérêt que les questions sécuritaires et que cesse la prolifération d’initiatives, prises individuellement, au profit d’un effort coordonné.