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Sécurité, partenariats Sud-Sud et regards latino-américains
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December 20, 2017

La troisième et dernière journée de la conférence de haut niveau Atlantique Dialogues, organisée du 13 au 15 décembre à Marrakech par l’OCP Policy Center, a porté pour l’essentiel sur des questions de géopolitique africaine, ainsi que sur la “croissance sans emploi”, “les partenariats Sud-Sud” et les témoignages apportés par trois anciens présidents d’Argentine et du Costa-Rica sur les trajectoires de développement latino-américaines.

“Sécurité dans le Sahel et implications transatlantiques” 

Ce sujet sensible a été abordé avec franc-parler par tous les intervenants de la plénière qui lui a été consacré, à commencer par Youssef Amrani, ancien ministre marocain des Affaires étrangères et chef de mission au cabinet du Roi du Maroc.  « Dans le cas du Mali, sans l’intervention française, Bamako serait tombé, a-t-il affirmé. Nous avions dit oui à l’époque car le Maroc était au Conseil de Sécurité. Mais nous n’irons pas de l’avant sans construire des Etats forts. Le G5 Sahel est important parce qu’il renforce la sécurité et l’intégration de la région. Malheureusement, le Maghreb ne fonctionne pas. Avec une bonne structure magrébine cohérente, nous aurions pu contribuer à la résolution du conflit libyen. Nous avons besoin d’une vision. Les affreux, eux, en ont une. Al Qaeda et Isis ont une vision dans tout le monde islamique, du Golfe jusqu’au Sud. »

De son côté, le général à la retraite Nick Parker, Senior Fellow au Royal United Services Institue (RUSI) à Londres, aux commandes lors de l’intervention britannique de 2002 en Sierra Leone – exceptionnelle en Afrique pour cette ancienne puissance coloniale – s’est montré très sceptique quand à la capacité d’action du G5 Sahel. Cette force formée en 2014 par cinq pays (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie) est censée déployer depuis juillet 5000 hommes avec des soutiens divers et variés, en complément de l’opération française Barkhane (3000 soldats). Les appuis financiers de l’Union européenne (50 millions de dollars), des Etats-Unis (60 millions), de l’Arabie Saoudite (100 millions), et Emirats Arabes Unis (30 millions) n’ont pas permis de déployer plus de 1000 hommes fin 2017. 

« C’est la recette pour une confusion tactique, estime le général Nick Parker. Qui commande ? Il faut avoir la plus grande clarté sur la structure de la commande si l’on veut réussir sur le plan physique sur le terrain. Comment permettre aux forces de la région d’atteindre cet objectif ? Construire les forces à partir des sociétés d’où elles proviennent elles-mêmes est très important. Dans le cas du G5 Sahel, nous avons cinq nations… (…) Les défis dont nous parlons exigent du leadership. Qui va se lever dans la région pour l’assumer ? Je n’entends pas beaucoup parler du Nigeria. Il faut de la force, certes, mais aussi du leadership pour une intervention intégrale et concentrée. » 

« Nous n’avons pas besoin de soutien militaire physique mais de renforcement de nos capacités professionnelles et de financement », a expliqué pour sa part Tewolde Gebremeskel, directeur pour la paix et la sécurité de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD, qui regroupe huit pays est-africains, Djibouti, Ethiopie, Kenya, Somalie, Soudan, Soudan du Sud et Ouganda). Il a expliqué la nature de son travail avec l’Amisom, la force panafricaine déployée en Somalie, qui comprend 22 000 soldats burundais, ougandais, tanzaniens et kényans, ainsi que des policiers nigérians : « L’Union africaine travaille sur le soutien militaire à l’Amisom et l’Igad sur le côté “soft” – le soutien à l’administration locale et le gouvernement. Nous essayons de former des jeunes qui encadrent la jeunesse, nous en avons 54 dans toutes les régions qui ont été formés pour combattre l’idéologie extrêmiste des Al Shebab ». Un chiffre qui peut cependant paraître dérisoire, comparé au bilan des attentats qui frappent régulièrement Mogadiscio, faisant 100 morts pour le seul mois de novembre.

“Migration, économie et sécurité” 

Les termes du débat sur la migration ont été posés de manière non moins directe dans cette session, en présence de  l’Italien Paolo Magri, vice-président et directeur de l’Institute for International Political Studies (ISPI) à Rome, Chiedu Osakwe, directeur général du Nigerian Office for Trade Negotiations, Khalid Zerouali,  directeur de la Migration et du contrôle des frontières au ministère de l’Intérieur du Maroc et le général major Barre Seguin, directeur de la Stratégie, des plans et des programmes de l’US. Africa Command (Africom), la section de l’armée américaine dédiée à l’Afrique et basée en Allemagne. 

« En soi, la migration n’est pas un problème de sécurité, a déclaré le général Barre Seguin. Ce sont les flux de migration clandestins qui posent un problème de sécurité. L’insécurité politique, économique, sociale et environnementale est à l’origine de ces flux, et détermine les endroits d’où ils viennent. Rappelons que 85% des réfugiés africains ne proviennent que de neuf pays, sur un total de 5 millions de réfugiés et de 11 millions de personnes déplacées dans leurs propres pays. Nous avons tendance à traiter les symptômes plutôt que les racines du problème ». 

“Leçons des interventions militaires en Afrique” 

La question de la légitimité des forces étrangères déployées sur le terrain, en dehors des missions de maintien de la paix des Nations unies, a servi de trame à ce troisième débat géopolitique du 15 décembre 2017. Abdelhak Bassou, Senior Fellow à l’OCP Policy Center, l’a ainsi résumée : « L'action ponctuelle d’une puissance étrangère pour une situation urgente est acceptée. Quand cela dure, non. Le civil qui développe et démocratise peut-il tout de suite prendre la place du militaire? ». 

Michelle Ndiaye, secrétaire générale du Tana Forum, émanation de l’Institut d’études pour la paix et la sécurité (IPSS) à Addis Abeba en Ethiopie, a insisté sur la « responsabilité globale du maintien de la paix » et défendu la force des mandats des Nations unies, tout en soulignant l’ambivalence de l’Union africaine (UA) dans ses interventions militaires sur le continent. « L’UA a pris position pour passer du principe de non-ingérence à celui de non-indifférence, a-t-elle rappelé. Les interventions militaires venant d’Afrique sont mieux acceptées ». 

Alessandro Minuto-Rizzo, directeur du Defense College Foundation de l’Otan, a estimé pour sa part que le « succès des interventions extérieures n’est pas assuré en Afrique. Au contraire, il est très incertain, comme l’a montré l’opération Restore Hope en 1992 en SomalieL’opération française Serval a été très utile au Mali en 2013, mais deux ans plus tard, Al Qaeda était toujours présent en différents points du pays. Le problème tient au fait qu’une intervention militaire signifie l’occupation d’un territoire pour régler un problème. Or, nous traitons des problèmes créés par des gens, dans un contexte de relève coloniale ». 

Une allusion directe au rôle déstabilisateur de l’intervention militaire française de 2011 en Libye, sous la bannière de l’Otan, qui fait largement débat en Afrique depuis la crise traversée en 2012 par le Mali. Interrogé sur les motivations de la France en tant qu’ancienne puissance coloniale, Michel Duclos, diplomate français et chercheur associé à l’Institut Montaigne, a estimé que « la France est allée au Mali en raison d’un intérêt indirect. Elle se sent plus de responsabilités, c’est vrai, à cause d’un élément lié à l’héritage colonial. C’est un facteur, mais pas le plus déterminant. Nous n’avons pas de passé colonial avec la Libye. »

Enfin, J. Peter Pham, vice-président et directeur de l’Africa Center de l’Atlantic Council (Etats-Unis) a souligné le danger des interventions militaires extérieures en Afrique : « Devenir un autre bélligérant dans le conflit, en raison des perceptions sur qui l’a emporté ». 

“Le développement de l’Afrique : perspectives de leaders émergents”

Un débat a suivi sur les partenariats Sud-Sud en présence de Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin, qui a invité à « regarder la géographie africaine avec d’autres lunettes, toute la zone allant de Lagos à Abidjan représentant à elle seule “un pays” plus intéressant que tout le Nigeria ». 

Une session de clôture a ensuite permis à trois anciens chefs d’Etat de livrer leurs analyses sur l’Afrique, ses trajectoires de développement et ses rapports avec l’Amérique latine. 

Miguel Angel Rodriguez Echeverria, ancien président du Costa-Rica, a estimé que la « confiance est cruciale » envers la décision politique et le gouvernement. « Sans confiance des électeurs, il est difficile de formuler des politiques susceptibles de transformer l’économie. L’élection de Donald Trump et le Brexit sont des signes de perte de confiance dans les partis établis et les hommes politiques. (…) Dans les points communs concernant l’Amérique latine et l’Afrique figure le besoin partagé de sécurité légale. Nous avons besoin d’avoir confiance dans l’application des lois, d’ouvrir les marchés pour attirer les hauts niveaux de compétences nécessaires à des économies productives, et d’appliquer les politiques fiscales qui peuvent réduire les risques financiers ». 

Federico Ramon Puerta, ancien président argentin et ambassadeur d’Argentine en Espagne, a évoqué le potentiel du tourisme comme « dimension permanente de la croissance », à exploiter aussi bien en Amérique latine qu’en Afrique.  « Les liens et connections entre l’Afrique et l’Amérique latine viendront avec le succès économique et le talent des entrepreneurs des deux continents ». 

Eduardo Duhalde, ancien président de l’Argentine, a quant à lui rappelé que « certains pays d’Afrique ont des ressources pétrolières non utilisées. La coopération entre pays d’Afrique et d’Amérique latine est possible (…) mais nous avons de sévères lacunes en termes de connectivité des moyens de transport. Nous ne pouvons pas nous permettre de n’avoir aucun vol direct de l’Afrique vers l’Amérique latine ! » Les sessions plénières des Atlantic Dialogues se sont ainsi closes sur une question d’infrastructures, un thème central durant toute la conférence – sur scène comme dans les coulisses. A l’instar des délégués latino-américains, bien des conférenciers venus de toute l’Afrique à Marrakech ont eux aussi dû prendre des correspondances en Europe pour se rendre au Maroc… Une donne qui en dit long sur le chemin qui reste à parcourir.  
 

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