Publications /
Opinion

Back
La valse des prix des bruts
Authors
November 21, 2016

Sans surprise, le West Texas Intermediate et le Brent, les deux grandes références de prix du brut, ont entamé depuis fin septembre une valse dont les mondes économiques et politiques observent avec attention les différents mouvements. Leurs prix ont bondi d’environ 15% entre le 27 septembre et le 10 octobre, atteignant alors plus de 50 USD/bbl, avant de replonger ensuite sur le mois suivant pour toucher leur plus bas niveau depuis deux mois. Dernier développement en date : un nouveau rebond depuis le 14 novembre faisant repasser le Brent et le WTI au-dessus du seuil des 45USD/bbl (graphique 1). 

Graphique 1 : Evolution des prix du brut (FOB, USD/bbl)

PCNS

Source : Thomson Reuters

 

En toile de fond de ces récents mouvements de prix, la fluctuation des réserves commerciales de brut aux Etats-Unis, la valeur du dollar, mais, avant tout, la capacité de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP) à donner lors de la réunion officielle du groupe, le 30 novembre à Vienne, une portée opérationnelle crédible à l’accord de principe obtenu à Alger. Cette capacité… ou, pour le moins, la probabilité d’y parvenir aux yeux des marchés. Car la réalité des derniers mouvements de prix est bien là : à l’instar de tout marché financiarisé, ce qui gouverne les cours à court-terme n’est pas tant l’évolution des fondamentaux que de potentiels effets de surprise, positifs ou négatifs, liés aux décalages entre les anticipations du marché et ce qui se réalise effectivement. Que les réserves de brut américaines, à des niveaux historiquement élevés, baissent (augmentent) dans une proportion plus importante que celle considérée par les marchés et les prix croiront (diminueront) significativement dans les heures qui suivront. Il en va naturellement de même pour les négociations qui précèdent le meeting de l’OPEP. L’issue des réunions techniques entre les pays membres, les déclarations des parties prenantes et, une fois encore, l’interprétation que les marchés leurs donnent sont autant de facteurs qui poussent les différents acteurs des filières pétrolières mais également les spéculateurs à alterner les positions longues (acheteuses) ou short (vendeuses) sur le Nymex, l’ICE et autres marchés financiers du brut, dans des logiques tant de hedging que de spéculation. Ainsi, alors que la remontée des cours observée sur les deux semaines qui ont suivi l’accord d’Alger s’expliquait par un accroissement de la spéculation à la hausse de la part des money managers, la baisse observée depuis trouve, elle, son origine dans un retour du pessimisme du marché et, consécutivement, des stratégies de vente de contrats futures permettant d’en tirer profit.

Graphique 2 : Evolution des positions des money managers sur le light sweet crude (open interest)

PCNS

Source : CFTC

On comprend naturellement que la question essentielle qui anime les marchés est de savoir si cet accord sera trouvé ou non, les Cassandre prédisant une forte baisse des cours pétroliers en cas d’échec. Dans le cas contraire, il ne fait guère de doute que les prix repartiraient dans une configuration haussière et offriraient aux membres de l’OPEP de salutaires marges de manœuvre financières. Comme nous l’évoquions dans l’OCPPC Policy Brief 16/29, l’enjeu serait alors pour le groupe de maintenir durablement les prix dans une bande de fluctuation comprise entre 50 et 60 USD/bbl, afin de limiter notamment la reprise de la production américaine. Aussi fondamentale que soit cette interrogation, force est de convenir que nul ne peut pourtant aujourd’hui prétendre connaître l’issue de négociations dont les tenants et les aboutissants dépassent de toute évidence très largement la sphère économique. Dans le flou ambiant, peut-être est-il alors pertinent d’adopter une autre lecture des développements récents du marché pétrolier. Dans cet esprit, observons avec quelque malice que la question n’est pas uniquement de savoir sur quel pas s’achèvera cette danse, mais en réalité si celle-ci est bien exécutée et quel en est le véritable meneur. En d’autres termes, qui a le plus à gagner à cette incertitude ? La variabilité des cours est certes la conséquence directe des prises de position acheteuses ou vendeuses des opérateurs de marché, mais l’OPEP pourrait en être le principal bénéficiaire. A l’instar d’une banque centrale qui tente d’orienter le marché via le canal des anticipations, le groupe a en effet tout intérêt à afficher, pour des raisons de crédibilité politique, sa confiance dans sa capacité à parvenir à cet accord tout en rappelant les nombreuses difficultés techniques et géoéconomiques à le faire. Car c’est bien un vent de pessimisme qui soufflait sur les marchés avant les récentes déclarations du Ministre de l’énergie saoudien Khalid al-Falih, de son homologue russe Alexander Novak, et du président Nicolas Maduro. En soufflant le chaud et le froid, l’OPEP se protège en réalité si un échec marque de son sceau la réunion de Vienne et que les marchés en intègrent l’idée. Si, à l’inverse, cette réunion est couronnée de succès alors que opérateurs et observateurs ne l’anticipent pas, le groupe en sortira grandi, économiquement comme politiquement. Sous l’hypothèse où cette lecture est correcte, ce n’est donc que si l’OPEP favorise de façon excessive l’optimisme des marchés qu’elle perdra véritablement son pari. De ce point de vue, il n’est clairement pas impossible qu’un pessimisme « de circonstance » se renforce sur les quelques jours qui précéderont la réunion de Vienne, mais ceci ne pourra paradoxalement pas être interprété comme le signal d’un probable échec. Sauf à accepter l’idée d’une erreur de communication de l’OPEP qui pourrait lui être coûteuse, la réciproque ne sera en revanche pas vraie. 

Related Publication

RELATED CONTENT

  • Authors
    Sous la direction de : Philippe Chalmin
    October 25, 2021
    Fruit d’une collaboration étroite entre CyclOpe et le Policy Center for the New South (PCNS), le rapport Arcadia – pour Annual Report on Commodity Analytics and Dynamics In Africa – se fonde sur une réalité bien connue : les matières premières fa- çonnent et façonneront une large part de la physionomie des économies africaines et doivent, en raison de cette dimension stratégique, faire l’objet d’analyses dédiées. À cet égard, ce rapport est probablement unique. Il offre en effet un ...
  • Authors
    October 18, 2021
    Dans une Opinion publiée par le Policy Center for the New South le 27 septembre à propos d’une récente découverte d’hydrocarbures en Côte d’Ivoire, nous indiquions que l’Afrique avait un important potentiel pétrolier et gazier et que ce potentiel était largement sous-exploité. Dans la même région, un autre pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Sénégal, est sur le point de devenir un pays producteur et exportateur d’hydrocarbures (pétrole et ...
  • October 15, 2021
    The European Commission recently presented several legislative proposals as part of its “Fit for 55” initiative, designed to accelerate the reduction of greenhouse gas emissions and achieve carbon neutrality by 2050. A Carbon Border Adjustment Mechanism (CBAM) has been proposed as part of this initiative. The CBAM would be complementary to the EU’s Emission Trading Scheme (ETS), involving CBAM certificates issued to importers based on the integrated emissions intensity of the produc ...
  • Authors
    October 7, 2021
    Face à la très forte augmentation du prix des matières premières observée depuis le printemps 2020, l’idée qu’un nouveau super-cycle soit en gestation s’est progressivement diffusée. Si les tensions qui s’observent à court terme sur les métaux de la transition environnementale (cuivre, nickel, étain, palladium) devraient, il est vrai, perdurer à moyen et long termes, l’affirmation selon laquelle leurs prix sont amenés à croître structurellement doit probablement être nuancée. Les ef ...
  • Authors
    October 1, 2021
    Africa is often overlooked in international policy conversations about climate change, but the continent has not been spared extreme weather events. On the eve of COP26, in Glasgow, United Kingdom, in October 2021, and as the African Union formulates a climate strategy for the continent, it is worth recalling how global warming is affecting different parts of Africa and how the continent fits into policy conversations on climate change. ...
  • September 27, 2021
    L’Afrique a un important potentiel pétrolier et gazier, lequel est largement sous-exploité. On ne sera donc pas étonné par le fait que plusieurs pays africains sont sur le point de devenir de nouveaux pays producteurs et exportateurs de pétrole et/ou de gaz naturel et que d’autres, qui sont déjà producteurs, soient prochainement en mesure d’accroître cette production. Pensons notamment au Sénégal pour le pétrole et le gaz naturel ; à la Mauritanie pour le gaz ; à l’Ouganda pour le p ...
  • September 8, 2021
    The report of the United Nations Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), released at the beginning of August, left no room for doubt. According to its estimates, it will be necessary to accelerate the pace of global containment of carbon emissions if the expected increases in global average temperatures are to be kept below 2 or 1.5 degrees Celsius, with correspondingly less-dramatic climatic consequences. Even if emissions of greenhouse gases are reduced over the next few ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 29, 2021
    As decarbonization is a long-term process and requires significant investments, specific financial and non- financial measures will need to be implemented, both in the short and long term, to facilitate this transition. In Part II of Morocco’s decarbonization pathway Policy Brief series, an update of the decarbonization scenarios was presented. It revealed that the Increased Ambition and Green Development scenarios achieve higher decarbonization targets than current policy. It showe ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 23, 2021
    La décarbonisation est un processus à long terme qui nécessite des investissements importants. Ainsi, des mesures financières et non financières spécifiques devront être mises en œuvre, à la fois à court et à long termes, pour faciliter cette transition. Dans la deuxième partie de la série de Policy Briefs sur la trajectoire de décarbonisation du Maroc, une mise à jour des scénarios de décarbonisation a été présentée. Elle révèle que les scénarios « Ambition accélérée » et « Dévelop ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 19, 2021
    Morocco's significant renewable energy resources offer an unprecedented opportunity to anchor the country’s economic and political choices in the energy transition, and to turn the transition into an essential lever for economic development. This is all the more relevant as the costs of renewable energies have dropped over the past 10 years2, and now offer strong potential, not only for creating green jobs but for ensuring a dynamic and resilient economic growth as well. In 2020, ne ...